La Bezen Perrot : lorsque le Triskell rencontre la croix gammée

Lio
Thématique
Seconde Guerre mondiale
1er août
2018

Janvier 1944 : Comme la majorité des Français, toute la Bretagne retient son souffle et attend sa libération... Toute ? Non ! Un petit groupe d’irréductibles bretons collabore encore et toujours avec l'envahisseur. Récit d'une des formations nationalistes bretonnes ayant préféré la voie de la collaboration avec le nazisme au nom de « la Bretagne libre ».

Le Bezen Perrot : lorsque le Triskell rencontre la croix gamméeCélestin Lainié en 1944 en uniforme SS.

En novembre 1943, la Bretonische Waffenverband der SS ou « Bezen Cadoudal » renommée « Bezen Perrot » (« Bezen » signifie « troupe » en breton) voit le jour avec à sa tête Célestin Lainé, un jeune ingénieur chimiste, séparatiste connu pour avoir tenté d'assassiner le président du conseil Édouard Herriot à la bombe en 1932.

Après avoir rejoint le PNB (Parti Nationaliste Breton), il fonde le Kadervenn (« sillon de combat » ou Service spécial) en 1936. Il s'agit d'une unité de combat, formée à la guérilla qui bénéficia de formations d’espionnage et de sabotage en Allemagne lors du rapprochement entre le IIIème Reich et les autonomistes à la fin des années 30.

Ce service spécial participa notamment à la réception d'armes provenant d'Allemagne, qui fût un échec partiel entraînant l'arrestation de nombreux membres du Kadervenn et du PNB jugés trop germanophiles. Célestin Lainé est quand à lui mobilisé et partit à la guerre dans son régiment à la grande surprise générale !

Les autonomistes et la défaite Française

À partir de juin 1940, le PNB prend un semblant de pouvoir en Bretagne. Bénéficiant du soutien de leur allié germanique, leurs moyens de communication sont décuplés (radio, journaux notamment Breizh Atao, l'heure bretonne etc...), un centre de recherche sur la culture celte est ouvert à Rennes, le breton est réintroduit dans certaines écoles laïques, l'espoir grandit pour les autonomistes !

De plus, leur « armée » est en pleine composition avec les « Bagadoù stourm » menés par Yann Goulet qui souhaite en faire la colonne vertébrale de la future Bretagne indépendante et qui voit ses effectifs gonflés à une centaine de membres environ.

Le Bezen Perrot : lorsque le Triskell rencontre la croix gamméeRassemblement du Bagadoù stourm

Pensant surfer sur la vague de la défaite pour lever la population contre le pouvoir central en place sous Pétain, le PNB fait chou blanc en voyant la population locale refuser leur proposition de révolution.

Les Bretons souhaitent en majorité réintroduire la culture bretonne (notamment la langue) au goût du jour sans pour autant faire scission avec la France, qui est leur pays avant tout.

De plus, le PNB n'a pas que des alliés en Allemagne. Bien que très enclins à se montrer solidaires avec leurs « amis celtes », les Allemands ne souhaitent pas froisser Pétain en imposant l'indépendance.

Enfin, leur donner une autonomie totale ne leur laisserait plus la main mise sur des ports stratégiques comme Brest ou Lorient.

C'est donc une double déception au PNB qui va entraîner une guerre intestine entre le camp de Lainé d'une part et Delaporte (chef du parti) / Goullet de l'autre. Ces derniers, sentant le cours de la guerre tourner, ne souhaitent plus collaborer étroitement avec l'envahisseur et préfèrent garder leurs distances.

Le Bezen Perrot : lorsque le Triskell rencontre la croix gamméeDrapeau de la Bezen Perrot

En revanche Lainé, persuadé d'une victoire imminente du Reich, souhaite collaborer d'avantage en créant une unité de combat chassant les FTP (Francs Tireurs Partisans) qui sont pour lui une cible prioritaire car ils mettent en danger les nationalistes.

Son initiative de créer une milice pour traquer les résistants est une aubaine pour les autorités allemandes qui voient une multiplication des maquis dans toute la France depuis l'été 1943 et qui peinent à trouver des effectifs pour leurs troupes, déjà fortement sollicitées sur les autres fronts.

Le groupe Bezen Perrot est donc créé, il porte le nom « Perrot » en référence à un abbé collaborateur, ami de Lainé, qui a été assassiné un mois plus tôt par deux résistants communistes. Il comporte une soixantaine de membres issus principalement du service spécial, mais également du « Bagadoù stourm » ainsi que des réfractaires du STO. Ces derniers seront rattachés au SD (Sicherheitsdienst, service de renseignement et de maintien de l'ordre de la Waffen-SS) de Rennes. Une partie portera un uniforme de Waffen-SS en mars 1944 alors que d'autres resteront en civil.

Le Bezen Perrot : lorsque le Triskell rencontre la croix gamméeDrapeau du Bagadoù stourm

Groupe auxiliaire de l'occupant

Le Bezen Perrot se verra attribuer plusieurs tâches, en premier lieu la garde du QG du SD ainsi que les résistants qui y sont retenus prisonniers ; leur « fiche de poste » va s'agrandir les mois suivants.

La connaissance de la langue bretonne par les membres de cette unité est leur atout principal. Elle va leur permettre d'infiltrer les maquis et de soutirer des informations auprès de la population locale. Se faisant passer pour des résistants, ils vont à la rencontre de chefs de réseaux qu'ils arrêtent ensuite avec l'aide des Allemands et d'autres collaborateurs (le Kommando de Landerneau et la milice du Parti Populaire Français).

On peut citer en exemple l'adjudant Lambert, chef du maquis de Broualan, qui fût arrêté avec une dizaine de ses hommes. Dévêtu et humilié, il sera abattu d'une balle dans la tête au bord d'une petite route.

Ce procédé fut utilisé à de nombreuses reprises et plusieurs charniers ont étés retrouvés par la suite dans les forêts bretonnes dont on soupçonne les membres du Bezen Perrot d'en être les instigateurs, notamment celui de Locminé qui contenait 52 cadavres lors de sa découverte.

Certains membres dont un dénommé « Péresse » feront preuve d'un zèle sans limites en ce qui concerne les interrogatoires et le traitement des prisonniers. L'homme était si violent que même certains membres du SD étaient choqués par ses méthodes, ce qui lui valut d'être recadré à plusieurs reprises par Lainé.

Les résistants ne seront pas les seuls à être directement touchés par la frénésie des nationalistes. Ainsi, les villages occupés voient certaines de leurs fermes brûlées car soupçonnées d'aider les maquisards, des citoyens n'étant pas en accord avec les autonomistes sont passés à tabac, voire déportés parmi les résistants au cours des rafles.

Les habitants d'Uzel eux, vont connaître le Bezen d'une autre manière... Cette commune verra son école transformée en prison et salle de torture, des résistants avérés ou non en provenance de tout le département seront torturés tous les jours en ce mois de juillet 1944. Ces événements vaudront à une partie des Uzélois de rester cloîtrés, terrorisés chez eux, ne supportant plus les bruits de torturés émanant de cette école.

Le Bezen Perrot : lorsque le Triskell rencontre la croix gamméeCarte des actions du Bezen Perrot selon Kristian Hamon.
Moutarde : rafles et arrestations effectuées par le Bezen Perrot et la S.S.P.
Rouge : exécutions massives de résistants.
Bleu : centres de torture du S.D.

La fuite

Fin juillet 1944, les Américains entrent en Bretagne, semant la panique au Bezen Perrot. Certains prendront la fuite en Allemagne avec leur famille où ils décideront entre autre de continuer le combat dans la 33. Waffen-Grenadier-Division der SS « Charlemagne ».

Le Bezen Perrot : lorsque le Triskell rencontre la croix gamméeMembre de la Bezen Perrot à Tübingen en Allemagne, après la retraite.

Sur le chemin, certains participent notamment au massacre de Creney où 49 résistants emprisonnés seront sommairement abattus. D'autres encore fuiront, rejoindrons la Résistance pour tenter de se racheter une conduite ou bien de camoufler leurs méfaits.

Un autre petit nombre tentera de se faire passer en victime en se mélangeant aux prisonniers de guerre, travailleurs du STO ou bien encore aux « Malgré-nous » (Alsaciens et Mosellans engagés de force) ; cependant ils seront majoritairement arrêtés.

Après la guerre, l'Irlande et l’Amérique Latine seront un nouvel Eldorado pour la plupart des cadres du PNB et du Bezen : Yann Goulet par exemple retournera vers sa profession initiale de sculpteur une fois arrivé en Irlande.

Célestin Lainé rejoindra la même île, provoquant un sentiment d'abandon pour les nationalistes qui étaient prêts à mourir pour lui. Devant les juges, une bonne partie de ces collaborateurs feront preuve d'une étonnante amnésie, ne se souvenant de rien concernant les rafles et les actes de torture. Une dizaine d'anciens « gour » seront condamnés à mort, deux seulement seront exécutés, les autres bénéficieront de la grâce présidentielle, leur peine commuée en travaux forcés.

Le bilan

Le Bezen Perrot fût la seule unité Française combattant dans son propre pays sous l'uniforme allemand, faisant ainsi abstraction de l'accord passé entre Vichy et Berlin lors de la création de la LVF interdisant cette dernière de combattre en France.

Rejeté par la majorité de la population comme le PNB, le Bezen était vu comme un groupe de traîtres menant un combat fratricide, cherchant à lancer un élan séparatiste quasi inexistant qui aura eu au final l'effet d'un pétard mouillé.

Sources

  • Christian Bougeard, Bretagne et identités régionales pendant la Seconde Guerre mondiale.
  • Kristian Hamon, Le Bezen Perrot « 1944 : Des nationalistes bretons sous l'uniforme allemand.
  • Yves Mervin, Viens rejoindre notre armée ! 1944 une Resistance bretonne à contretemps.

En image de couverture : Une réunion du Parti national breton.

  • Lio Rédacteur, Chroniqueur
  • « On trouve toujours de l'argent pour faire la guerre, jamais pour vivre en paix. » par Albert Brie