La Révolte des paysans, en Angleterre 1381
En 1381, une vaste armée rebelle saccage la Tour de Londres, incendie les palais et assassine les fonctionnaires du gouvernement. Qu'est-ce qui a provoqué cette explosion populaire : les conditions socioéconomiques défavorables ou une haine admise envers le roi Richard II ? Retour sur la Révolte des paysans qui marqua l'Angleterre, alors en pleine Guerre de Cent Ans avec la France.
Le présent article abordera tout d’abord les différentes réunions entre les rebelles et l’autorité royale. Enfin, il se focalisera sur différents aspects économiques, sociaux et politiques de l’époque.
Les réunions ratées entre les révoltés et leur souverain ?
Dans la nuit du 13 juin 1381, Richard II, du haut de ses 14 ans, contemple depuis la Tour de Londres sa ville en feu, ses rues dans le chaos. Des milliers d'hommes et de femmes armés affluent dans la ville par le pont de Londres, traquant les seigneurs et les fonctionnaires.
Un des leaders de l'insurrection, l'aumônier John Ball, interpelle les rebelles, campés sur la rive sud de la Tamise à Blackheath, que « le temps leur est donné par Dieu » pour s'emparer de leur liberté. Cela ne devait pas être une révolution sanglante, mais bien un coup d'État. « D'abord, l'archevêque et les grands hommes du royaume devront être destitués... », déclare Ball, puis aussi : « ...les avocats et les juges devront être expulsés de nos terres ».
Le parti royal espère encore éviter un scénario apocalyptique en se débarrassant des rebelles avant qu’ils entrent dans la ville. Les insurgés acceptent de parlementer avec le roi à Blackheath.
Richard II s'approche prudemment en descendant la rivière à bord d'une péniche, mais n'avance pas plus loin que Rotherhithe. Les rebelles ont en effet demandé aux autorités que 15 des conseillers du roi, dont Gaunt, Sudbury et Hales soient décapités immédiatement. Aucune négociation ne semble possible, et le parti du roi se retire dans l'inquiétude.
En quelques heures, la foule traverse le pont pour entrer dans la ville. Au cours d'une nuit de confusion et de peur dans la Tour, les conseillers de Richard II débattent au sujet de leur plan d'action. Quelques-uns sont en faveur d'une réponse violente. Des centaines de chevaliers sont établis à travers Londres, et le maire de la ville, William Walworth, désire organiser une milice.
Cependant, la loyauté des Londoniens ne peut pas être connue avec certitude, les rues ne sont pas un endroit pour une bataille acharnée et le risque de perte demeure trop grand.
Le comte de Salisbury aurait conseillé au roi de négocier avec les rebelles et de leur accorder tout ce qu'ils désirent, car si l’autorité entamait une riposte armée qu’il ne pouvait pas maîtriser, l’Angleterre serait perdue.
Alors qu'une foule grandissante encercle la Tour de Londres, le roi prend sa décision. Il fait rédiger une charte et ordonne à un homme de se lever et de la lire. Celle-ci promet aux rebelles le pardon pour « toutes leurs infractions illégales », pourvu qu'ils rentrent chez eux en paix. Les autorités leur envoient une lettre détaillant leurs griefs.
La foule a pris cette faible offre avec dérision. Les conseillers rebelles ont renouvelé leur demande afin que le roi lui-même vienne leur parler. Richard envoya donc des messagers officialisant une rencontre le matin du 14 juin à Mile End : un lieu à une certaine distance de la ville et loin de ses rues.
Le roi, le maire Walworth et bien d’autres s'y rendent, laissant Simon Sudbury, archevêque de Cantorbéry et lord chancelier d'Angleterre, et le lord trésorier Robert de Hales seuls dans la Tour de Londres.
Un roi qui retourne sa veste ?
À Mile End, les rebelles exposent leurs revendications capitales à Richard II. Ils demandent notamment la fin du servage :
- Nul ne doit désormais être lié au service d'un seigneur ni à sa terre, mais il doit être libre de louer ou d'acheter sa propriété.
- La location de la propriété doit être fixée à un prix abordable de quatre pence par acre.
- Tous les hommes demeurent libres de louer ou d'acheter et de vendre des biens au marché et de porter toute plainte devant la cour du roi.
Les rebelles ont également exigé que tous les traîtres qui ont présidé à l'oppression et à la corruption soient exécutés et que tous ceux qui ont pris part à ce soulèvement obtiennent une amnistie totale.
Richard II accepte toutes ces conditions, et ce faisant, signe apparemment la fin d'une structure sociale qui avait maintenu la hiérarchie des seigneurs et des serfs pendant des siècles.
Cependant, il a également fait preuve d'équivoque en affirmant que tous les « traîtres » reconnus par la loi seraient punis à juste titre. Le roi demande par la suite aux rebelles de se dissoudre et de rentrer chez eux en paix.
Quelles que soient ses intentions, Richard II accepte immédiatement et de façon dramatique toutes les demandes des rebelles, ordonnant à 30 scribes d'émettre des chartes sur place, accordant une certaine liberté à tous les hommes des comtés. Nous ne savons pas si les rebelles l'ont cru. Quoi qu'il en soit, ils ne vont pas dissoudre leur mouvement.
Alors que les négociations se poursuivent à Mile End, un groupe séparé de rebelles, dirigé par Johanna Ferrour, entre dans la Tour de Londres et procède au saccage. Ils saisissent Sudbury et Hales, les traînent jusqu' à Tower Hill et les décapitent.
Certains historiens ont laissé entendre que le pouvoir royal avait abandonné intentionnellement le chancelier et le trésorier de la Tour, espérant que la foule serait apaisée par leur mort.
Lorsque la nouvelle de l'exécution de Sudbury et Hales parvient à Richard II, l’autorité royale se retire dans la confusion. Quant aux rebelles, ils sont à la recherche d'autres cibles à travers Londres, prenant le contrôle effectif de la ville. Parmi eux, Richard Imworth, le directeur de la prison de Marshalsea, décrit par un chroniqueur contemporain comme « un bourreau sans pitié ».
Cet après-midi-là, le roi arrive à l'abbaye de Westminster en procession avec ses conseillers, priant à l'autel, avant d'envoyer des messagers et des crieurs pour annoncer son désir d'une deuxième rencontre avec les rebelles, cette fois-ci à Smithfield.
À partir du 15 juin, Richard II rencontre enfin Wat Tyler, le plus célèbre des chefs rebelles. Tyler sort de la foule, chevauchant un petit cheval, s'approche du roi, sans s’incliner et sans enlever son chapeau. Il saisit la main du roi et la serre, le félicitant de vouloir faire la paix avec les rebelles.
Nous n'avons aucune idée de la réaction du roi, mais tous les chroniqueurs expriment l'horreur devant la brutalité et la méchanceté de Tyler. Apparemment, il aurait demandé une tasse d'eau, se serait rincé la bouche et l’aurait ensuite recrachée, avant de demander un pichet de bière qu'il aurait bu pendant que Richard patientait.
Les fidèles du roi n'ont pas accepté une telle provocation, semble-t-il. Des insultes auraient été lancées et une bagarre aurait éclatée. Puis le maire de Londres lui-même, William Walworth, fonce avec un couteau en direction du chef rebelle. Tyler est poignardé et meurt.
Les rebelles étant en surnombres, Richard II chevauche rapidement vers la foule, en proclamant qu’il est leur roi et qu'elle doit lui obéir. Pendant ce temps, le maire Walworth rentre à toute vitesse dans la ville et regroupe la milice, les chevaliers et les hommes d'armes du roi. Aussitôt, les troupes royales dispersent les opposants. Les promesses du roi ne tiennent plus, la révolte s’étend dans le pays.
Vers une fracture sociale, économique et politique ?
La Révolte des paysans est pratiquement achevée et, comme les événements vont le prouver au cours des semaines suivantes, le roi Richard n'est plus d'humeur à faire preuve de pitié envers les rebelles. Quelle ironie alors que les rebelles n'ont jamais voulu faire de mal au roi. Au contraire, les opposants s'attendaient à ce que le roi soit leur champion, qu'il éradique ses conseillers et ses dirigeants corrompus et qu’il reconnaisse l'égalité de tous les hommes, sauvant ainsi sa propre dignité souveraine.
La révolte s'est peut-être terminée dans le chaos, mais elle avait commencé à remettre en question l'organisation politique.
Même si les serfs sont certainement impliqués, il ne s'agit pas vraiment d'une révolte des paysans au sens propre du terme. La majorité de ceux qu'on peut identifier est des propriétaires fonciers, des personnes importantes jouant un rôle majeur dans leurs communautés locales : des préfets, des huissiers de justice, des jurés et des gendarmes, ainsi que des membres du clergé et des fonctionnaires locaux.
Leur idéologie est peut-être mieux saisie par John Ball, lorsqu'il prêche que dès le début, « tous les hommes sont de nature égale, et que le servage était apporté par l'oppression des hommes vilains contre la volonté de Dieu ».
Il s'agit d'un mouvement populaire qui cherche à faire évoluer la société en profondeur. Cela n'est pas limité à Londres. Dans des centaines de villages de l'Essex, du Kent, du Hertfordshire et du Suffolk, les opposants se sont levés contre les autorités locales, brûlant et détruisant les archives judiciaires et les archives de succession qui représentent les droits et les pouvoirs de leurs seigneurs.
Leurs objectifs sont avant tout politiques. Ils ont écrit leurs griefs et leurs revendications. Ils cherchent même à obtenir l'accord écrit et la reconnaissance du roi.
Ces griefs sont à la fois nombreux et légitimes. La dévastation causée par la peste noire en 1348 a eu un effet extrêmement déstabilisant sur le marché du travail, car la demande de travailleurs dépasse l'offre et les salaires augmentent.
Cependant, le gouvernement a réagi en tentant d'empêcher la population rurale de bénéficier des avantages aux dépens des propriétaires fonciers. Elle a plafonné les salaires, interdit la libre circulation et renforcé l'emprise des seigneurs sur les serfs.
Une évasion fiscale de masse ?
Le servage est au centre même du débat : le serf peut être exploité par son seigneur à tout moment. Il ne peut pas retenir ou facturer davantage pour son travail, doit rendre des comptes pour se marier ou hériter de sa position, et est tenu d'entretenir les bâtiments et les biens de son seigneur.
Les documents indiquent qu'un grand nombre d'entre eux ont été condamnés à des amendes arbitraires pour avoir tenté de trouver du travail ailleurs. Ils ont reçu des conditions punitives en échange de libertés limitées. Pour ne donner qu'un seul exemple, ils ont peut-être été autorisés à travailler pour quelqu'un d'autre, mais ils ont été contraints de revenir chaque année pour aider le seigneur pour la récolte.
Pendant ce temps, la fiscalité devient de plus en plus lourde à mesure que la guerre interminable en France se fait sentir. En novembre 1380, le parlement vote en faveur de l'imposition d'une taxe au taux forfaitaire d'un shilling par tête (c'est trois fois le taux de la première taxe, en 1377), et non plus selon la capacité de payer.
Il y a eu une évasion et un refus généralisés, et comme le printemps s'est réchauffé jusqu'à l'été de 1381, le gouvernement a mal jugé l'humeur des comtés en ordonnant une application toujours plus stricte de la taxe. Fin mai, un groupe de villageois de Brentwood, dans l'Essex, a fait appel à un percepteur d'impôts pour lui dire qu'ils ne paieraient pas un sou de plus. Il ne s'agit pas simplement d'une protestation locale de ressentiment contre une taxe punitive, mais d'un soulèvement conscient et bientôt généralisé contre la corruption et l'oppression.
Au lendemain de la révolte, il est apparu que les rebelles ont complètement perdu leur bataille. Les meneurs ont été arrêtés et exécutés. John Ball, qui avait prêché son égalitarisme si persuasif, est pendu. Toutes les concessions juridiques que Richard avait faites aux opposants ont été abrogées au Parlement le mois suivant. Le roi lui-même participe à une visite de l'Essex pour écraser les restes de la rébellion, et apparemment écarte leurs porte-parole avec des menaces de mort.
L'atmosphère avait changé et, au cours des cinquante ans qui suivirent, les rapports entre les seigneurs et leurs locataires changèrent irrévocablement. De nombreuses amendes et pénalités ont été appliquées et les loyers ont baissé. En 1381, il y avait eu des dizaines de milliers de familles non libres, liées au service de leurs seigneurs ; vers le milieu du XVe siècle, il ne restait plus que quelques rares familles, et les règles auxquelles elles servaient n'étaient appliquées que sporadiquement.
Nous ne savons pas exactement quel héritage les dirigeants de la révolte pourraient réclamer. En 1450, Jack Cade soulève une rébellion dans le Kent et avance sur Londres en inculpation du règne imparfait d'Henry VI, mais il est capturé et mis à mort. En 1549, Robert Kett a mené une rébellion qui a dépassé une grande partie de l’East Anglia. Kett est également un traître, et l'autorité associe son nom à ceux de Wat Tyler et de Jack Cade comme un sinistre manipulateur comme d'autres soulèvements aux XVIe et XVIIe siècles.
Une révolution, dirigée par Oliver Cromwell, a finalement balayé les perturbations politiques en Angleterre, elle avait un objectif radicalement différent. Les rebelles des années 1642 à 1660 menèrent leur révolution au nom de Dieu et du puritanisme, alors que les rebelles de 1381 cherchaient à construire une nouvelle société égalitaire sous la direction de leur roi.
Bibliographie
- Alastair Dunn, The Great Rising of 1381: the Peasants' Revolt and England's Failed Revolution, Stroud, Tempus, 2002.
- Christopher Dyer, Everyday Life in Medieval England, Londres et New York, Hambledon and London, 2000.
- Chris Given-Wilson, The English Nobility in the Late Middle Ages, Londres, Routledge, 1996.
- Charles Oman, The Great Revolt of 1381, Oxford, Clarendon Press, 1906.
- Sydfire Contributeur
- "En politique le choix est rarement entre le bien et le mal, mais entre le pire et le moindre mal." Machiavel