Venise la Sérénissime : XVème-XVIème siècle

Da Veenci
Thématique
Époque moderne, Renaissance italienne
21 janvier
2015

Venise la Sérénissime : XVème-XVIème siècle

Avant de commencer à lire cette article, Cliquez sur le bouton play ci-dessus et écoutez « Ezio's Family »… Vous voilà transporté en Italie, en pleine Renaissance. Les rues grouillent de monde, la création artistique est à son paroxysme et derrière les rideaux sombres des palais, les puissants complotent, font et défont les carrières des artistes, permettent à leur ville/région de prospérer ou de s'enfoncer dans le chaos...

C'est l'époque des cités-états, villes indépendantes, où la liberté cotoie l'oppression, où la prise du pouvoir est souvent tâchée de sang, où les Da Vinci et autres Michel-Ange ont brillé avant d'illuminer le monde de leur génie. Cet article sera consacré à la plus mystérieuse, la plus belle et une des plus puissante cité de l'époque, Venise...

Aux origines

La ville fut fondée, et c'est un grand mot, au VIème siècle de notre ère. Il s'agissait en fait au début d'un peuplement assez épars de cette zone marécageuse que la baisse du niveau de l'eau avait rendue accessible. Les diverses invasions barbares que subissait l'Italie de l'époque ont en effet poussées les Romains de la région à se réfugier dans cette zone inaccessible pour les armées barbares, notamment celle des Lombards (568 ap. JC.).

Rapidement les communautés locales s'unirent et formèrent une cité protégées non seulement par les Byzantins (Exarchat de Ravenne) mais aussi par son environnement quasi inviolable. Les autres légendes circulant sur la création de la ville en 425, sont des histoires inventées par les Vénitiens pour démontrer l'ancienneté de la ville. La cité devint un endroit d'échange et sut se placer intelligemment en intermédiaire entre l'Orient et l'Occident dans les échanges commerciaux.

Un régime politique unique

Façade du Palais des Doges donnant sur le Grand Canal.

Venise est gouvernée par les Doges jusqu'en 1797 et la prise de la ville par Bonaparte. Le Doge est une sorte de prince élu tout d'abord par une assemblée populaire jusqu'au XIIème siècle, l'arengo. Puis diverses chartes viennent réduire le nombre d'électeurs à 41, issus de grandes familles locales. Je vous épargne le long et fastidieux vote qui précède l'élection définitive du Doge, si ce n'est qu'il est intéressant de noter que le Doge doit avoir une majorité de 25 voix sur les 41, ce qui peut entrainer plusieurs dizaines de votes avant d'élire le doge

Le Doge perdra une grande partie de sa fortune dans les dépenses somptuaires et les banquets qu'il est tenu d'offrir cinq fois par an, et verra ses prérogatives progressivement diminuées par les Vénitiens. De plus sa liberté de mouvement était plus que réduite et il ne pouvait pas aller au théâtre par exemple.

Il est soutenu dans sa tâche par un conseil restreint de 6 conseillers et par les 3 inquisiteurs d'Etat, à savoir le chef des conseillers et 2 chefs des Dix (organe juridique suprême, lui-même élu par le Grand Conseil où les patriciens de la ville siègent et qui intervient aussi dans l'élection du Doge). Le véritable cœur du pouvoir vénitien réside en fait entre les mains du Grand Conseil, qui élit/nomme la quasi-totalité des hauts responsables de la ville. Ce système pourrait s'apparenter à une sorte de monarchie constitutionnelle où la totalité des votes seraient issus d'une assemblée de nobles. La politique italienne, quel casse-tête !

Parlons politique extérieure

La cité italienne avait deux grandes rivales, Gênes et Constantinople :

Contre la première, ce fut une guerre sans merci du 13ème au 15ème siècle. Cette rivalité était due à la lutte pour le contrôle des routes commerciales vers l'Orient. La guerre de Saint-Sabas, de 1256 à 1270, fut particulièrement meurtrière et vit les ordres francs de Terre Sainte prendre partis pour l'une ou l'autre cité. Les Gênois s'appuyèrent entre autre sur l'Ordre des Hospitaliers et l'Empire de Nicée, tandis que les Vénitiens s'appuyaient sur les Templiers et le comté de Jaffa. Les Vénitiens saccagèrent notamment les quartiers Gênois en Terre Sainte et les Gênois répliquèrent en s'alliant avec l'empereur byzantin pour former une armée qui attaqua les possessions de leurs ennemis. Un accord fut finalement trouvé, à l'issue de 14 années de guerre ! L'état de conflit semi-permanent continua encore quelques décennies puis, alors que Gênes s'enfonçait dans des divisions internes, Venise continua son expansion, son régime politique étant inoxydable. Finalement la prise de Constantinople par les Turcs (1453) redistribua les cartes et les deux villes choisirent d'autres options de développement : la finance pour les Gênois et les conquêtes territoriales pour Venise.

Contre Byzance, la tension augmenta progressivement à partir du XIIème siècle, Venise faisant progressivement concurrence à son ex-protectrice. Mais les Byzantins avaient besoin d'une flotte puissante et ils laissèrent les Vénitiens prospérer à l'intérieur de leur capitale, où le quartier vénitien comptait jusqu'à 10 000 personnes au XIIème siècle ! Mais les exemptions de taxe dont bénéficiaient les Italiens installés à Constantinople mettent le trésor de l'Empire très en difficulté et en 1171, l'empereur Manuel Comnènes les expulse et confisque leurs biens. Mais les Vénitiens se vengeront quelques années plus tard, quand ils détourneront la quatrième croisade sur la ville en 1204, et qu'ils reprendront leurs biens et l'exclusivité sur le commerce oriental !

Venise menait donc une politique résolument offensive et directe bien que pleine de maitrise diplomatique et n'hésitait pas à détourner une croisade pour se venger d'un ancien état ami. Tout ceci fut rendu possible par la stabilité exceptionnelle de son état, son fort esprit indépendant et par sa volonté de conquêtes territoriales et commerciales.

Un peu d'art...

L'Assomption de la Vierge , 1516-18 Église Santa Maria Gloriosa dei Frari. Par Le Titien.

Mais la ville n'est pas seulement connue pour son commerce et ses guerres, l'art y tenait aussi une place importante. Ainsi au cours du XVIème siècle, une école vénitienne se développa et trois grands maîtres s'en détachèrent : Giorgione, Le Titien, et Sebastiano Del Piombo. En effet, pour le cas du Titien notamment, dès 1510, l'Italie subit une véritable hécatombe dans les effectifs de ses Grand-Maîtres : Giorgione, Bellini, Da Vinci...

L'école de Venise y perd ainsi la plupart de ses grands noms, et la reconnaissance du Titien qui fut particulièrement vive à son époque tient autant de son talent que de son « nez » pour les affaires. Il n'hésite pas à élargir sa clientèle hors d'Italie, et s'affirme comme le Maestro incontesté de l'école vénitienne, aussi bien autant auprès de la nouvelle génération que de l'ancienne. Un vrai vénitien en somme…

Petite conclusion épique

Des fourrures du Roi de France aux tonneaux de vins des Suisses, des draps de bains du Pape aux épées des Florentins, toute la marchandise de nos ancêtres passait par Venise, véritable pôle culturo-commercial du Bas-Moyen-Age et de la Renaissance. Car cette ville qui séduit aujourd'hui encore les visiteurs dès le premier regard, joue toujours une douce mélodie qui résonne dans le cœur de chaque homme, celle de la liberté de créer, d'entreprendre, de rêver, celle des Galilée et autres Vespucci, la liberté du marchand vénitien qui n'hésitait pas à s'aventurer entre Damas et Constantinople, et ce à une époque où la sécurité maritime était par endroit plus qu'approximative ! Des salles somptueuses du palais des Doges aux gondoles hors de prix, tout vous fera rêver, enfin si vous êtes sensible à l'art, à l'Histoire, et accessoirement à Assassin's Creed 2 bien sûr ! Car si il est bien un pays où expérimenter le syndrome de Stendhal (sans excès tout de même, un peu de tenue), c'est bien l'Italie du Quatrocentto, période bénie entre toute pour cette région et qui, plus de 400 ans plus tard, fait toujours venir des millions de personnes baver devant ses chefs-d'œuvres et son Art de vivre !

Bibliographie

  • Histoire de Venise, de John Norwich
  • La Venise des Doges : Mille ans d'Histoire, de Amable de Fournoux

Films à regarder sur le sujet

  • Le Marchand de Venise, de Michael Radford, avec Jérémy Iron et Al Pacino, inspiré de la pièce de Shakespeare

Jeux vidéo

Je dédicace cet article à Venise et François Defer

  • Da Veenci Le Bernard de la Villardière, Ancien membre d'HistoriaGames
  • « Vivant, il a manqué le monde. Mort, il le possède » écrit Chateaubriand à propos de Napoléon.