Mais quelle est la couleur du cheval blanc d'Henri IV ?

Clodius
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Thématique
Couleur
22 juin
2018

On connaît tous cette énigme enfantine, et nombreux sont ceux à s'être mordus les doigts d'avoir répondu trop vite. Elle vient d'une légende selon laquelle Henri IV aurait posé cette question à Sully. Ce dernier lui aurait répondu "blanc", alors que bon, il était gris. Oui, Henri est plus célèbre pour ses conquêtes amoureuses que pour son humour.

Mais la question qu'on ne se pose pas en règle générale, c'est le pourquoi du choix du "Blanc". Je ne parle pas de la devinette en elle-même, mais bien de la couleur. Parce qu'en réalité, cette devinette montre autre chose que l'humour foireux du Vert-Galand (le surnom d'Henri) : le symbolisme quasi millénaire du cheval blanc.

La couleur blanche

Selon Aristote, le blanc est une des trois couleurs dite "de base", c'est a dire une des couleurs primaires du système antique, avec le noir et le rouge. On distingue d'ailleurs en latin deux de ses nuances, le blanc mat, albus, et candidus, le blanc brillant. Toutes les autres couleurs, hormis le rouge, dérivent du mélange du blanc et du noir. Même le noir se définit par une absence de blanc.

Mais quelle est la couleur du cheval blanc d'Henri IV ?Portrait équestre d'Henri IV, Jean-Baptiste Mauzaisse (1784-1844).

De plus, selon l'historienne de l'art Liz James, les anciens ne se focalisaient pas tant sur la couleur, mais sur l'aspect brillant ou mât, ou le reflet. Ainsi, on appréciait particulièrement les couleurs qui jouaient sur la lumière.

Or, dans beaucoup de civilisations, le Blanc va être associé à la pureté, à l'innocence et au pouvoir. Il va s'opposer très vite au rouge de la guerre (omniprésent par exemple dans la société romaine), pour une raison très simple : le blanc est une couleur stable, solide, par opposition au rouge, bien plus difficile à faire tenir sur un tissu et beaucoup plus onéreux.

Si les deux couleurs peuvent représenter le pouvoir, elles ne représentent pas forcément le même : le rouge, cher, représente souvent un pouvoir militariste, qu'on cherche à afficher pour impressionner. Le Blanc au contraire, de par la simplicité de son utilisation, peut représenter l'humilité, la simplicité (ce n'est pas un hasard si les montures des Saints sont souvent figurés en blanc), et le pouvoir magique, religieux. Pourquoi ? Parce que le Blanc capte parfaitement la lumière, et peut donner une impression d'aura autour des personnages ainsi dépeints.

Le Blanc : couleur des dieux, des héros, des saints... et des chevaux

Il y a une étonnante permanence de la symbolique de cette couleur, à travers les âges. Elle a été associée dans de nombreuses civilisations à une certaine conception de la divinité et de l’héroïsme. Les divinités, les saints et les héros avaient souvent une monture blanche, ou, à la limite, gris clair. Et l'on sait comme les symboles ont leur importance, dans l’Antiquité.

La raison de cette utilisation intensive du Blanc dans la représentation de la robe des chevaux est dû à l'importance de l'équidé lui-même. Il prend une part active dans de nombreux aspects de la vie de l'homme, dans l'agriculture, à la guerre, ou dans ses rites et ses légendes. Et particulièrement, le cheval blanc.

Ainsi, il est parti prenante dans le sacrifice de l'Ashvameda (dont je vous parlerai à l'occasion) ; représente chez les Scandinaves comme chez les Perses le soleil ; incarne le combat eschatologique entre le bien et le mal. Le cheval blanc possède ce qu'on appelle une fonction apotropaïque : en clair, il protège les hommes des forces obscures.

C'est donc tout naturellement, que l'étalon blanc devint la monture par excellence du héros antique : les montures les plus fameuses le sont souvent : les deux chevaux d'Achille, Xanthos et Balios, sont, en tout ou en partie, blancs. Un des nombreux surnoms de Castor et Pollux, les célèbres Dioscure, est Leukopoloi, littéralement « les possesseurs de chevaux blancs ».

C'est aussi le cas pour les personnages semi historiques ou historiques, comme Camille et César : tous les deux rentrent dans Rome, en triomphateurs, sur un char attelé de chevaux blancs. Ils représentent ainsi le symbole du statut de leur maître, d'hommes supérieurs à la norme.

Par extension, il semblent aussi représenter l'obéissance à l'ordre établi, par opposition au cheval noir, représenté comme sauvage et désobéissant. Un exemple : bien qu'on ne connaisse pas l'exacte couleur de Bucéphale, les auteurs s'accordent généralement à le gratifier d'une robe sombre, et ce pour une bonne raison : il est dépeint comme « sauvage », « indomptable », « féroce », il n'est donc pas ici question d'obéissance, Bucéphale est comme une extension de son maître, qui n'a que le monde comme limite.

Mais quelle est la couleur du cheval blanc d'Henri IV ?Alexandre le Grand su Bucéphale, bataille d'Issos. Détail d'une mosaïque romaine de Pompéi.

Dans le même registre, le héros irlandais Cuchulainn (dont on suppose, grâce aux travaux de
Francoise Leroux et Christian Guyonvarc'h qu'ils sont la résurgence de mythes celtes bien plus anciens) possède deux chevaux : Le Gris de Macha, et le Sabot Noir. Tout naturellement, c'est ce « sabot noir » qui endosse le rôle de cheval farouche, désobéissant.

Le cheval blanc par contre, semble se plier à la volonté de son maître. L'Alezan d'Achille, Xanthos, tout comme le Gris de Macha de Cuchulainn, ou le cheval de César, font preuve d’obéissance face à leur maître.

Dans les textes comme dans l'iconographie, le cheval blanc semble oppose au noir dans son caractère. Au noir, la puissance débridée, et indomptable. Au blanc, la puissance contrôlée, soumise a son maître.

De plus, Platon voyait l’âme humaine comme un chariot menée par deux chevaux, noirs et blancs, qui guide l’être en fonction de ses actes. Là encore, la dualité s'installe, si l'on imagine que le cheval blanc est celui qui guide vers le droit chemin, et le noir, laisse libre court aux viles pulsions.

Mais quelle est la couleur du cheval blanc d'Henri IV ?Saint-Georges de Lydda (XVIème siècle) icône portative.

C'est pourquoi les héros, les dieux et les saints, sont souvent représentés sur un cheval blanc : ils agissent par le biais d'une volonté supérieure, souvent divine, et la couleur de la robe indique tout autant leur puissance, que leur obéissance, leur statut de champion de l'ordre. Il en va de même pour les personnalités politiques : César et Camille sont tirés par des chevaux blancs, parce qu'ils symbolisent la force politique et l'ordre retrouvé après leur triomphe, mais aussi la volonté des dieux.

Le symbolisme du cavalier est ainsi fortement lié au pouvoir : le terme d'adventus, désignant à la base une cérémonie romaine au cours de laquelle l'Empereur était officiellement accueilli dans une ville suite à une campagne militaire (ou au cours de celle-ci) va finir par désigner les représentations artistiques de cette cérémonie, puis toute représentation cavalière de l'Empereur abattant ses ennemis. Oui, comme les célèbres représentations de Saint-Michel ou de Saint-Georges, mais avec un mec à la place du Dragon.

Le mythe du cavalier blanc

Alors, tout naturellement, on a commencé à avoir tout un paquet de légendes enrobés de cavaliers blancs. Il faut dire que le cavalier vêtu de blanc, montant un bel étalon à robe blanche pour aller sauver son peuple, c'est un véritable poncif.

Mais quelle est la couleur du cheval blanc d'Henri IV ?Stèle funéraire de Déxiléôs (394 av.J.C). Musée de la céramique, Athènes.

Depuis la haute antiquité, elle a marqué suffisamment l'imaginaire occidental pour qu'elle soit utilisée jusqu'à aujourd'hui. Si ça n'étonnera personne que les Romains croyaient à une intervention de Castor et Pollux à la bataille du Lac Régille au début du Vème siècle av. J.-C., venus se fritter avec les troupes de Tarquin sur des chevaux blancs ; et que probablement personne ne s'offusquera non plus que les Croisés aient vu une intervention de Saint Georges et Saint Mercurios à la bataille d'Antioche en 1098, le fait qu'on ait rapporté une intercession de ce type en 1914 à la bataille de Mons vous fera peut-être lever un sourcil.

Et pourtant, à Mons, le 23 août 1914, c'est bien ce que les hommes du 75e régiment d'infanterie de Brême et leurs ennemis Britanniques jurèrent avoir vu. Ces derniers semblaient perdus, encerclés, en sous-nombre. Et pourtant, d'un seul coup, les soldats du Reich se mirent à fuir, abandonnant la place aux Anglais. L'explication vint peu après : un chevalier serait apparu dans le ciel, aurait chargé les combattants allemands et ainsi provoqué leur fuite.

Des soldats des deux camps l'ont vu. Ils le certifient. Les Allemands hésitent entre Wotan et le Diable. Les sujets du roi George V sont catégoriques : le cavalier qui a surgit l'épée à la main n'est autre que Saint Georges. Les témoignages se multiplient. Ils concordent tous. Les Britanniques y voient l'expression de la bienveillance divine à leur égard et du soutien que Dieu apporte à leur cause.

Je vous rassure, tout cela n'est qu'une Fake News du plus bel effet : c'est l'oeuvre de la plume d'Arthur Machen, journaliste au London Evening News et auteur de littérature fantastique. Déjà, on peut en tirer une conclusion : la tradition de l'intercession est encore bien vivante. Mais la suite est encore plus croustillante : après avoir publié un démenti et s'être excusé d'avoir écrit une fiction inspirée d'Azincourt (sic), le démenti n'est pas reçu, et l'histoire se propage de plus belle ! On peut le comprendre, le bras de Saint Georges rassure les Anglais en guerre.

Sans doute maintenant comprenez-vous pourquoi le cheval d'Henri IV était blanc. Mais au fait... pourquoi pas rouge ? C'est une question légitime ça ! Et vous le saurez dans la prochaine partie, où il sera question, entre autres, des cavaliers de l'Apocalypse. Et non, je ne parlerais pas de Darksiders.

Sources

  • E. Dehoux, Saints guerriers, Georges, Guillaume, Maurice et Michel dans la France médiévale, (XIème-XIIIe siècle), Presses Universitaires de Rennes, Rennes, 2014, p.19.
  • Aristote, De Sensu, GF Flammarion, 2000, p.82.
  • Liz James, « What colours were byzantines mosaics ? » p.35-47, dans Medieval Mosaics, light, colors, material, Silvana Editoriale, Florence, 2000 p.35-40.
  • M. Pastoureau, D. Simonnet, Le petit livre des couleurs, Points, 2005, p.51.
  • Dion Cassius, Histoire Romaine, XLIII, 14,3
  • Tite-Live, Histoire Romaine, V, 23, 5-6
  • M. Eliade, (dir.) The Encyclopédia of Religion, Vol 6, Horses, second edition, Gale, 1976.
  • Suetone, Jules Cesar, 61
  • B. Sergent, Celtes et Grecs, Le livre des Héros, Payot, 1999, p.158.
  • A. Labbe, Une théophanie équestre : le Christ à cheval de la cathédrale d'Auxerre, Théologie christocentrique et idéologie impériale, Le cheval dans le monde medieval, p.277-299, OpenEditionbooks.
  • C.Vanderheyde, La monture des Saints Cavaliers dans l'art byzantin, Le cheval dans les societes antiques et medievales, p.201-210, Brepols, 2012.

Portrait équestre d'Henri IV, Jean-Baptiste Mauzaisse (1784-1844)

Saint-Georges de Lydda (XVIème siècle) icône portative.

Stèle funéraire de Déxiléôs (394 av.J.C). Musée de la céramique, Athènes.

Alexandre le Grand su Bucéphale, bataille d'Issos. Détail d'une mosaïque romaine de Pompéi.

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  • "Nous trouverons un chemin... Ou nous en créerons un." Hannibal Barca lors de la traversée des Alpes