Info sur le jeu |
PlateformePC Windows |
Éditeur
|
DéveloppeurShenandoah Studio |
Date de sortieJuillet 2017 |
Gettysburg : The Tide Turns
Le Shenandoah Studio nous a habitués à des jeux de qualité et Gettysburg : The Tide Turns (GTTT) ne déroge pas à la tradition. GTTT a d’abord été le bébé d’Eric Lee Smith, l’âme dirigeante du Shenandoah Studio avant que celui-ci ne passe sous l’aile du groupe Slitherine.
Ce quatrième jeu du studio ne fait pas partie de la série Crisis in Command, centrée sur la Seconde Guerre mondiale et privilégiant les cartes à zones. GTTT est tout en hexagones et est proposé aux PCistes dans un premier temps, mais le format et l’interface — de même que le prix — sont ceux d’une application pour tablette. Le portage sur les petits écrans ne devrait donc pas tarder.
Campagne entière ou en morceaux
2. Le terrain et, surtout, la qualité des unités jouent un rôle non négligeable dans les échanges de feu. Des jetons déclencheurs de combat sont mêlés aux jetons d’activation des corps d’armée, tirés au hasard. Seuls les confédérés, lorsqu’ils ont l’initiative, peuvent choisir le moment de leurs attaques.
GTTT propose de revivre les trois jours de la bataille de Gettysburg (du 1er au 3 juillet 1863) en mode campagne, à raison de 31 tours d’une heure chacun, ou au jour le jour.
Le placement de départ de la campagne et des scénarios d’une journée (« Day 1 », « Day 2 » et « Day 3 ») respectent les positions historiques.
Comme les brigades sont désignées par leur commandant et qu’on perçoit le nombre de régiments qui les composent, les apprentis historiens reconnaîtront leurs petits. L’ambiance est renforcée par la qualité visuelle de la carte, qui restitue fidèlement les reliefs et les noms de lieux.
Les États confédérés (Confederate States of America ou CSA) ont évidemment le rôle offensif. Ils gagnent s’ils relèvent un double défi :
- s’emparer d’au moins 2 des 9 objectifs inscrits sur la carte, tous situés sur le pourtour de Culp’s Hill, Cemetery Hill et Cemetery Ridge, derrière la ville de Gettysburg ;
- causer plus de pertes chez l’adversaire qu’ils n’en subissent eux-mêmes.
3. Lorsque l’ennemi a déjà attaqué durant le tour, on peut se permettre cette astuce tactique : A. Envoyer une brigade (Zook) fixer une puissante unité ennemie (Stonewall) dont on veut se débarrasser. B. Aux activations suivantes, rameuter tout ce qu’on a sous la main (Smyth, Webb et Irish Brigade) pour encercler la cible. C. Au moment de l’attaque, faire battre en retraite, au besoin, toute unité qui ne profiterait pas d’un bon rapport de force (Zook marqué d’un drapeau blanc).
S’ils n’accomplissent qu’une seule de ces missions, la partie est nulle. S’ils n’en réussissent aucune, c’est l’Union qui gagne. Le joueur peut prendre en charge l’un ou l’autre des deux camps contre une IA somme toute respectable (en difficulté maximale) ; sinon deux joueurs peuvent s’affronter en chaise tournante locale ou en tours différés pris en charge par le serveur de Slitherine.
Le malheur du scénario « Day 1 » est que les objectifs de la journée sont les mêmes que les objectifs ultimes de la campagne. Le matin du 1er juillet, la cavalerie de Buford a beau s’être opportunément positionnée derrière le ruisseau Willoughby pour bloquer l’avance de Heth, les soldats de l’Union n’ont pas intérêt à camper sur McPherson’s Ridge ou Seminary Ridge, comme ils l’ont fait en 1863, puisque cet effort n’assurera pas la victoire. L’IA elle-même, quand elle joue les confédérés, cherche à se faufiler jusqu’à Cemetery Ridge, situé 2 km plus loin.
Ce choix des concepteurs est d’autant plus inexplicable que « Day 2 » est conforme avec l’enjeu de la journée (des objectifs sur les collines Round Top reflètent l’intention des sudistes de déborder la gauche adverse) et que GTTT propose deux autres scénarios plus modestes dotés, eux aussi, d’objectifs cohérents :
- « Best Three Hours » (3 tours en fin d’après-midi du 2 juillet) relate l’assaut contre Little Round Top ;
- « Pickett’s Charge » (3 tours en début d’après-midi du 3 juillet) démarre avec le bombardement du centre nordiste, que tentèrent d’enfoncer les régiments de Pickett, Pettigrew et Trimble.
Activation dynamique
La grande qualité de GTTT est de concentrer les contraintes opérationnelles de la bataille dans un unique mécanisme d’activation des unités.
Chacun des corps d’armée présents sur le terrain se mettra en mouvement une fois par tour, selon un ordre aléatoire. Le joueur ne sait donc pas lesquelles de ses unités, ou des unités ennemies, pourront bouger en premier pour s’emparer de telle position ou créer le contact.
Dès que deux brigades sont adjacentes, elles préparent leurs tirs... qui commenceront on ne sait trop quand. La seule certitude est que chaque camp, selon une séquence identique (voir l’encadré), aura l’occasion de faire parler la poudre pendant le tour. Les sudistes profitent d’un avantage majeur à cet égard : lorsqu’ils ont l’initiative — ce qui est le cas la plupart du temps, sauf au début et à la fin de la campagne —, ils peuvent choisir le moment de leur attaque. Quand ils n’ont pas l’initiative, personne ne l’a (car les nordistes ne l’ont jamais) et les attaques des deux camps surviennent au hasard.
Dans ces conditions, il est assez embêtant de planifier ses offensives. Si j’avance tel corps d’armée tout de suite, il subira peut-être l’attaque ennemie avant que je n’aie eu le temps d’envoyer un second corps en appui. Ou plus gênant encore, ce pourrait être ma propre attaque qui soit déclenchée trop tôt et qui userait inutilement mes unités en sous-nombre.
Pour atténuer les risques, le joueur apprendra vite à faire travailler le temps en sa faveur. La première règle est de ralentir le tempo pour, d’une part, préparer l’espace nécessaire aux futures manœuvres et, d’autre part, laisser passer les attaques des deux côtés. Si vous êtes chanceux, il pourrait vous rester plusieurs corps à déplacer sans craindre la perturbation inopportune des échanges de feu. Ce serait enfin le moment de réaliser la grande manœuvre qui vous démangeait.
Le mode d’activation de GTTT oblige aussi les joueurs à maintenir un minimum de cohésion parmi leurs unités. Si vous dispersez les brigades d’un corps d’armée aux quatre coins de la carte, il devient impossible de les faire agir sur un point précis du front ou de monter une attaque coordonnée.
Procédure de combat et de ralliement
À un moment ou un autre du tour, chacun des camps jouera le rôle de l’attaquant selon la séquence suivante :
- La cavalerie du défenseur rompt le contact si elle réussit un test en fonction de sa qualité.
- Les canons bombardent les défenseurs qui se trouvent à leur portée.
- Les unités attaquantes qui le désirent peuvent rompre le contact, ce qui est très utile pour extirper une unité d’un combat perdu d’avance ou protéger sa propre cavalerie.
- Un combat a lieu partout où subsistent des unités adjacentes :
A. Tir de réaction (approach fire) : Les unités stationnaires tirent en premier contre les unités ennemies qui sont venues à leur contact. Les pertes sont appliquées immédiatement, avant l’échange de tirs.
B. Échange de tirs : Le combat proprement dit a lieu. Chaque camp tire avant que les pertes ne soient appliquées.
C. Retraite : Chaque unité ayant subi une perte est soumise à un test de moral. Si elle l’échoue, elle retraite d’au moins 2 hex selon un trajet choisi par l’ordinateur. Si elle est obligée de retraiter plus loin pour échapper aux ZoC ennemies, elle prend une perte supplémentaire.
D. Déroute (shattering) : Si une brigade perd tous ses régiments à la suite du combat ou de la retraite, elle se disperse et disparaît du champ de bataille.
E. Avance après combat : Chaque espace laissé vacant par le défenseur peut être occupé par un des attaquants. - À la fin d’un tour, les unités usées qui sont restées immobiles et n’ont pas combattu récupèrent un point d’effectif.
- Durant les tours de nuit (il y en a seulement deux par nuit), les unités qui ont fui le champ de bataille peuvent retrouver une partie de leurs forces et revenir en jeu si elles réussissent un test de ralliement.
Interface efficace
Une fois que le joueur se sera familiarisé avec la procédure d’activation, il trouvera facilement ses marques. Les étapes de renforts, de mouvement et de combat s’enchaînent de manière claire et fluide. J’apprécie tout particulièrement la prévision des dommages causés par les éventuels combats ainsi que la possibilité d’annuler toutes les actions effectuées au sein de la phase en cours.
En passant par le bouton « Menu », on accède à l’horaire du scénario, qui indique les tours d’arrivée des renforts et l’attribution de l’initiative. On peut également afficher l’état du tour, où on peut voir les corps d’armée qui restent à activer et vérifier, en cas d’oubli, si l’ennemi peut encore attaquer. Un troisième panneau montre, en temps réel, la progression des objectifs de victoire, c’est-à-dire le nombre d’objectifs conquis par les États confédérés et les pertes subies jusque-là par chaque camp.
L’essence du combat
Le camp qui attaque est nettement avantagé :
- Il commence par faire tonner son artillerie, dont les effets sont variables. La probabilité de ravager une cible est meilleure à 2 hex et, comme il se doit, diminue avec la distance. Il n’y a pas de bombardement contre un ennemi adjacent car, dans ce cas, les artilleurs sont entraînés par l’adversaire dans un combat classique.
- Il peut rompre le contact partout où il est en mauvaise posture, à la condition de ne pas être emprisonné par les zones de contrôle (ZoC) ennemies.
- Il est le seul qui peut avancer après le combat.
La probabilité de causer un dommage à l’ennemi varie selon la protection offerte par le terrain et le type d’unité. Par exemple, les tirs de l’artillerie et de l’infanterie sont particulièrement efficaces contre la cavalerie, ce qui cantonne cette dernière à un rôle de retardateur de l’avance ennemie.
Si une unité est entourée par plusieurs ennemis, elle tire sur chacun d’eux avec une puissance de feu réduite en proportion. Entourer un ennemi coriace est ainsi une bonne façon de le mettre à genoux. Votre facteur de nuisance est également haussé si vous tirez sur un ennemi cerné par vos ZoC.
L’Art du positionnement
Mais le plus important est ailleurs et s’appelle le tir de réaction. Même si les unités sont adjacentes depuis le tour précédent, l’ordinateur se rappelle lesquelles se sont collées aux autres et il leur réserve un douloureux tir de bienvenue, quel que soit le camp actif. Dit autrement, pour gagner ses combats dans GTTT, il vaut mieux manœuvrer de manière à forcer son adversaire à faire le contact.
Une autre façon de préserver la puissance de ses unités est d’éviter les retraites en chaîne. Une unité de faible qualité risque d’être entraînée par le flot des fuyards et de voir une partie de ses hommes se démoraliser. Il est préférable d’aérer l’arrière de la ligne de front et d’échelonner patiemment les attaques, plutôt que de pousser toutes les troupes en avant.
Artillerie à tout faire
L’artillerie est assez nombreuse chez les protagonistes de la guerre de Sécession. On trouve grosso modo une brigade d’artillerie par corps d’armée chez les nordistes et un bataillon par division chez les sudistes, à quoi s’ajoute une réserve d’artillerie rattachée à l’armée. À Gettysburg, cela donne une douzaine d’unités d’artillerie dans chaque camp.
Pendant la phase de mouvement, les joueurs n’ont pas le droit d’avancer leurs canons dans un hexagone adjacent à l’ennemi. De fait, depuis la diffusion des fusils à âme rayée, les artilleurs sont vulnérables aux tirs de l’infanterie et ont tendance à se placer en retrait, le plus souvent en hauteur. Nous sommes déjà loin des pratiques de Napoléon. En revanche, il demeure aussi suicidaire pour les fantassins d’assaillir une batterie de canons, sous peine d’être pulvérisés par la mitraille. Dans GTTT, il n’est pas rare qu’une unité d’artillerie tire à 5 contre 1 contre l’infanterie proche.
Le problème est que GTTT ne bride pas suffisamment les capacités de manœuvre de l’artillerie de façon à ce que cette arme se comporte convenablement sur le champ de bataille. Comme ils sont dissuasifs à courte distance et qu’ils profitent toujours d’un tir de réaction, les canons sont rarement agressés. Les joueurs ne résistent pas à l’envie d’utiliser ces unités « blindées » pour occuper — au moins temporairement — le terrain disputé à l’adversaire et garder ce dernier à distance. D’autant plus que, si l’artillerie est une ressource précieuse, elle est suffisamment nombreuse sur le terrain pour qu’il soit rentable de sacrifier une ou deux unités dans le but de laminer l’infanterie adverse. Non seulement le jeu n’interdit pas ce contre-emploi, mais il l’encourage en permettant aux artilleurs victorieux de s’avancer après le combat !
L’ensemble du gameplay est contaminé par cette omnipotence de l’artillerie, qui s’accentue au fil des tours, à mesure que l’infanterie s’amenuise. Les canons ont une plus grande espérance de vie que leurs collègues munis de fusils et finissent par prendre le leadership de la bataille. C’est un brin gênant.
Conclusion
Le mode d’activation de Gettysburg : The Tide Turns renouvelle l’expérience offerte par chaque partie. Même le scénario « Day 1 » reste intéressant, car l’ordre d’entrée en jeu des unités a un grand impact sur les portions de la carte qui seront accessibles à chaque camp.
Le jeu est nettement tactique, sans grande préoccupation pour le ravitaillement. Les unités totalement isolées derrière les lignes ennemies se rallient aussi rapidement que les soldats qui se reposent du bon côté de front. Cela n’empêche pas GTTT d’être très exigeant quant à la manière de préparer ses offensives (chez les confédérés) ou de freiner l’avance ennemie (chez les unionistes).
Reste la question épineuse de l’artillerie. La meilleure façon de jouer à GTTT, dans l’état actuel du jeu, est de se doter de règles maison. Par exemple, les joueurs peuvent renoncer à toute avance des canons après combat et se contraindre à coller l’artillerie à une infanterie amie chaque fois qu’ils l’approchent à 2 hex d’une unité adverse. Faciles à mettre en œuvre, de telles règles assureraient un déroulement plus authentique de la bataille.
Masi il ne faut pas bouder son plaisir. GTTT reste un jeu bien conçu qui traite intelligemment son sujet. Il donne accès à un de ces pans connus de l’histoire militaire qu’il fait toujours bon de revisiter.
Gettysburg : The Tide Turns
Vent de fraîcheur sur une bataille célèbre
- +Enchaînement fluide des phases de jeu.
- +Immersion grâce à la géographie, aux ordres de bataille et aux flux de renforts.
- +Activation aléatoire des formations contribuant à la rejouabilité.
- +Dynamisme des combats.
- +Tenue correcte de l’IA.
- +Multijoueur par courriel pris en charge par un serveur dédié.
- +Animations de bon ton.
- -Modélisation maladroite de l’artillerie.
- -Mise en scène ratée du scénario du 1er juillet.
- -Faibles contraintes de ravitaillement.
- -Quelques défauts d’affichage.
- Moet le wargameur québécois, pisteur de jeux de stratégie historiques, testeur de wargames
- "La route d'Auschwitz fut construite par la haine mais pavée d'indifférence." lan Kershaw