Info sur le film |
Titre originalThe Last Duel |
Durée152 minutes |
GenreDrame historique |
RéalisateurRidley Scott |
Sortie13 octobre 2021 |
The Last Duel, ou comment la politisation à outrance peut nuire à la qualité d'un film
Dites, vous vous souvenez de la dernière fois où vous êtes allé au cinéma pour voir un film à gros budget sans remarquer à quel point il était politisé et gangréné par des agendas politiques et des idéologies de tout genre et de tout bord ? Moi, clairement pas.
C'est que ces derniers temps, les réalisateurs et les producteurs de blockbusters ont une fâcheuse tendance à toujours aller plus loin pour chercher à enfoncer dans l'esprit de leurs spectateurs, sans la moindre subtilité et tels des éléphants équipés de marteaux piqueurs dans un magasin de porcelaine, des messages moralisateurs et culpabilisants venant dénoncer telle ou telle injustice marquante de notre époque.
Dans le cas spécifique d'un film historique traitant d'une époque ancienne, inutile de dire que le résultat est bien souvent des plus bancal tant le décalage entre les mœurs de l'époque présentée et ceux de notre société actuelle est immense. L'Histoire se retrouve ainsi jugée selon les standards de 2021 et maltraitée, dans l'indifférence générale de la grande majorité du public qui ne remarque pas le simulacre se déroulant sous ses yeux, feint de ne pas le voir ou choisi sciemment de n'y accorder aucune importance...
Alors, oui, qu'on se le dise d'entrée de jeu : le cinéma hollywoodien a toujours été une arme politico-culturelle au service du « soft-power » américain et tous les films en étant issus ont toujours été, à des niveaux différents, politisés. L'américanisme triomphant a ainsi déferlé sur l'Europe dès la mise en place du plan Marshall et il est vrai que les films n'ont pas attendu l'affaire Weinstein pour chercher à faire passer des messages précis et ciblés à leurs spectateurs.
En 2021, certains impératifs poussent ainsi les réalisateurs à adapter le scénario et l'intrigue de leurs films pour le rendre plus acceptable vis-à-vis d'un marché précis, ou pour venir y greffer des messages politisés dont on se passerait bien et qui, au final, n'apportent absolument rien et nuisent plus qu'autre chose à la qualité globale de l'œuvre. Hélas, le film dont nous allons parler dans les lignes qui suivent, et qui aurait pu sans cela être un très grand film, rentre dans cette catégorie.
Pourtant, tout commence très bien...
Je dois admettre qu'en lisant le synopsis de ce « Dernier Duel », je suis partagé par un mélange d'excitation et d'appréhension. Excité, car le vénérable Ridley Scott, réalisateur de renom et de talent, nous promet une plongée en France, en pleine guerre de Cent Ans, sublimée par un casting qui, sur le papier, ferait pâlir d'envie n'importe quel cinéphile. La méfiance reste toutefois de mise, tant les derniers longs métrages portés par le réalisateur britano-américain se sont avérés être plutôt décevants.
Très rapidement, on se surprend malgré tout à espérer. L'entame du film est des plus réussies et l'on se rend compte que ce long-métrage dispose véritablement de nombreux atouts, à commencer par sa construction narrative en miroir qui offre un déroulé du récit intéressant.
Les mêmes faits vont ainsi être présentés au spectateur selon le point de vue des trois principaux protagonistes : le chevalier Jean de Carrouges, l'écuyer Jacques le Gris et l'épouse de Jean de Carrouges, Dame Margueritte de Thibouville.
Ce choix du réalisateur permet au spectateur de saisir les différences qui peuvent exister entre les trois récits des évènements placés au cœur du film et qui vont justifier la tenue du duel entre les deux hommes.
Outre cette construction narrative originale et ce séquençage en chapitre réussi, Le Dernier Duel s'appuie également sur une mise en scène impressionnante. Visuellement, le film se veut très beau et sans couac majeur. Tout au long des quelques deux heures et trente minutes d'images qui défilent sous nos yeux, on retrouve une teinte bleue venant renforcer l'aspect froid et maussade de la terre de France ravagée et qui souffre du conflit contre l'ennemi anglais. Le contexte historique est d'ailleurs globalement respecté et plusieurs évènements de la guerre de Cent Ans sont évoqués, tels le siège de Wark de 1385 ou encore le sac de Limoges de 1370.
Le casting est également un motif de satisfaction et Adam Driver et Matt Damon parviennent plutôt bien à endosser les rôles de Le Gris et de Carrouges. C'est surtout la prestation de Jodie Comer, éblouissante de talent dans le rôle de Margueritte, qu'il convient de souligner.
Ben Affleck, en revanche, ne parvient jamais à jouer avec justesse Pierre d'Alençon et sa performance nuit davantage qu'elle n'apporte à l'immersion. Il en va de même pour l'emploi de la langue anglaise en général dans ce film qui gagnera sans doute, une fois n'est pas coutume, à être vu dans sa version française. Il est en effet à la fois bizarre et désagréable d'entendre une chanson médiévale française suivie par la voix de Matt Damon tentant péniblement de citer le nom d'un village français perdu en pleine campagne normande...
Dernière ultime satisfaction, et non des moindres, les quelques scènes de batailles, ainsi que le duel Carrouges-Le Gris en lui-même, sont très bien tournées et particulièrement spectaculaires, dans le bon sens du terme. Elles tiendront le spectateur en haleine, à n'en pas douter. Pour un film dont le titre est « Le Dernier Duel », la chose tombe à point nommé, avouons-le.
...mais le film tombe hélas dans le piège qu'il fallait à tout prix éviter...
Mais alors, allez vous me dire, fort de toutes ces qualités indéniables, à quel moment le film commet-il ne le faux pas ? A quel moment Le Dernier Duel rate-t-il son virage et sort-il de la route ?
L'accident a hélas lieu dans le dernier tiers du film, où il se fait progressivement de plus en plus politique, moralisateur et accablant, tout en devenant dans le même temps de moins en moins juste et subtil. Indépendamment de toutes les choses qu'il réussit, Le Dernier Duel tombe ainsi dans LE piège qu'il lui fallait absolument éviter : il bascule dans la facilité et émet un parallèle entre son époque et la nôtre, se mettant progressivement à juger le procès Carrouges - Le Gris à la sauce 2021...
La tentation était visiblement trop forte et l'on se retrouve ainsi, une fois de plus, à totalement déconnecter une époque et ses mœurs de son temps pour la comparer avec nos standards actuels. Un tel raisonnement relève de la sociologie de comptoir et n'a absolument aucun sens, tant les valeurs et les comportements du XIVème siècle sont totalement différents de ceux que nous connaissons actuellement dans nos sociétés occidentales.
Malheureusement, Ridley Scott n'en a que faire et s'engouffre la tête la première dans la brèche, multipliant les parallèles hasardeux entre une affaire vieille de 635 ans et l'actuelle condition de la femme dans notre société. Totalement bancal.
Pire encore, les personnages se veulent toujours plus caricaturaux et le film, qui jusqu'alors se montrait si juste, perd absolument toute sa subtilité pour devenir grossier, prévisible et convenu. Les hommes deviennent ainsi littéralement tous des rustres qui ne s'intéressent qu'à la gloire, à la guerre ou à leur prestige personnel...
Moralisateur, culpabilisant et dénué de toute subtilité, le long-métrage se noie alors dans le message qu'il cherche à tout prix à faire passer en force dans l'esprit de son spectateur.
Le plus triste dans tout cela reste probablement que tout ce cirque n'était absolument pas nécessaire et n'avait pas lieu d'être : il n'est en effet nul besoin d'insister à ce point via des ressorts scénaristiques et narratifs grossiers et dépourvus de toute subtilité pour admettre et faire comprendre que le viol reste une aberration abjecte et sans nom.
Au final, sans cette politisation à outrance, Le Dernier Duel aurait sans doute eu tous les ingrédients pour être un très grand film. Manque de bol, il a choisi la solution de facilité et s'empêtre dans un parallèle qui n'a pas lieu d'être entre le Moyen-Age et 2021. Ça plaira sans aucun doute à de très nombreuses personnes qui y trouveront leur compte… rien n'est en revanche moins sûr pour les véritables amateurs d'Histoire...
- Zog Chroniqueur, Historien, Testeur, Youtubeur
- « Une Europe fédérée est indispensable à la sécurité et à la paix du monde libre. » par Jean Monnet en 1952