Époque contemporainePremière Guerre mondiale
1914, les Falklands : Coup d'arrêt à von Spee
Le 8 décembre 1914, des navires de la Royal Navy ouvrent le feu sur l'escadre allemande d'Extrême-Orient de l'amiral von Spee au large de l'archipel des Falklands. Cette dernière frappe impunément les voies maritimes alliées depuis quelques mois et s'est même payé le luxe de mettre en fuite une escadre britannique à la bataille de Coronel (lire notre article). Mais, sans le savoir, von Spee vient de se jeter dans un piège mortel...
Une bataille de rencontre
La défaite de la bataille de Coronel est très mal accueillie par l'opinion britannique. Après quelques déboires à Scapa Flow et en Hollande - où trois croiseurs ont été coulés - ainsi que le bombardement de ports anglais, la nouvelle de la défaite provoque de vifs débats. C'est Louis de Battenberg, le premier Lord de l'Amirauté, qui en fait les frais. D'origine allemande et pris en mal par l'opinion publique, il doit démissionner. Pour le remplacer, c'est John Arbuthnot Fisher qui est désigné.
L'un de ses premiers objectifs est de venger la perte de Cradock et rétablir l'honneur perdu à Coronel. Souhaitant mettre toutes ses chances dans une victoire, Fisher préconise de lever une puissante flotte, ainsi composée :
- Deux croiseurs de bataille modernes et puissants : HMS Invincible & HMS Inflexible, chacun doté de canons de 305 mm et pouvant atteindre une vitesse de 25,5 nœuds, faisant d'eux des navires les plus rapides du moment pour leur catégorie.
- S'ajoutent aux deux mastodontes les croiseurs-cuirassés HMS Carnarvon, HMS Cornwall et HMS Kent ainsi que le HMS Bristol issus de la flotte de la Méditerranée en prévision des combats des Dardanelles.
Pour cette mission, c'est l'amiral Sturdee qui est placé à la tête de cette flotte. Le reste de la flotte de Cradock, à savoir le HMS Canopus et le HMS Glasgow, reçoit l'ordre de fusionner avec la formation arrivant de l'Atlantique Nord.
Pendant ce temps, l'amiral Von Spee tergiverse entre ce qu'il doit faire et les consignes reçues par son amirauté. Son but premier est de passer le Cap Horn afin de rejoindre la métropole ou attaquer les navires marchands britanniques dans l'Atlantique Sud.
Finalement, il opte pour la seconde option malgré la mise en garde de son amirauté. Il décide de se porter sur les Falklands. En y effectuant un raid, il espère pouvoir s'y établir pour s'en servir comme point d'appui lorsqu'il attaquera les navires commerciaux britanniques.
Néanmoins, le vice-amiral Sturdee arrive à lire dans le jeu et les intentions de Von Spee. Il porte sa flotte à toute allure en direction des Falklands. Le Britannique dispose d'un atout redoutable : la vitesse de ses navires. Von Spee, lui, perd du temps à faire des arrêts pour charbonner plus que de raison... Mais le 2 décembre 1914, son escadre dépasse le cap Horn sans se faire détecter. Il est même contraint de passer près des côtes suite au temps néfaste pour ces navires.
Partis le 10 novembre 1914, le HMS Invincible et le HMS Inflexible arrivent le 7 décembre dans la rade de Port Stanley où les attendent les autres navires de guerre britannique.
Avec à peine 24 heures de retard, l'amiral von Spee arrive le matin du 8 au large de ce même port où la vigie lui signale deux croiseurs de bataille anglais...
Deux chefs, deux trajectoires différentes
Maximilian Von Spee est né le 22 juin 1861 à Copenhague. À l'âge de 17 ans, il rejoint la marine impériale en 1878. Il débute en tant que lieutenant affecté à la canonnière Möwe, qui opère en Afrique de l'Ouest, où, avec d'autres officiers, von Spee aide à établir de nouvelles colonies comme le Cameroun et le Togoland.
Entre 1887 et 1888, il dirige différents ports au Cameroun avant de retourner en Allemagne en 1889 suite à des soucis de santé. Il s'y marie avec Margareta Baroness von Der Osten-Stacken. De cette union naîtront trois enfants, deux garçons et une fille. En 1897, il est affecté en Asie de l'Est et est placé sous le commandement du vice-amiral Otto von Diederichs où il participe à lutter contre la rébellion des boxers en 1900.
Puis, à partir du début des années 1900 à 1910, il gravit les échelons en passant de capitaine de corvette à capitaine de frégate, et Seekapitän en étant affecté à divers navires comme le cuirassé SMS Brandenburg. En 1908 il est adjoint à l'état-major de la station de la mer du Nord avant de devenir contre-amiral en 1910. C'est à la fin 1912 qu'il est affecté à l'escadre d'Extrême-Orient pour mener une guerre de course à bord du SMS Scharnhorst.
Doveton Sturdee, lui, est né le 9 juin 1859 à Londres. Héritier d'une famille de marin, dès son plus jeune âge (12 ans) il intègre la Royal Navy School à New Cross avant de devenir cadet le 15 juillet 1871.
En février 1880, il passe lieutenant et embarque à bord du HMS Hecla de la flotte méditerranéenne. Il participe au bombardement de la ville d'Alexandrie deux ans plus tard, ce qui lui vaut déjà une médaille et l'admiration de ses supérieurs.
À la fin des années 1880, il se spécialise sur les navires torpilleurs et monte - lui aussi - les échelons jusqu'à devenir commandant en 1897 sur le HMS Porpoise. En 1889, il est en première ligne pour gérer les tensions entre l'Allemagne et les États-Unis vis-à-vis des îles Samoa. Reconnu pour ses talents de leader et de gestion, il est promu capitaine et investi par la Reine d'Angleterre en 1900.
De 1900 à 1912, il effectue de nombreux passages sur des cuirassés et ne cesse d'être reconnu. Il passera par l'état-major de la flotte de la Méditerranée, puis par l'état-major de la flotte de la Manche, promu aide de camp du roi en 1907 et contre-amiral en 1908. C'est le 13 décembre 1913 qu'il devient vice-amiral. Le tout en ayant été passé par le rang de commandant de l'Ordre Royal de la Victoria et Chevalier Commandeur de l'Ordre du Bain.
Ultime duel
Les Britanniques sont totalement surpris par l'apparition des navires allemands. Et pour cause : la multiplication des rapports alarmistes s'avérant faux depuis quelques jours a participé à la baisse d'attention des marins de Sturdee.
À 8h14, alors que les navires allemands apparaissent à l'horizon, la flotte britannique reçoit l'ordre d'appareiller et de quitter en toute vitesse la rade de Port Stanley : hors de question de s'y faire coincer, sans possibilité de manoeuvre ! Mais là encore, aucun des navires britanniques n'est vraiment prêt au combat ; si certains ont déjà réapprovisionné, beaucoup ne sont qu'au début de leurs opérations de charbonnage.
Le HMS Kent est envoyé par Sturdee pour soutenir le HMS Macedonia qui se trouve à l'entrée de la passe et fait office de sentinelles. Maintenant, Sturdee n'a plus rien à faire, il doit attendre que ses hommes et ses navires se mettent en branle ; de plus, les pièces de 304,8 mm du HMS Canopus veillent sur la flotte britannique... Ce navire relativement ancien a été échoué volontairement sur le rivage pour servir de batterie côtière ; dissimulé aux yeux des Allemands, il peut toutefois suivre leur progression grâce à un poste d'observation à quelques mètres de là.
Les informations transitent le plus vite possible vers Sturdee : les Gneisenau et Nürnberg sont en tête de l'escadre allemande, tandis que le reste suit à bonne distance.
Von Spee est surpris lorsque, à 9h20, la tourelle avant du HMS Canopus ouvre le feu et manque de peu les deux navires allemands de tête. Son escadre est divisée en trois groupes, l'empêchant de réagir efficacement... et surtout, les mâts et cheminées des navires britanniques commencent à apparaître au loin. Il n'a pas le choix : il doit s'échapper de ce guêpier. Les Britanniques, eux, décident d'avancer en ligne, et petit-à-petit, de nombreux navires sortent de la rade.
À 11h15, la flotte allemande s'est regroupée et fuit vers le sud-est, mais Sturdee dispose de nombreux navires aux performances variées : les plus lents sont à la peine, l'obligeant à ordonner à ses « lourds » de ralentir.
À 12h47, le croiseur léger Leipzig, en queue d'escadre allemande, est à portée des canons britanniques, qui commencent à le pilonner sans mettre de coups au but… avant que von Spee ne réagisse comme Sturdee l'attendait : en fractionnant ses forces pour semer l'adversaire.
Mais la confrontation est inévitable : à 13h44, un obus allemand frappe le HMS Invincible, sans lui infliger de dommages. Gênés par la fumée de tant de navires concentrés, les Britanniques ne parviennent pas à mettre suffisamment de coups au but sur le Scharnhorst, qui essuie quelques tirs.
Dans une manoeuvre osée, une heure plus tard, Sturdee approche ses navires de l'adversaire (tout en jouant avec leur portée maximale), puis à 15h10, le Gneisenau et le Scharnhorst sont touchés par plusieurs volées. Ce dernier n'est bientôt plus qu'une épave flottante, les obus britanniques labourant toutes les parcelles du navire ; von Spee décide alors de sacrifier son navire pour permettre, pense-t-il, au Gneisenau de s'échapper.
Peine perdue : les pièces britanniques détruisent ce qu'il reste sur le Scharnhorst, et à 16h, alors que son navire gîte de plus en plus, von Spee envoie un dernier message au Gneisenau : « Si vos moteurs sont encore intacts, fuyez si vous êtes en mesure de le faire ».
À 16h15, le Scharnhorst se retourne, ses hélices battant les airs, et coule en l'espace de deux minutes. Le Gneisenau est loin d'être sorti d'affaire, car le sacrifice du Scharnhorst n'a servi à pas grand chose et les navires britanniques continuent de se rapprocher, leurs tirs s'avérant de plus en plus précis. Mais au bout d'une heure de combat, touché à mort, le Gneisenau n'a plus de munitions, son commandant ordonnant à l'équipage de saborder son navire avant de l'évacuer.
À 18h, le Gneisenau chavire, et seuls 176 hommes sur 850 s'en sortiront. Alors que l'amiral von Spee a coulé avec son navire, le lieutenant Heinrich von Spee, son fils, disparaît avec le Gneisenau.
Les Dresden, Leipzig et Nürnberg ont tenté de profiter de l'engagement des deux croiseurs de bataille pour s'enfuir, en vain : à 14h53, les premiers obus britanniques encadrent les trois navires. Jusqu'à 16h, les Allemands vont tenter de prendre le large tout en répliquant de manière hasardeuse, mais deux heures plus tard le Leipzig est enflammé par les obus explosifs du HMS Cornwall. L'Allemand décide de donner l'ordre d'évacuer, mais plusieurs tirs touchent encore le navire qui ne coulera que le lendemain matin. Le Nürnberg est pulvérisé en quelques minutes par l'artillerie du HMS Kent (pourtant plus ancien que lui) et coule à 19h27. C'en est fini de l'escadre de von Spee...
La fin d'une époque
En quelques heures, Sturdee a totalement renversé la situation dans l'Atlantique sud, et a lavé l'affront de la bataille de Coronel. De l'escadre de von Spee ne subsiste que le Dresden, qui a gagné un répit de quelques mois.
Surtout, Sturdee a ainsi nettoyé la zone de toute présence allemande, mettant fin à de longs mois de traque mobilisant des moyens nombreux qui seraient plus utiles sur d'autres fronts. Si les Britanniques ont perdu 10 hommes seulement, les pertes allemandes sont à la hauteur de l'hécatombe avec 1871 morts et seulement 215 prisonniers.
Une question demeure en suspens : pourquoi von Spee a-t-il autant traîné en route et pourquoi n'a-t-il pas rassemblé ses navires avant de passer à l'attaque ? Tous les éléments de réponse ont été engloutis avec le Scharnhorst qui repose désormais pour l'éternité au fond de l'Atlantique.
- Hammer Le petit Napoléon, Ancien membre d'HistoriaGames
- "Ce qui ne me tue pas me rend plus fort." Alexandre III le Grand
"Du sublime au ridicule, il n'y a qu'un pas." Napoléon Bonaparte
- Witz Rédacteur, Testeur, Chroniqueur, Historien
- « L'important n'est pas ce que l'on supporte, mais la manière de le supporter » Sénèque