Les controverses du début du XIVème siècle
Nous ne pouvons pas aborder le XIVème siècle sans faire référence à la Guerre de Cent Ans qui a opposé deux dynasties fondamentales : les Plantagenêt et les Valois. Cependant, il serait tout aussi intéressant de redécouvrir les diverses formes conflictuelles qui ont entraîné le royaume de France dans une situation tourmentée.
L’article abordera dans un premier temps la puissance monarchique de Philippe le Bel face à la papauté et aux Templiers. Ensuite, dans un deuxième temps, nous mettrons en exergue, de manière brève, la fin de la dynastie des Capétiens. Enfin, dans un troisième temps, nous nous focaliserons sur la malédiction de Jacques de Molay, sans doute une réponse sociale aux tragédies de l’époque.
Le Roi de fer ou le règne machiavélique
Philippe IV, ou le « roi de fer », doit sa réputation par son administration et sa politique dans les domaines royaux. Améliorant les services de l’État, le Parlement, la Cour des comptes et la chancellerie, le roi s’impose, centralise son pouvoir et assujettit toute forme d’autorité. Spoliant les juifs puis les Lombards, le début du XIVème siècle est surtout marqué par la querelle entre Philippe IV et le pape Boniface VIII.
« Le pape Boniface VIII (règne : 1294 – 1303) était un vieillard orgueilleux et intraitable. Il entra en conflit avec Philippe le Bel parce que celui-ci avait levé les impôts sur le clergé sans demander l’autorisation du Saint-Siège, et avait même arrêté, sous l’inculpation de trahison, un légat pontifical ».
Cela nous rappelle en quelque sorte la Querelle des Investitures opposant les deux puissances fondamentales (temporelle et spirituelle). Cependant, l’extrait présenté ci-dessus nous révèle la taxation imposante : la décime que le roi veut prélever sur les biens de l’Église sans la permission pontificale. De plus, l’attentat d’Anagni (1303) vient renforcer l’image d’un roi machiavélique en contre-attaquant les menaces d’excommunication en envoyant son conseiller, Guillaume de Nogaret.
La mort du pape Boniface VIII aura par la suite de grandes conséquences. Clément V, nouveau pape et ancien évêque français, ne s’installe non pas à Rome, mais à Avignon. Ce premier étouffe ainsi les excommunications lancées de son prédécesseur et permet au Roi de fer une emprise sur l’autorité religieuse qui sera établie dans son royaume.
Les nombreuses guerres découlant d’une rivalité avec le roi d’Angleterre, Édouard Ier, pour la conquête de la Flandre et les instabilités monétaires poussent Philippe IV à renflouer les comptes du royaume. Il faut alimenter le budget de l’État, payer les garnisons des forteresses royales, achever le palais de la cité. Cependant, l’État est au bord de la ruine. Les mutations monétaires et la politique financière répressive aux juifs et Lombards ne suffisent plus.
« Il se rabattit donc sur des expédients. Il demanda de l’argent au clergé, il multiplia les emprunts forcés, il fit varier le taux de la monnaie, il expulsa les juifs pour confisquer leurs biens. Enfin c’est peut-être par besoin d’argent qu’il s’engagea dans l’affaire des Templiers. ».
Les Templiers ont pour vocation de défendre la Terre sainte et se sont établis en Europe. L’ordre religieux et militaire sert aussi de banque aux papes, aux princes, mais aussi aux rois de France. Cependant, la chute de l’ordre demeure emplie de controverses.
Quels ont été les moyens drastiques employés par Philippe le Bel afin de démanteler l’ordre ?
Plusieurs raisons ardues interviennent. Premièrement, l’utilité de l’ordre après la perte de la Terre sainte a été remise en cause. Dans la mentalité médiévale, les Templiers étaient aussi perçus comme orgueilleux en s’abandonnant dans la luxure et le plaisir charnel. Ils constituaient une armée considérable, puissante et ils formaient un État dans un État.
Philippe le Bel a besoin d’un argument légitime afin d’arrêter l’ordre. Grâce à son chancelier, Guillaume de Nogaret, une machination diabolique s’opère. Esquieu de Floyran (individu encore mal défini par les sources médiévales) doit être reconduit à Agen et emprisonné dans un château royal dans lequel se trouvait un ancien Templier en attente d’être exécuté pour ses crimes. Le plan est le suivant : le compagnon de cellule se confesse auprès de Floyran (l’appât de Nogaret) afin que ce dernier, libéré, puisse être le seul témoin afin de révéler les horreurs perpétrées par l’ordre. Une seule façon permet de découvrir la vérité : ouvrir une enquête.
Le 13 octobre 1307, au Temple de Paris, Jacques de Molay (chef de l’ordre) et ses pairs sont arrêtés. À partir de cette date jusqu’au procès, de nombreux échanges ont lieu entre Clément V et le roi de fer, dont les sources ou faits historiques importants nous révèlent les preuves de force ou d’intimidations (Parchemin de Chinon et le concile de Vienne notamment).
Le 22 mars 1312, par la bulle Vox in excelso, le pape proclame l’abolition de l’ordre. Le 2 mai 1312, la bulle Ad Providam décrète que les biens des Templiers iront à l’ordre des Hospitaliers. Le trésor du Temple et objets saisis à Paris pourront réduire les dettes du royaume de France. Le 18 mars 1314, Jacques de Molay, Geoffroy de Charnay, Hugues de Pairaud et Geoffroi de Goneville sont condamnés à la prison à perpétuité.
Cependant, Jacques de Molay et Geoffroy de Charnay réfutent leurs crimes (idolâtrie, simonie, sodomie et reniement du christ) et réclament leur innocence, car ils ont dû avouer sous la torture. Déclarés relaps, l’Église cède leur sort au pouvoir royal. Ils sont finalement condamnés au bûcher sur l’Île aux juifs. Bref, l’hégémonie du roi de fer se perçoit à travers son pouvoir indépendant à toute tutelle.
La fin des Capétiens directs
Ce XIVème siècle est d’ailleurs intrigant si nous nous centrons cette fois sur les successions royales. En effet, Philippe IV dispose de quatre enfants : Louis X le Hutin, Philippe V le Long, Isabelle de France et Charles IV le Bel. Il était inconcevable pour l’époque que la lignée des Capétiens directs se brise dès 1328.
Comment une si grave crise de succession peut-elle apparaître alors que tout laisse penser le contraire (les futurs héritiers sont eux-mêmes mariés et peuvent assurer une descendance continue) ?
Tout d’abord, l’affaire de la Tour de Nesle (1314) aura une gravité primordiale. Les trois brus du roi sont jugées pour des affaires d’adultère. Marguerite est emprisonnée à Château Gaillard, Blanche est enfermée dans un cachot et Jeanne est incarcérée au Château de Dourdan. Les amants (les frères d’Aunay) sont jugés pour crime de lèse-majesté. Cet événement historique ressort donc des enjeux capitaux.
Qu’elle aurait été la légitimité de l’enfant au trône si nous ne pouvions pas certifier la paternité ? Comment le futur souverain pourrait-il devenir roi si son père ne l’était pas avant ?
Même si l’histoire retient cet événement perturbateur sous l’appellation « le scandale de la tour de Nesle », il est pertinent de remarquer qu’aucune source de l’époque ne mentionne ce lieu. L’adultère a eu lieu, mais c’est bel et bien Alexandre Dumas qui publie une œuvre dramatique (au XIXème siècle) en mettant en scène Marguerite de Bourgogne, une princesse infidèle qui jette ses amants du haut de la tour.
Les successions royales sont brèves si nous nous référons à la longévité des monarques. Philippe le Bel trépasse en 1314. Louis X le Hutin règne pendant deux ans. Son fils, Jean Ier meurt après cinq jours. Philippe V le Long dirige le royaume de 1316 jusqu’en 1322. Enfin, Charles IV le Bel sera le dernier des Capétiens jusqu'en 1328.
À cette date, une question fondamentale se pose : qui succédera au trône de France ?
Philippe VI de Valois, appelé le « roi trouvé » est désigné comme le successeur légitime face à Édouard III, roi d’Angleterre et face à Philippe comte d’Évreux. Les deux autres prétendants (Anglais et Navarrais) ont certainement été évincés de la couronne pour des raisons politiques et législatives (en faisant aussi appel à la loi salique).
Une malédiction lancée par Jacques de Molay : histoire ou mythe ?
« Pape Clément !... Chevalier Guillaume !... Roi Philippe !... Avant un an, je vous cite à paraître au tribunal de Dieu pour y recevoir votre juste châtiment ! Maudits ! Maudits ! Tous maudits jusqu’à la treizième génération de vos races ! »
Une réplique rendue populaire par les Rois maudits (1955–1977) de Maurice Druon et répandue dans le monde théâtral (par Claude Barma en 1972), dans le monde cinématographique (par Josée Dayan en 2005) et dans les jeux vidéo (par Assassin’s Creed Unity en 2014).
Par conséquent, cette malédiction lancée contre le pape (soumis au roi de fer), le garde des Sceaux (en charge de l’affaire) le roi et sa descendance (l’auteur du complot) est-elle vraiment proférée comme le veut la tradition historique (tout en sachant que Guillaume de Nogaret est mort en 1313) ?
Laurent de Vargas stipule que la légende apparaît d’abord vers la fin du XIVème, en pleine guerre de Cent Ans (1337–1453), lorsque les gens prennent conscience de l’enchaînement tragique des événements. Nous sommes dans une France chaotique, entre défaites et Grande Peste (1347–1352). Le doute persiste et rend plausible une malédiction qui renforce la conscience populaire.
Ensuite, Eric le Nabour et Colette Beaune remettent en doute la réplique de Jacques de Molay, car il s’agirait d’une invention tardive. Il y aurait eu un besoin social de répondre à ces morts soudaines. Les historiens partent du principe que l’image des rois maudits aurait été véhiculée par des rumeurs qui ont eu un impact dans la mentalité médiévale. Pour ce faire, les historiens remontent depuis les sources de l’époque pour percevoir les transformations.
En bref, Geoffroi de Paris, témoin de la scène, décrit uniquement un appel à la justice divine, d’autres chroniqueurs ou historiens tardifs entretiennent une histoire abordant le mythe (Fulgoso, Paul-Émile, Du Haillan et Belleforest).
De manière brève, la légende se transforme au fil du temps et la malédiction devient par la suite une réalité que plus personne ne remet en question.
En somme, d’autres éléments ont conduit aux origines de la Guerre de Cent Ans. Toutefois, il est important de noter que le royaume de France atteint son apogée de sa puissance médiévale sous le règne du roi de fer. Bernard Saisset, un prélat français le décrit de cette manière :« Notre roi ressemble au duc, le plus beau des oiseaux, et qui ne vaut rien ; c’est le plus bel homme du monde, mais il ne sait que regarder les gens fixement sans parler ».
Bibliographie
- BORDONOVE George, Philippe le Bel « le roi de fer », Paris : Ed Pygmalion, 1987.
- DE VARGAS Laurent, Histoire mystérieuse des templiers, Monaco : Ed du Rocher, 2000.
- DRUON Maurice, Les Rois maudits, l’intégrale, Paris : Ed Plon, 2014.
- FAVIER Jean, Phillipe le Bel, Paris : Ed Fayard, 1978.
- GOUSSET René, Histoire des croisades et du royaume franc de Jérusalem, Paris : Ed Perrin, 1936, réédition 2006 en 3 volumes.
- LE NABOUR Eric, Les Rois maudits, l’enquête historique, Paris : Ed Perrin, 2005.
- MAALET et ISAAC, Rome et le Moyen Âge, Paris : Ed Marabout, 1958.
Image en couverture : Gravure du XIXème siècle où figure, devant la ville de Vienne, le pape Clément V et le roi de France Philippe le Bel.
- Sydfire Contributeur
- "En politique le choix est rarement entre le bien et le mal, mais entre le pire et le moindre mal." Machiavel