Info sur le livre
Titre originalChurchill
AuteurAndrew Roberts
TraducteurAntoine Capet
ÉditeurPerrin
GenreBiographie
SortieAoût 2020
Nombre de pages1360

Churchill

Discab
Thématique
30 novembre
2020

En 2008, un sondage auprès de trois mille adolescents britanniques montrait que, pour 20% d'entre eux, Churchill était un personnage de fiction. Cette étonnante méconnaissance des jeunes britanniques de leur propre histoire pourrait nous amener, comme c'est la mode actuellement, à conclure à la fameuse baisse généralisée de la culture.

L'historien issu du King's College Andrew Roberts nous propose une interprétation quelque peu différente. Et si la vie de Churchill était si extraordinaire que quiconque n'a pas été son contemporain peine à imaginer qu'un tel homme ait pu exister ? Si cette proposition m'eût certainement paru ridicule il y a quelques semaines, la lecture de la monumentale biographie de Roberts m'oblige à me ranger à ses cotés.

Qui était sir Winston Churchill ? Officier, cavalier, journaliste, correspondant de guerre, écrivain, historien, biographe, homme politique, Ministre de la Défense, Premier lord de l'Amirauté, Premier Ministre, peintre, aviateur, chasseur, lépidoptériste et érudit du règne animal, la liste pourrait continuer longtemps. 1200 pages pour plus d'un demi million de mots ne furent pas de trop pour tenter d'approcher cette personnalité extraordinaire que fut le Vieux Lion anglais.

Suivre les pas de Churchill, c'est aussi être témoin de près d'un siècle d'histoire de l'Angleterre et du monde ; et quel siècle ! « Le siècle des tempêtes et de la tragédie ». À la naissance de Churchill, on négociait encore avec certaines tribus la fin des sacrifices humains. L'année de sa mort, la fusée Gemini 1 tournait autour de la terre, ouvrant la voie aux missions spatiales habitées. Entre ces dates, les deux guerres les plus terribles de notre histoire, l'apogée et le démembrement de l'empire le plus large jamais connu et l'invention d'une arme capable de mettre fin à l'humanité en tant qu'espèce.

Cela vous semblera peut-être un programme bien chargé, mais il n'est rien sans l'homme extraordinaire qui nous occupe. Insupportable, invivable, snob et pédant, Churchill était de ces hommes qui savent se faire haïr. Il n'en était pas moins une personnalité émotive à l'extrême, d'une compassion quasi-chrétienne. Surtout, on ne peux penser Churchill sans sa répartie et son humour incomparable. On se souviendra de cette scène où Lady Astor aurait lancé à un Churchill un peu éméché  : « Winston Churchill, vous êtes ivre ! » pour se voir répondre : « Et vous, Madame, vous êtes laide. Mais moi je serai sobre demain. » Cette biographie regorge d'anecdotes qui assaisonnent l'ouvrage à nous rendre Churchill d'une sympathie sans égale.

Fervent impérialiste, il considérait les dominions britanniques avec un accent paternaliste certain, ce qui donna cette réponse succulente à Mrs Ogden Reid, dont le mari possédait le New York Herald Tribune (journal favorable à l'indépendance des Indes). Lorsqu'à l'occasion d'un repas à la Maison Blanche, cette dernière demanda à Churchill : « Que comptez-vous faire de ces malheureux indiens ? », elle se vit répondre : « Madame, de quels Indiens parlez-vous ? Parlez-vous par hasard de la deuxième nation de la Terre par la population, qui, sous la gouvernance bienveillante et bienfaisante des Britanniques, s'est multipliée et a prospéré à un rythme vertigineux ? Ou bien pensez-vous aux misérables Indiens d'Amérique du Nord qui, sous votre administration, sont en voie d'extinction presque totale ? » Churchill avait réponse à tout et son panache faisait recette, autant dans l'arène politique que dans ses ventes en librairie.

Jamais il ne perdra cette humour qu'il utilisait autant comme une arme politique que comme un baume en mesure d'apaiser toutes les douleurs, surtout dans les pires moments de la guerre. On le verra ainsi se réjouir, suite au bombardements de l'amirauté en 1941, que « cela lui donnait une meilleure vue de la colonne de Nelson » depuis son siège du Conseil Restreint.

Les relations internationales auront également à souffrir ses piques. Jouant sur le double sens du mot Turkey (qui veut aussi bien dire Turquie que dinde), alors qu'il parlait au roi de ses efforts pour faire entrer la Turquie dans la guerre et après qu'on lui eut demandé : « Que dois-je dire à la Turquie ? », il lança : « Dîtes-lui que Noël arrive. » De même lorsqu’on l'informa que le bombardement de Rome avait débuté : « À la bonne heure ! Et est-ce qu'on a touché le pape ? Est-ce qu'on a fait un trou dans sa tiare ? » Bien entendu, il savait pertinemment que les bombardements avaient lieu à plusieurs kilomètres du Vatican.

Impossible de ne pas terminer ce rapide tour des relations internationales sans évoquer les relations orageuses entre le Premier Ministre et le Général De Gaulle, assez bien résumées par cette anecdote : un jour où Brendan Bracken déclarait que De Gaulle se prenait pour une réincarnation de Jeanne d'Arc, Churchill grommela : « Oui, mais moi mes évêques refusent de le brûler ! » Il lancera plus tard à De Gaulle, dans son franglais inimitable : « Si vous m'obstaclerez, je vous liquiderai ! »

Andrew Roberts évite avec brio le piège hagiographique et n'hésite jamais à montrer l'étendue des erreurs, mais aussi les failles morales de Churchill. Au delà du mythe Churchill qui laisse penser un homme qui toujours aura vu avec clairvoyance les dangers du nazisme et du bolchevisme, d'un homme de guerre qui aura tenu l'empire britannique à flot durant ses pires années, il ne faut pas oublier les campagnes ratées (en grande partie dû à l’ingérence du Premier Ministre) de Norvège et de Grèce. Il faut se souvenir qu'il aura été un grand admirateur de Mussolini avant de devenir son détracteur. Peut-être pire sur le plan moral, quoique indispensable sur le plan stratégique, Churchill connaissait très bien l'étendue des massacres de Katyn alors qu'il négociait l'alliance avec Staline, et il n'évoqua jamais la question. Ce sens de la Realpolitik mènera parfois à des décisions meurtrières, comme cet accord à la conférence de Yalta où Churchill fit rapatrier les Cosaques ayant combattu pour l'Allemagne en URSS, à la demande de Staline, sachant très bien le sort réservé à ces 40 000 hommes...

Le livre en soi est un très bel objet qui a reçu tout le soin éditorial qu'on peut attendre d'une maison comme les éditions Perrin. Je ne crois pas avoir relevé la moindre coquille en 1200 pages, ce qui est assez remarquable pour être noté. La traduction d'Antoine Capet est par ailleurs excellente, fidèle au style littéraire si typique de la production anglo-saxonne, alliant un soucis constant de la rigueur documentaire à une narration efficace et structurée. Sans aucun doute, un ouvrage appelé à devenir un classique.

  • Discab Contributeur
  • "D'abord, apprenez que je ne suis point le défenseur du peuple ; jamais je n'ai prétendu à ce titre fastueux ; je suis du peuple, je n'ai jamais été que cela, je ne veux être que cela ; je méprise quiconque a la prétention d'être quelque chose de plus." Maximilien Robespierre