Info sur le film |
Titre original1917 |
RéalisateurSam Mendes |
Scénariste
Sam Mendes Krysty Wilson-Cairns |
Durée119 min |
GenreGuerre |
SortieJanvier 2020 |
1917 : le tour de force de Sam Mendes
C'est un fait : la Première Guerre mondiale est, depuis quelques années, boudée par le septième art qui est loin d'en faire sa période historique de prédilection. Depuis 2004 et « Un long dimanche de fiançailles », peu de films ont fait le choix de s'attarder sur le conflit qui a déchiré l'Europe et le monde entre 1914 et 1918, là où les productions traitant de la Seconde Guerre mondiale sont en revanche légion sur nos écrans.
« Joyeux Noel » et « Cheval de Guerre » arrivaient tout juste à contenter les spectateurs victimes de cette traversée du désert qui prit finalement fin en 2017 avec le magnifique et poétique « Au revoir là-haut » d'Albert Dupontel. Un film qui, au-delà de rabibocher Grande Guerre et grand écran me réconcilia personnellement avec le cinéma français.
Centenaire oblige, un an plus tard, Peter Jackson apportait sa pierre à l'édifice en rendant un vibrant hommage aux combattants de 14-18 avec son splendide documentaire « They shall not grow old ». En colorisant et sonorisant des images d'archives jusqu'alors inédites, le réalisateur du Seigneur des Anneaux nous proposait un documentaire de guerre d'un genre nouveau, très différent d'« Apocalypse », mais qui n'avait toutefois rien à lui envier sur le plan qualitatif.
Ce retour en grâce se poursuit désormais avec « 1917 », de Sam Mendes. Réalisateur de talent, reconnu pour des films plébiscités et acclamés par la critique tels « Skyfall » ou encore « Les Sentiers de la perdition », le britannique s'était déjà essayé aux films de guerre, ou plutôt aux films « d'atmosphère de guerre » avec l'exceptionnel, quoique dérangeant, « Jahread ». Sorti en 2005, il nous plongeait dans la vie d'une unité de Marines dans l'attente de son baptême du feu lors de la première guerre du Golfe. Un film d'atmosphère qui s'attachait avant tout à retranscrire la psychologie de ses personnages en lieu et place de nous fournir de l'action brutale. Quoique quelque peu différent, 1917 se place partiellement dans cette lignée.
Acclamé par la critique qui en a fait un éloge quasi unanime et dithyrambique, le long-métrage a d'ores et déjà raflé deux Golden Globes, dont celui du meilleur film, et il pourrait bien venir titiller « Joker » aux Oscars, début février. Mais derrière ce déferlement d'avis positifs, que vaut vraiment 1917 ? Réponse dans notre critique !
1917 : Un film de guerre d'un genre nouveau
La première chose à savoir, c'est que 1917 n'est pas vraiment un film de guerre, au sens classique du terme : comprendre par là qu'il n'est pas un film plaçant des combats énormes et de l'action débridée au cœur de sa démarche. Ainsi, dans sa construction, 1917 est bien plus proche d'un « Dunkirk » que d'un « Il faut sauver le soldat Ryan », bien que le rapprochement entre les deux films puisse être tentant de par leurs scénarios respectifs qui présentent quelques similitudes. Nous y reviendrons plus tard.
Aussi, si vous allez voir « 1917 » en vous attendant à un film de guerre à l'ampleur épique d'un « We were soldiers » ou autre « Tu ne tueras point », vous risquez d'être déçus. Estimez-vous prévenus ! Contrairement à ce qui a pu être écrit çà et là, 1917 n'est en rien « le soldat Ryan durant la Première Guerre mondiale ».
L'œuvre de Mendes s'attache davantage à nous proposer de suivre une aventure grandiose et spectaculaire, celle de deux hommes perdus face à l'immensité d'un conflit qui les dépasse. Qu'on se le dise, 1917 ne plaira pas forcément à tout le monde. Avant d'être un film de guerre, il est un film d'atmosphère et d'ambiance de guerre qui proposera à son spectateur une expérience visuelle, sensorielle et immersive inoubliable dans laquelle les longs silences s'entremêlent avec des instants de fureur. C'est aussi un film qui place au premier plan l'aspect artistique et visuel, ce qui aura parfois pour conséquence d'empiéter sur la cohérence et l'authenticité historique.
La première chose qu'il convient de saluer ici, c'est l'incroyable travail de réalisation effectué au niveau du montage. Très tôt, Sam Mendes a annoncé sa volonté d'avoir recourt à un (faux) plan séquence unique pour raconter son histoire. Le résultat est époustouflant. Au-delà d'une simple réussite, c'est bel et bien d'un tour de force majeur qui va faire date dans l'histoire du cinéma dont il s'agit. Nul doute que 1917 va marquer un tournant, pour le septième art comme pour son genre. En résumé : c'est une nouvelle référence.
L'entreprise colossale que constitue le fait de tourner un film de guerre de cette façon a été menée à bien avec brio par l'équipe de réalisation : on ne voit pas les coupures dans le montage et à aucun moment le spectateur ne perd cette sensation de fluidité et de progression constante qui, d'une façon étrangement similaire à ce que l'on peut retrouver dans un jeu vidéo, vient suivre et sublimer l'action, au plus près des personnages. Les amateurs de FPS retrouveront sans aucun doute des similitudes avec ce média dans la façon dont 1917 est tourné. En se plaçant à hauteur d'homme, le film offre en effet une fluidité dans la progression de ses protagonistes et dans le déroulé de son action.
L'immersion est à son paroxysme et le spectateur se retrouve plongé dans l'enfer apocalyptique de la Grande Guerre avec une force et une proximité jusqu'alors inédites à ma connaissance. On sort de la salle en étant étourdi, pour ne pas dire essoufflé, peinant à se remettre de la claque magistrale que l'on vient de recevoir.
Le recourt au plan séquence est, plus largement, particulier à suivre du point de vue du spectateur, il faut bien l'admettre. Tranchant fortement avec les méthodes habituelles de montage utilisées par l'immense majorité des films et auxquelles notre cerveau est habitué, il vient brouiller les repères et les habitudes du public. Aussi, il faudra prévoir une petite période d'adaptation durant les premières minutes du film avant de se laisser emporter et de suivre l'aventure exceptionnelle de ces deux soldats britanniques.
Le scénario en retrait : est-ce vraiment un problème ?
L'une des faiblesses que l'on pourrait reprocher au film, c'est la banalité de son scénario. Jugez plutôt : alors que nous sommes en 1917, les Allemands se retirent du front français dans un secteur où ils font face aux troupes du British Expeditionary Force. Un régiment britannique saisit l'opportunité et se lance à la poursuite de l'armée adverse, prétendument en déroute. Il s'agit néanmoins d'un piège dans lequel ils foncent tout droit. Pour éviter l'anéantissement de ces 1600 hommes, un général britannique missionne deux soldats urgemment. Leur objectif : traverser les lignes adverses et atteindre le 2nd battalion du Devonshire Regiment pour ordonner à son colonel d'annuler l'assaut. Une course contre-la-montre s'engage alors pour atteindre les troupes alliées dans les temps. Cerise sur le gâteau, et rapprochement avec « Il faut sauver le soldat Ryan », l'un des deux hommes missionnés par le général a un frère qui fait partie de l'unité menacée.
Alors, oui : le scénario est très clairement loin d'être parfait. Il manque de cohérence et d'authenticité historique en de nombreux points. Pourquoi le général n'envoie-t-il pas un avion délivrer le message à l'unité sur le point de se faire piéger ? Pourquoi les Britanniques ne peuvent réparer leur radio pour les prévenir et sont obligés d'envoyer deux estafettes ? N'ont-ils aucun pigeon voyageur à disposition ? Autant de questionnements qui pourront interpeller l'esprit de l'amateur d'Histoire, mais qui n'ont en réalité aucune espèce d'importance ici.
Oui, le scénario est basique. Oui, il repose sur certaines facilités. Oui, il manque de cohérence, mais qu'importe. 1917 n'est pas un film construit pour faire reposer sa force sur son intrigue. Il ne l'a jamais été et n'a jamais prétendu vouloir l'être. L'histoire qu'il nous raconte, il nous la présente par des moyens autres que ceux de son synopsis. La seule utilité du script est de venir poser les enjeux dès le début du film pour lancer la narration et le récit. Si vous allez voir 1917 en vous attendant à une histoire ultra développée, vous risquez encore une fois d'être déçus, car il ne s'agit que du déroulement d'une journée dans la vie de deux soldats britanniques. Un drame humain, ni plus, ni moins.
Dès lors, l'enchainement de certaines péripéties pourra sans doute sembler incohérent, pour ne pas dire peu plausible. Ainsi, lors d'une scène, au demeurant sublime, présentant la traversée d'un village de nuit par l'un des deux soldats britanniques envoyés en mission, la relative confusion de l'action et l'incapacité des Allemands à le stopper frôle le ridicule. Il convient alors de se rappeler que l'action et la narration sont, dans 1917, placées au service de l'atmosphère et doivent contribuer à transmettre certaines émotions précises au spectateur : ici, la confusion, le désespoir, la peur.
Aussi, la priorité n'est pas de délivrer une scène « juste » sur le plan purement pragmatique et rationnel. Le long métrage va davantage s'attacher à délivrer des sensations et des émotions à son spectateur, via le recourt au décor, l'image ou encore le son. Dans le cas précis de cette scène, ce qui importe, c'est avant tout le spectre des couleurs employé, le contraste entre la noirceur de la nuit et les ombres projetées par les fusées éclairantes, mettant en évidence le décor apocalyptique et biblique du village français en ruines.
Le rendu est magnifique, mais l'action n'est clairement pas authentique, ce qui pour autant ne revêt aucune espèce d'importance tant 1917 est un film qui ne se regarde pas au premier degré en termes de réalisme historique. De la même façon, la présence d'un soldat du Raj Britannique à un moment donné peut paraitre étrange, mais elle a davantage valeur à symboliser l'implication du Commonwealth dans le conflit qu'à précisément représenter un état de fait historiques.
Ces scènes peu plausibles le sont donc de façon pleinement et entièrement assumée : c'est un parti pris du réalisateur qui use de cet artifice pour maintenir le spectateur en immersion, sous une tension palpable et permanente. La véritable ambition du long métrage repose bien davantage sur ce qu'il a à nous montrer et à nous faire ressentir d'un point de vue artistique. Peut-on pour autant estimer que 1917 n'est qu'une coquille vide dans un magnifique emballage ? Peut-on affirmer que 1917 est mauvais car il n'est pas réaliste dans sa façon de présenter la Grande Guerre ? Rien ne serait plus faux.
D'abord, parce que toutes les scènes qui le composent sont loin d'être dépourvue de toute notion de réalisme ou d'authenticité : en témoigne la scène très intense d'un assaut britannique avec préparation d'artillerie dont le rendu est pour le moins satisfaisant.
Ensuite, parce qu'à l'image d'un « Soldat Inconnu : Mémoires de la Grande Guerre », 1917 n'ambitionne pas de nous présenter une vision véritable de la Première Guerre mondiale. Pourtant, de par les choix habiles de sa réalisation, il parvient à nous proposer une expérience visuelle et sensorielle inoubliable.
Une expérience visuelle et sensorielle inoubliable
Disons-le d'entrée : je n'ai jamais vu un film aussi beau sur le plan de l'esthétique et du visuel. 1917 est tout simplement sublime. Sam Mendes nous avait habitué à de très jolis plans dans Skyfall, mais ici, ce sont les deux heures du long métrage qui nous en mettent plein les yeux et qui s'avèrent somptueuses, pour ne pas dire inoubliables.
Le recourt au couple son/image est parfaitement maitrisé, alternant notamment les longs silences oppressifs d'attente insoutenable aux brefs moments de fureurs des affrontements et des escarmouches. Les changements de rythmes sont soudains, brutaux, inattendus, collant parfaitement avec l'esprit de la Grande Guerre. L'attente de la mort, pouvant survenir à tout moment contraste fortement avec le vacarme des armes. Dans ce périple, les temps morts et les moments de calmes n'en sont pas vraiment et le spectateur, à l'image des soldats progressant sur le champ de bataille, ne reprendra jamais pleinement son souffle. L'OST du film, sans être exceptionnelle, est de très bonne facture et vient se placer au service de l'aventure, rythmant plus ou moins lentement les scènes selon la progression de l'action.
Visuellement et de par les décors qu'il nous présente, 1917 alterne entre espoir et désolation, saisissant avec brio les deux visages de la Grande Guerre et l'essence même de sa complexité. Ainsi, 1917 est une véritable œuvre d'art, pour ne pas dire un exercice de style merveilleusement bien réalisé et qui parvient par ce qu'il nous montre à nous transmettre bien des émotions et des messages.
Les vertes plaines épargnées par la guerre offrant un sentiment de paix et de réconfort ne sont jamais loin des « no man's land » calcinés et des villages français ravagés par la brutalité des combats. La boue, la crasse et la saleté des tranchées sont omniprésentes, tout comme la sensation d'ampleur et d'immensité du conflit, sans pour autant que l'on n'aperçoive directement l'ennemi, menace la plupart du temps invisible, mais néanmoins omniprésente.
Le résultat est bouleversant et nous prend aux tripes. Cette dualité entre apocalypse et renaissance, nous présentant à la fois la mort ainsi que la vie qui reprend ses droits n'est que l'une des nombreuses choses que le film parvient à nous faire comprendre, sans avoir besoin d'avoir explicitement recourt au dialogue ou à l'intrigue. 1917 parvient ainsi à mettre en place une atmosphère saisissante qui plongera le spectateur en immersion et hors d'haleine de la première à la dernière seconde.
Le casting est, à l'instar des dialogues, discret mais réussi. Les grands noms du cinéma britannique s'enchainent : Mark Strong, Benedict Cumberbatch, Colin Firth et Andrew Scott… pour ne citer qu'eux. Pourtant, ils ne restent chacun que quelques dizaines de secondes à l'écran. Cela s'explique de par le montage qui concentre l'action sur les deux soldats interprétés par Dean-Charles Chapman (connu pour le rôle de Tommen dans Game of Thrones) et George MacKay. Mention spéciale à ce dernier qui sublime encore davantage 1917 de par son interprétation magistrale du « Lance Corporal » Schofield.
Conclusion : Une claque magistrale
Vous l'aurez compris : 1917 est une réussite quasi-totale. La décennie n'a commencé que depuis trois petites semaines et nul doute que l'on tient déjà l'un des films qui la marquera et qui s'inscrira durablement dans l'histoire du cinéma.
Le long métrage de Sam Mendes nous offre une expérience aussi intense qu'inédite et nous propose une atmosphère époustouflante, voire inoubliable. Soigné comme jamais sur le plan visuel et tourné d'une façon des plus originales, il parvient sans le moindre problème à nous faire oublier son scénario relativement faible et simpliste. Le rendu en 4DX doit par ailleurs largement valoir le coup sur un film de ce genre.
Il se peut néanmoins qu'il déçoive les spectateurs les plus attachés à la notion de véracité historique et aux films de guerres davantage classiques, ainsi que ceux qui seraient moins sensibles à sa direction artistique de toute beauté : typiquement ceux qui n'ont pas du tout apprécié « Dunkirk » qui était lui aussi un film « d'atmosphère de guerre » avant d'être un film de guerre.
- Zog Chroniqueur, Historien, Testeur, Youtubeur
- « Une Europe fédérée est indispensable à la sécurité et à la paix du monde libre. » par Jean Monnet en 1952