Info sur la série
Titre originalRoots
Saison1
Durée6x90 min
Genre
  • Télésuite
  • dramatique
  • historique
CréateurDavid Green
1ère diffusion23 Janvier 1977

Racines : Analyse de la série

Llalnohar
Thématique
2 novembre
2015

Pour cette partie j'ai fait le choix de ne pas traiter de la biographie du réalisateur, mais de l'homme qui est à la base du projet : Alex Haley. En effet, le triptyque télévisuel est entièrement basé sur le roman : Racines (Roots dans son titre original) qui reçut le prix Pulitzer en 1977.

Alex Haley est né le 11 Août 1921 à Ithaca (Etat de New York), son père Simon Alexander Haley et sa mère Bertha George Palmer sont tous deux enseignants. De son vrai nom Alexander Murray Palmer Haley, il obtient l'équivalent du Bac à l'âge de 15 ans. Il rejoint une université mais la Seconde Guerre Mondiale (et ses résultats moyens) le poussent à s'engager dans la garde côtière en tant que messboy (homme à tout faire) dès 1939 à l'âge de 17 ans.

C'est lors de son engagement (il restera 20 ans dans la marine) qu'il développe son talent littéraire. Il écrit à sa famille et ses amis, 40 lettres par semaine environ et autant de réponses. Il devient peu à peu célèbre sur les différents navires sur lesquels il sert et écrit (parfois contre rémunération) pour ses camarades. En février 1944, il parvient à se faire publier au sein d'un journal (scène de bataille). Ces nombreux articles publiés dans différents quotidiens nationaux vont lui permettre de monter en grade.

En décembre 1949, il est journaliste en chef (poste créé spécialement pour lui) et devient adjoint du responsable des relations publiques jusqu'en 1959, date de la fin de son activité. Une fois de retour à la vie civile, il devient écrivain à plein temps. Le Reader's Digest mais également Playboy pour lesquels il réalise des interviews (Miles Davis, Martin Luther King, Cassius Clay ou Quincy Jones). Mais c'est sa biographie de Malcom X (qu'il suivra durant plus de deux ans) qui le rendra célèbre outre-Atlantique. Publié en 1965, (soit après la mort de son sujet) le livre marque la population afro-américaine.

En 1977, son livre est vendu à plus de 6 millions d'exemplaires à travers le monde et dans le Top 10 du New-York Times des livres du XXe siècle. Mais ce n'est rien comparé à son roman Roots (qui lui donne une renommée mondiale grâce au prix Pulitzer). Fruit de 10 années de travail, recherches, voyages (il va jusqu'en Gambie où il discute avec un griot qui parvient à lui raconter l'histoire de Kunta Kinté), cette version romancée de la vie de ces ancêtres se vendra à plusieurs millions d'exemplaires dès la première année, servant de base pour l'enseignement de l'Histoire dans plus de 500 universités américaines et traduit en 37 langues.

L'œuvre est très rapidement adaptée pour la télévision par la chaine ABC. C'est là encore un véritable succès. 100 millions de téléspectateurs en moyenne, avec un pic à 130 millions (plus d'un étatsunien sur deux). Près de 85 % des foyers américains équipés d'une télévision avaient vu au moins un des huit épisodes. Mais Alex Haley est rapidement poursuivi pour plagiat par Harold Courlander, auteur d'un livre intitulé "The African" ("L'Africain"). Il parvient finalement à un accord et paye 650 000 dollars de préjudice. En 1988, il est à nouveau inculpé mais il est innocenté.

Alors qu'Alex Haley affirme être le descendant de Kunta Kinté, certains généalogistes et historiens qui ont repris ses recherches, montrent que l'histoire ne colle pas. Si un esclave nommé Toby a bien été retrouvé à cette époque, il figurait déjà dans les registres en 1762, soit 5 ans avant la date donnée par Haley, et il est décédé avant la naissance de ses descendant(e)s supposé(e)s.

Il continue à écrire sur différents sujets jusqu'au 10 Février 1992 date à laquelle il meurt d'une crise cardiaque dans le Tennessee (Etat dans lequel il avait vécu avec sa famille durant son enfance). L'homme et son œuvre restent malgré les controverses, fondamentaux dans la prise de conscience des Etats-Unis de son histoire. Il permit aux Blancs de mieux comprendre l'histoire des Noirs, et avait symboliquement aidé les Noirs américains à faire partie de la communauté nationale américaine (parole d'un journaliste du Times). Il a aussi suscité un intérêt des afro-américains et des Noirs de la diaspora pour l'Afrique et pour leurs racines (grâce aux nouvelles technologies en génétique, il est possible de savoir d'où proviennent certains ancêtres).

Contexte historique

Durant l'écriture, la réalisation et la diffusion de Roots (Racines), les Etats-Unis vivent une page cruciale de leur Histoire « Sociale » : Le Mouvement afro-américain des droits civiques.

Si l'esclavage est aboli aux U.S.A. dans la totalité des Etats depuis le discours d'Abraham Lincoln du 1er Janvier 1863 (texte appliqué qu'à partir du 18 Décembre 1865 dans ¾ des Etats), les afro-américains libres ne sont pas pour autant égaux aux blancs. En effet, les Etats du Sud, pratiquent encore l'esclavage ou des systèmes proches (le Ku Klux Klan est fondé le même jour que le discours de Lincoln). Pour autant, les anciens esclaves ne se sentent pas en sécurité et fuient vers les Etats abolitionnistes du Nord.

L'esclavage est remplacé par des lois ségrégationnistes. Si tous les citoyens étatsuniens sont libres, ils ne sont pas pour autant égaux. Places dans les bus, fontaines différentes, écoles, quartiers, bâtiments, emplois, droit de vote, … Le pays est divisé entre citoyens de plein droit (blanc) et citoyens de seconde zone (afro-américain).

Dans les années 50/70, les Etats-Unis vont connaitre de nombreux soulèvements publics, fondés sur une jeunesse de plus en plus éduquée et menée par des orateurs (Martin Luther King), des inconnues (Rosa Parks), des religieux (Malcom X) et des sportifs (Tommie Smith ou Mohammed Ali). Des associations telles la NAACP ou l'UNIA vont pousser les cours-suprêmes à rendre des décisions en faveur de l'égalité des droits. Mais ces mouvements pacifistes vont côtoyer des mouvements violents tels les Blacks Panther, réponse aux mouvements ségrégationnistes, xénophobes et militants pour la suprématie blanche tel le Ku Klux Klan.

Il est intéressant de noter que pour certains historiens de cette période, de ces mouvements,Roots est une pierre angulaire, permettant aux afro-américains, à la fois de s'identifier comme citoyens étasuniens à part entière, mais également comme communauté ayant un passé, une histoire de l'autre côté de l'Atlantique. Petite anecdote pour finir, d'autres historiens, sociologues, philosophes considèrent que le mouvement des afro-américains des droits civiques n'est pas terminé, malgré la double élection de Barack Obama à la Maison Blanche, les citoyens noirs font encore l'objet de discrimination parfois mortelle : meurtres de Ferguson ou dans l'Ohio en juillet 2015, 42% des prisonniers dans le couloir de la mort sont noirs, …

Description du premier épisode

1750, Gambie, Afrique de l'Ouest, alors qu'un homme fait les cents pas devant sa case, une femme hurle de douleur en tentant de mettre au monde un enfant. Il s'agira finalement d'un garçon. Ce dernier est présenté aux cieux afin qu'Allah puisse le « baptiser » (scène qui sera plus tard reprise par les studios Disney pour le Roi Lion), il s'appellera Kunta Kinté.

15 ans plus tard à des milliers de kilomètre, Annapolis, Etat du Maryland, 13 colonies, le Capitaine Thomas Davies reçoit le commandement du Lord Ligonier, navire en charge de rapporter du Tabac en Angleterre, puis des objets manufacturés vers l'Afrique et enfin pour le voyage retour des esclaves.

De retour à Djouffouré (village natal de Kunta), l'enfant est maintenant un adolescent de 15 « pluies » qui garde le troupeau de chèvres de son père. Alors que Kunta discute avec un ami de la future cérémonie qui fera d'eux des hommes, un léopard attaque et tue une chèvre qui s'apprêtait à mettre bas. Kunta s'oppose au fauve mais il sera trop tard. Au même moment dans le port d'Annapolis, le Capitaine discute avec son second, M. Slater. Ce dernier est à son 18e voyage transatlantique et charge dans le navire, chaînes, colliers, poucettes (objets de torture) et autres fers à marquer. Si M. Slater semble ravi de la situation, le capitaine Davies, pour qui ce type de cargaison sera une première, semble mal à l'aise. Mais les arguments de M. Slater le convainquent de lever l'encre direction le vieux continent.

En Gambie, Kunta est enlevé par les hommes du village avec tous les autres jeunes de son âge. Il est conduit en forêt où l'attend le Kintango, sorte de chef militaire, en charge de la formation des futurs guerriers. Durant plusieurs mois, Kunta Kinté apprend l'art de la guerre, ce que signifie être un homme pour les mandingues. Il fait également la connaissance d'un guerrier, spécialiste de la lutte (sport national aujourd'hui notamment au Mali). Au cours d'une mission qu'il lui est confiée par le Kintango, il croise le chemin d'esclavagistes blancs qui viennent de capturer quelques noirs.

Le Capitaine Davies accoste finalement sur les côtes gambiennes. Il rencontre le chasseur d'esclave (précédemment vu en forêt par Kunta) qui négocie le prix de la marchandise. Le capitaine est en proie au doute, ce bon chrétien peut-il participer à ce voyage ?

Les jeunes mandingues devenus adultes retournent au village avec leurs armes de guerrier. Mais la rencontre avec les blancs a mis sur les gardes le village. Kunta emménage dans sa case personnelle (construite par son père durant l'initiation). Alors qu'il est à la recherche d'un tronc pour confectionner un tambour pour son petit frère, Kunta est pris en chasse par l'esclavagiste et ses hommes de main. Il est finalement capturé après avoir tué l'un des assaillants. Il est enchaîné et rapporté sur la côte où est encré le Lord Ligonier.

Finalement Kunta et les 170 autres esclaves sont embarqués et arrimés dans l'entrepont. Le mal de mer, la chaleur et les excréments rendent rapidement l'endroit suffoquant, les premières maladies apparaissent après seulement 3 jours de voyage. Les hommes et femmes sont sorties de temps à autre pour les laver (des sceaux d'eau de mer leur sont simplement jetés [mettant à vif les plaies dûes aux chaînes]) et ils sont forcés à danser afin de les garder en condition physique. M. Slater défend ces traitements auprès d'un capitaine toujours tiraillé entre son devoir de Capitaine et son devoir de chrétien. Son questionnement s'amplifie lorsque M. Slater apporte une esclave dans la cabine du capitaine pour le « réchauffer ». Baines s'insurge contre ce comportement et interdit que de tels actes aient lieu sur son bâtiment (sans que cela soit suivi d'effet).

Finalement, nous quittons Kunta Kinté en pleine discussion avec le maitre lutteur, compagnon de tragédie sur le navire, qui met en place une rébellion malgré les différences de langage entre les différents villages qui composent la marchandise.

Analyse de l'œuvre

Roots a connu un succès tout autant populaire (retourner voir les audiences plus haut) que professionnel : Emmy Award 1977 : Meilleure télésuite dramatique ; Emmy Award 1977 : Meilleur scénario pour l'épisode 2 ; Emmy Award 1977 : Meilleur acteur dans une série dramatique pour Louis Gossett Jr. ; Emmy Award 1977 : Meilleure actrice dans un second rôle dans une série dramatique pour Olivia Cole ; Emmy Award 1977 : Meilleur acteur dans un second rôle dans une série dramatique pour Edward Asner ; Emmy Award 1977 : Meilleur montage pour l'épisode 1 ; Emmy Award 1977 : Meilleure réalisation pour l'épisode 1 ; Emmy Award 1977 : Meilleure musique pour l'épisode 1 et Golden Globes Award 1978 : Meilleure télésuite dramatique.

Et est aujourd'hui une référence culturelle : dans The Big Bang Theory le docteur Sheldon Cooper offre un coffret du téléfilm à la responsable des Ressources Humaines de l'Université (une afro-américaine). Des chanteurs du monde entier des années 80 à aujourd'hui font référence au personnage de Kunta Kinté (avec plus ou moins d'intelligence).

Il est vrai que la série (ou tout du moins ce premier épisode) nous emporte dans un monde que nous avons tous étudié à l'école, mais que nous avons du mal à appréhender. Cette plongée dans l'Afrique (nous reviendrons par la suite sur la représentation qui est faite de ce territoire), puis sur le navire (et par la suite aux États-Unis) se veut d'un réalisme saisissant. Et il est vrai que très rapidement le téléspectateur se met à la place de Kunta Kinté, il ressent sa joie auprès des siens, puis sa peur au contact des blancs et l'horreur enfermé dans l'entrepont.

Les acteurs ont été choisis avec soin, Alex Haley a d'ailleurs eu son mot à dire, notamment sur la « couleur » : les producteurs souhaitaient des acteurs plus clairs, mais finalement Haley eu le dernier mot avec des personnages très noirs. Les décors et particulièrement le Lord Ligonier véritable réplique du navire du même nom, construit en 1763 et ayant effectivement transporté des esclaves dans la seconde moitié du XVIIIe siècle permet une immersion totale dans cet enfer entre mer et ciel qui fut le lieu de vie de plus de 2 millions d'esclaves durant 3 à 6 semaines.

Cet épisode prend également le pari d'expliquer l'esclavage avec les arguments d'époque grâce au personnage de M. Slater, le second du navire. En effet, ce dernier doit expliquer à plusieurs reprises en quoi l'esclavage est bon, utile et ne remet pas en cause le christianisme. On retrouve dans sa bouche les arguments portés par les gouvernements laïques et religieux depuis la Controverse de Valladolid.

Le premier argument mis en avant est le paganisme des tribus africaines. La situation des mandingues et du village de Kunta Kinté n'est pas très claire. Depuis le début de l'épisode, Omoro (le père de Kunta) parle d'Allah mais le village suit encore les traditions, le rite d'initiation des jeunes, la présence d'un chamane, les tenues traditionnelles, … Pourtant la tribu est bien musulmane, lorsque Kunta est enfermé dans le navire, il se met à prier Allah. Depuis le début de la colonisation de l'Amérique, l'Europe a pour mission d'évangéliser les tribus amérindiennes et africaines. C'est l'argument majeur mis en avant (et le premier) par M. Slater.

L'esclavage est également bon et nécessaire pour les « noirs ». Les africains sont issus d'une « race » inférieure née pour être esclave. « C'est l'ordre naturel des choses » ; « c'est bon pour eux ». Slater met également en avant le fait qu'avec l'esclavage, les blancs sauvent les africains, ces derniers pratiqueraient le cannibalisme. Slater va même jusqu'à justifier le viol des esclaves sur le navire, n'enlevant rien aux prix de vente, permettant aux hommes de se distraire et ces dernières apprécieraient même la situation.

Si aujourd'hui tous ces arguments ont été depuis longtemps relégués par la science, la philosophie et le « bon sens », il est intéressant de noter que le « méchant » de ce premier épisode est loin de l'être avec un regard de contemporain. La science, la religion, les gouvernements soutiennent et encouragent la pratique de l'esclavage.

Mais cet épisode n'a pas que des qualités, en effet, le film a été tourné en intégralité aux USA, ce qui explique que les scènes sensées se dérouler en Gambie soient entrecoupées d'extraits de documentaire animalier afin de simuler un environnement inexistant. Ceci implique également un manque de réalisme de ces passages et un manque d'attachement pourtant crucial pour marquer le déracinement que connait Kunta.

D'un point de vue historique, il ne semble pas y avoir de grosses erreurs. Même si Roots se place dès l'introduction comme : « Une histoire vraie », mettant en avant les travaux de l'auteur alors que l'on sait que ces derniers sont scientifiquement erronés. Toujours dans cette introduction, nous pouvons noter un anachronisme avec l'utilisation des termes « civilisation américaine » pour parler de l'avant-guerre de sécession. Certes nous avons bien « une fresque historique » devant nous (et encore plus lorsque l'on rajoute les deux autres volets de ce triptyque).

Nous pouvons également noter un jeu d'acteur qui a quelque peu vieilli (ajouté à une traduction française moyenne) et qui nous parait aujourd'hui quelque peu dépassé et sur-joué. Pour autant le message passe toujours.

Pour beaucoup d'hommes politiques américains (moins en France, ce qui est peut-être regrettable mais traduit le malaise qui entoure le sujet) militent pour que cette série, ce roman, soit étudié à l'école, ou projeté régulièrement à la télévision, afin de rappeler (telle la Shoah) le passé esclavagiste des États-Unis (et de l'Europe).

  • Llalnohar Le Prof, Ancien membre d'HistoriaGames
  • "Un peuple qui oublie son passé se condamne à le revivre." Winston Churchill