L’Ordre des Chevaliers Teutoniques, une élite militaire façonnée par une vie ascétique
Les Ordres de chevalerie ont toujours attisé la curiosité des historiens et du grand public, que ce soit pour la bravoure de leurs guerriers devant des ennemis redoutables ou encore leur dévouement à un idéal transcendant.
Qui ne connaît pas les Templiers et le fameux Grand maître de cet Ordre, Jacques de Molay qui fut condamné à périr par les flammes devant le roi de France Philippe le Bel ?
Ce que l’on sait moins, c’est que parmi ces nombreuses confréries, où le domaine militaire et religieux font partie intégrante de la vie de ses membres, l’Ordre des Chevaliers Teutoniques fut l’un des plus puissants de par sa richesse et son influence dans les mondes germanique, balte et slave.
Malheureusement, celui-ci est assez méconnu en France au vu du peu d’ouvrages entièrement dédiés à ce sujet écrit dans la langue de Molière.
Croix de l'Ordre Teutonique.
C’est pourquoi, il convient de rappeler que les Chevaliers Teutoniques étaient avant tout des croisés, des moines soldats, originaires d’Allemagne. Leur but visait à combattre les infidèles et à évangéliser les terres non chrétiennes. En effet, l’Ordre est né en Terre Sainte, mais sa particularité est qu’il a participé essentiellement à des croisades en Europe de l’Est contre le paganisme.
De ce fait, une légende noire frappe l’Ordre Teutonique notamment à cause de la cruauté et de la brutalité de ses chevaliers à l’encontre des peuples païens situés sur les côtes de la Baltique, en particulier les Lituaniens. Mais d’un autre côté les Teutoniques ont aussi réalisé des actions de charité envers les malades et les pauvres. On leur doit aussi la construction et le développement de nombreuses villes comme Marienburg, Königsberg, Thorn et bien d’autres.
L'imposante forteresse teutonique de Marienburg, située au Nord de la Pologne.
Du XIIIème au XVème siècle, les Chevaliers Teutoniques furent les bâtisseurs d’un empire s’étendant sur les rives de la Baltique. Ils possédaient leur propre État avec à sa tête un Grand Maître, Hochmeister, qui fut servi par une administration récoltant et gérant efficacement les précieuses rentrées d’argent. Cela permis à l’Ordre d’équiper une armée entraînée et disciplinée ainsi que de s’assurer du bon entretien de ses nombreux châteaux afin de faire face aux Lituaniens et aux Slaves.
Les Empires n’étant pas éternels, l’Ordre déclina suite à la bataille de Tannenberg en 1410 contre une coalition polono-lituanienne. Mais il n'a pas disparut, les Chevaliers Teutoniques existent encore aujourd'hui. En revanche, ils ont définitivement abandonné le glaive pour retourner à leur mission première à savoir l’aide aux nécessiteux.
Ainsi, pour comprendre l’idéal religieux et militaire de ces chevaliers, il faut se plonger à la fin du XIIIème siècle, aux origines de l’Ordre, où le soleil brûlant de la Terre Sainte inondait de sa lumière les murs de la ville d’Acre, assiégée par les croisés…
Le Grand Maître de l'Ordre Teutonique lors d'une reconstitution de la bataille de Tannenberg.
Les origines d’un Ordre allemand
L’Ordre des Chevaliers Teutoniques naquit lors de la IIIème Croisade qui se déroula de 1189 à 1192. À l’origine, ce fut un rassemblement de pèlerins germaniques qui, devant l’horreur de la guerre décidèrent d’aider et de soigner les combattants provenant d’Allemagne et d’Europe.
C'est pourquoi, ils s’organisent au sein d’un hôpital de campagne sous le nom de : « Maison de l'Hôpital des Allemands de Sainte Marie de Jérusalem ». Dès lors, ils mettent en place un petit hospice, une petite église et un cimetière à l’extérieur de la ville d’Acre, sous la protection de la Vierge Marie.
Au fur et à mesure que le nombre de blessés augmente, l’hôpital reçoit le soutien de nombreux princes appartenant au Saint Empire Romain Germanique.
Cet empire est une entité mouvante et fractionnée recouvrant une grande partie de l’Allemagne, de l’Autriche ainsi que le Nord de l’Italie actuelle. À sa tête se trouve un empereur élu par une assemblée de princes électeurs, son pouvoir est le plus souvent relatif et très disputé entre les différentes familles nobles. Néanmoins, on peut affirmer que c’est le premier Empire allemand de l’Histoire, celui-ci fut un vivier de recrutement important pour les Teutoniques.
Par la suite, l’organisation se militarise dès 1198 pour devenir un Ordre de moines-soldats afin de combattre les musulmans. Le 19 février 1199, le Pape Innocent III reconnaît cet organisme comme étant un ordre militaire indépendant commandé par le Hochmeister Heinrich Walpot. Les frères, Brüder, appartenant à cette organisation obéissent à des règles inspirées de l’Ordre du Temple pour son côté militaire et à celles de l’Hôpital pour les missions caritatives.
À la différence des Templiers ou des Hospitaliers, les membres de l’Ordre sont en grande majorité des Allemands, même si quelques recrutements s’opèrent auprès d’étrangers. Les Teutoniques adoptent alors une cape blanche ornée d’une croix noire. Le blanc étant la couleur de la pureté et le noir celle de la pénitence et de l’humilité.
Cet habillement devient le symbole d’une élite guerrière germanique prête à frapper d’une main les infidèles et de l’autre à porter secours aux nécessiteux. Il faut savoir que l’adoption de cette cape a aussi une utilité pratique. En effet, celle-ci est revêtue par-dessus la cotte de maille permettant à cette dernière de ne pas devenir brûlante sous un soleil de plomb.
Lorsque les dernières terres, situées au Moyen Orient, appartenant aux croisés tombent aux mains de l’Islam, les Chevaliers Teutoniques se replient en Europe, et plus précisément à Venise pour déterminer quelle nouvelle destinée donner à leur Ordre.
Après quelques déboires, l’Ordre obtient l’aval du Saint Empire Romain Germanique et du Pape pour combattre les païens se situant sur les côtes de la Baltique.
Afin de mener à bien leur combat spirituel contre les non chrétiens, les rudes Chevaliers Teutoniques devaient suivre une discipline de vie très stricte.
Une discipline de vie rigoureuse pour une élite militaire sans égale
Le recrutement
Tout homme libre désireux de rejoindre l’Ordre a la possibilité de l’intégrer, s’il est capable de se battre. Néanmoins, la plupart des frères font partie de l’ancienne noblesse allemande, ce sont des laïcs, il n’y a que très peu de prêtres.
Ainsi, quand le nouveau candidat se présente, il doit d’abord répondre à cinq questions :
Appartiens-tu à un autre Ordre ?
Es-tu marié ?
As-tu quelques infirmités physiques cachées ?
As-tu des dettes ?
Es-tu un serf ?
Il fallait qu’il réponde « non » à chacune d’entre elles, puis on lui posait cinq autres questions :
Es-tu prêt à combattre en Palestine ?
Ou ailleurs ?
À protéger le souffrant ?
À faire tout ce que tu sais faire si on te l’ordonne ?
À obéir à la règle ?
S’il répondait oui à toutes ces nouvelles questions, il pouvait devenir frère chevalier après avoir prêté serment au Grand Maître de l’Ordre.
Dès lors une nouvelle vie s’offre au nouveau frère teutonique, une vie de prières et de combats afin de conquérir pour Dieu de nouvelles terres.
Une vie ascétique et religieuse encadrée par des règles strictes
Les règles de l’Ordre sont très strictes afin de maintenir une rigueur et une discipline de fer au sein de ce corps militaire d’élite dans le but d’affronter n’importe quel danger. De cette manière, tous ses membres doivent mettre en commun leurs biens, ils ne sont pas autorisés à avoir des possessions privées.
De plus, ils ne peuvent posséder de l’argent et le troc est strictement interdit. Concernant l’habillement, chacun possède deux chemises, deux pantalons, deux paires de bottes, une chemise en tissu, un sac de couchage, une couverture, un bréviaire et un couteau.
Les frères dorment sur des paillasses au sein de dortoirs, seuls les officiers et les dignitaires disposent d’une chambre individuelle. L’heure du coucher se situe entre 17h et 20h et celui du lever entre 1h et 2h du matin.
Quant au repas, ils sont au nombre de deux par jours, précédés à chaque fois par la récitation du Pater et de l’Ave Maria puis les chevaliers mangent dans un silence total. Le jeûne est aussi respecté notamment lors du Carême qui représente pour les chrétiens le jeûne du Christ pendant 40 jours dans le désert. En revanche, des entorses à cette règle peuvent être acceptées lorsque les frères combattent afin qu’ils ne tombent pas d’épuisement.
Tout au long de la journée le frère chevalier célèbre une cérémonie de prière, en commémorant la vie et la mort du Christ, on appelle cela les offices.
Quant à la chasse, elle est formellement interdite car elle est considérée comme un jeu, en revanche les frères peuvent tuer des loups et des ours en forêt sans l’aide de chiens. Ces tâches permettent de déterminer la bravoure et le sang froid des chevaliers face à des ours pouvant peser plus de 100 kilos.
La seule distraction des Teutoniques sont la guerre et la sculpture de petites figurines sur bois.
Si un frère transgresse l’une de ces règles, le châtiment est inévitable. Le coupable peut subir une peine allant de trois jours de pénitence jusqu’à un an de dur labeur dans les champs avec en prime la suprême humiliation de ne plus porter les insignes de l’Ordre.
Très exceptionnellement pour les fautes les plus lourdes et avec l’autorisation du Pape, la peine pouvait être la mise au bûcher du malheureux.
Néanmoins la formation religieuse reste sommaire, les Chevaliers Teutoniques appartiennent avant tout à un Ordre militaire destiné à combattre les infidèles...
Un entraînement militaire puisant dans la tradition germanique pour la formation d’une chevalerie d’élite
Comme toutes les élites guerrières, à n’importe quelle époque, que ce soit les Spartiates, les mousquetaires, ou encore la Garde impériale, les Chevaliers teutoniques suivent un entraînement militaire très intense et rigoureux. Malheureusement, nous n’avons que peu de sources le concernant.
Ce que l’on peut dire c’est qu’une tradition militaire de combat à l’épée a pu se développer aux alentours du XIVème siècle en Allemagne grâce à des manuels de combat, les Fechtbücher. Ces techniques ont donné naissance aujourd’hui à l’école d’escrime germanique. Au Moyen-âge celles-ci comprennent l’utilisation de l’épée à une main, du fauchon (un type de sabre) et de la lutte avec ou sans armure.
Le tir sur des cibles à l’arbalète est aussi de mise au sein de l’Ordre, cette arme puissante peut transpercer les armures les plus lourdes à 100 mètres, en revanche son temps de rechargement est assez long par rapport à l’arc.
Quant aux jeunes guerriers, ils montraient leur force en soulevant des poids ou en s’entraînant au lancer du javelot ainsi qu’au combat à l’épée et au bocle (petit bouclier). Le chevalier devait ainsi maîtriser plusieurs armes afin de parer à toutes les éventualités.
Entraînement avec bocles et épées à une main.
Cette tradition militaire puise en partie sa source dans la « Chanson des Nibelungen », Nibelungenlied, écrite au XIIème siècle. Cette chronique est une épopée médiévale typiquement allemande nous contant les exploits de Siegfried, un fier guerrier aidant le roi burgonde à conquérir la main d’une gente dame.
Tous ces éléments sont bien évidemment des reflets de la société allemande au XIIème siècle. De telle sorte que les frères chevaliers ne devaient pas y être tout à fait étrangers.
En tout cas, cela montre à quel point l’Ordre des Chevaliers Teutoniques est imprégné de culture allemande ainsi que d’une discipline religieuse et militaire lui étant propre.
Ce mode de vie rigoureux, dur et ascétique permit aux Chevaliers Teutoniques de conquérir des territoires immenses au service de Dieu et pour la gloire de la chrétienté, leur permettant ainsi d’entrer dans l’Histoire de la chevalerie médiévale...
Source
- Sylvain Gouguenheim, Les chevaliers teutoniques, Editions Tallandier, 2013, 762 pages.
- David Nicolle, Graham Turner, Teutonic Knight: 1190-1561, Osprey Publishing, 2007, 64 pages.
- Jacques Heers, Précis d'histoire du Moyen Age, Presses Universitaires de France, 2004, 392 pages.
- Brasidas Ancien membre d'HistoriaGames
- "Les Spartiates ne s'inquiètent pas de savoir combien sont les ennemis, mais seulement où ils sont !" Cléomène III