Époque moderneRévolution française
Duel près de New York, 1793
Embuscade contre HMS Boston
La jeune république contre Albion
Tout commence en Février 1793, quand la République française déclare la guerre à la Grande-Bretagne dans la lignée du conflit qui fait déjà rage sur le continent depuis presque un an. Mais si les forces terrestres ont déjà été fort sollicitées depuis, la Marine est alors en plein tourment ; arme aristocratique par excellence, elle ne bénéficie pas de l'état de préparation de son homologue britannique qui est en alerte depuis le mois de juin 1792. De plus, l'encadrement de la Marine française a beaucoup souffert des « purges » en perdant de nombreux officiers compétents mais jugés trop proches des idées monarchistes.
Paris décide cependant de passer outre en envoyant plusieurs escadres légères tenter de perturber les lignes commerciales britanniques dans l'Atlantique. Parmi ces formations composées des meilleurs équipages français se trouve la mission diplomatique devant amener le nouvel ambassadeur aux États-Unis Edmond-Charles Genêt, puis de rester sur place pour chasser les marchands britanniques.
Le capitaine Jean-Baptiste-François Bompart est à la tête de l'escadre, officiant depuis le château de sa frégate de 32 canons Embuscade. Un navire au nom prémonitoire, car en quelques semaines, ce sont plus de 60 navires marchands qui sont capturés ou détruits par l'escadre de Bompart au large des côtes américaines.
Bien sûr, la Royal Navy ne peut pas laisser passer cela, et donne l'ordre à ses navires postés au Canada de faire taire une fois pour toutes les navires français sur zone. En fait, le créneau est parfait, car au même moment les navires battant pavillon tricolore sont obligés de rejoindre les ports américains pour leur entretien.
Washington, en ce début d'année 1793, s'affiche comme étant neutre dans le conflit européen mais ferme les yeux sur la présence de navires français dans ses ports. L'opinion publique américaine elle-même est très francophile suite à l'aide apportée par Paris dans l'indépendance moins de deux décennies plus tôt, d'autant plus que l'adversaire est alors toujours le Britannique…
Au large de New York
Parmi l'escadre britannique dépêchée du Canada se trouve une frégate de 32 canons, le HMS Boston, commandée par le capitaine George Courtenay. Ce dernier reçoit pour ordre de surveiller le secteur de New York, où des espions britanniques ont repéré un bâtiment portant pavillon français.
Le 28 juin 1793, alors que la frégate britannique n'est pas encore en vue du port de New York, le capitaine Courtenay fait amener les couleurs françaises afin d'endormir la vigilance des guetteurs. De plus, le Britannique ordonne à ses membres d'équipage canadiens maîtrisant la langue de Molière de parler audiblement alors qu'un bateau-pilote américain fait son approche... En fait, la prudence du Britannique est logique : l'Embuscade est un navire neuf (moins de trois ans) dont l'armement est bien plus puissant que le sien !
Mais Bompart, sur le pont de son navire, trouve étrange l'arrivée de ce navire battant pavillon français sans qu'il puisse le reconnaître véritablement. Le capitaine de l'Embuscade confie donc une chaloupe à un de ses lieutenants américains nommé Whitynow pour qu'il aille se renseigner sur l'identité du navire, accompagné de douze marins. Le lieutenant, d'abord suspicieux, tombe dans le piège de Courtenay qui le fait accueillir par des marins francophones… et qui l'invite à monter à bord. Ce n'est qu'une fois sur le pont que Whitynow et ses hommes comprennent qu'ils ont été trompés, alors que Courtenay leur annonce qu'ils sont désormais ses prisonniers.
Cependant, le droit maritime est formel : des navires de nations en guerre ne peuvent pas se trouver en même temps dans un même port neutre, et il leur est interdit de livrer combat dans ces mêmes eaux territoriales. Courtenay, certain de sa supériorité, fait savoir à Whitynow qu'il souhaite combattre Bompart en haute-mer et décide de lui lancer un défi, en confiant ce message au pilote américain.
Ce dernier, ne parvenant pas à trouver Bompart, fait connaître la proposition de duel en plein milieu d'un café new-yorkais bondé. Le capitaine français est alors vite mis au courant, et passe les deux prochains jours à préparer son navire pour la guerre.
L'après-midi du 30 juin 1793, après un ultime conseil des officiers, l'Embuscade quitte la rade de New York pour se rendre près de Sandy Hook, au large du New Jersey… que Courtenay a dû fuir face à l'escadre composée des Éole et Patriote, des vaisseaux modernes de 74 canons. Mais, à la nuit tombée et alors que les navires français ne se sont pas mis à sa recherche, le capitaine britannique revient sur les lieux.
Sous les yeux de milliers de spectateurs
En fait, l'annonce du duel en plein New York a déplacé de nombreux Américains, venus s'installer sur la côte pour admirer le combat.
Le 31 mai à 3h, les vigies du HMS Boston repèrent un navire portant pavillon tricolore se dirigeant vers eux. Après avoir amené les couleurs françaises (à nouveau), Courtenay scrute attentivement le protagoniste, qui répond en amenant un pavillon bleu portant une croix blanche : voilà Bompart et l'Embuscade !
À 4h, les deux navires prennent un cap est, et pendant 45 minutes s'observent mutuellement, Courtenay n'amenant les couleurs britanniques qu'une heure plus tard. Alors que les deux navires se placent perpendiculairement au vent pour ralentir, le HMS Boston tire le premier à 5h05 sur le tribord de l'Embuscade, qui réplique immédiatement.
Jouant à nouveau avec le vent pour ralentir (la première bordée servant à estimer les corrections de pointage), les deux navires commencent à se rapprocher de la côte américaine, tout en continuant à se canonner mutuellement.
Mais à 5h20, une bordée de l'Embuscade emporte une partie du mât de misaine du navire britannique, ce dernier essuyant ensuite plusieurs bordées dévastatrices pendant une vingtaine de minute. Bompart, lui, a subi des dommages mais son navire peut encore continuer, tandis que le HMS Boston commence à perdre de la vitesse suite au choix du Français de viser délibérément son gréement.
À 6h10 le navire britannique perd son mât principal tandis que son mât de misaine est de plus en plus endommagé. C'est alors qu'un boulet frappe le bastingage sur lequel s'appuie Courtenay et le lieutenant Butler, des Royal Marines ; le capitaine est projeté sur le pont, inconscient. Pensant son supérieur tué, le second John Edwards prend le commandement du HMS Boston et décide de jeter Courtenay à la mer sans vérifier son état vital afin de lutter contre la chute de moral des hommes.
Pendant ce temps, Bompart ne lâche pas l'affaire et continue de pilonner son adversaire… à tel point qu'à 6h40 le navire britannique ne dispose de presque plus aucun gréement en état, et qu'Edwards est lui aussi gravement blessé. Avec la plupart de leurs officiers tués ou inconscients, les marins britanniques du HMS Boston commencent à paniquer, et il faut l'apparition d'un Edwards chancelant mais bien vivant (et soutenu par un officier) pour que la tension retombe un peu.
Pendant ce temps, l'Embuscade manoeuvre pour se trouver perpendiculaire à la poupe du HMS Boston et l'achever par un terrible tir de traverse. Bompart, sachant son adversaire gravement handicapé, veut faire tirer ses canons un à un sur la poupe afin que les boulets traversent le navire adverse, faisant ainsi un maximum de dégâts. Mais Edwards parvient à se détacher et à contrer les manoeuvres du Français, et, devant l'état de son navire, décide de rompre le combat en se dirigeant vers la haute-mer.
Bompart tente de le poursuivre, mais son navire est plus lourd donc plus lent que son homologue ; à 7h07 commence la poursuite, puis à 8h le capitaine français décide de retourner à New York, le HMS Boston ayant pris de la distance.
Victoire pour l'un, égalité pour l'autre ?
Le résultat du combat semble être considérablement en faveur de Bompart, puisqu'il a remporté le duel en mettant en fuite son adversaire. Cependant, le combat a été tellement dur que l'Embuscade va mettre deux jours à rejoindre New York… puis ses réparations vont s'étaler jusqu'au 9 octobre, l'empêchant d'attaquer les navires marchands britanniques.
Edwards, lui, fera du cabotage pendant plusieurs semaines en se cachant des navires français en maraude. Selon les sources, Bompart a perdu 50 hommes d'équipage (sur 340), tandis que le HMS Boston n'aurait essuyé que 34 pertes, ce qui semble largement sous-estimé au vu des dégâts subis.
Pour les historiens britanniques, le duel se solde par un match nul, mais la mise hors service du HMS Boston et la mort de son capitaine font pencher la balance vers une victoire de Bompart.
Pis, Edwards sera au centre d'une controverse, des marins assurant que le capitaine Courtenay n'était pas mort au moment où il a été passé par dessus bord… Controverse d'ailleurs toujours pas tranchée, puisque la famille de Courtenay soutiendra jusqu'au début du XXe siècle qu'Edwards a assassiné son capitaine.
Edwards, passablement blessé, souffrira jusqu'en 1823 des blessures reçues trente ans plus tôt et en décèdera.
Bompart, au contraire, sera reçu avec les honneurs à New York, dont la population fait de suite fondre une médaille en or... que le capitaine français accepte de recevoir, à condition de ne pas avoir à la porter, la Convention Nationale ayant interdit le port de médailles.
- Witz Rédacteur, Testeur, Chroniqueur, Historien
- « L'important n'est pas ce que l'on supporte, mais la manière de le supporter » Sénèque