L'engagement des premiers chars dans la bataille de la Somme : Une révolution militaire - 1ère partie
Perdu entre les cottages et les vertes prairies de la campagne du Sud-Ouest de l'Angleterre, le musée des blindés de Bovington recèle bien des trésors. Situé à une heure de route de Southampton, ce lieu chargé d'Histoire et quelque peu difficile à trouver fait cependant partie du « top 5 » mondial des musées consacrés aux véhicules militaires avec Munster, Saumur, Kubinka et Fort Knox.
Présentant à ses visiteurs une impressionnante collection comptant plusieurs centaines de véhicules allant de 1914 à nos jours, le « Tank Museum » a profité de l'année 2016 et de l'occasion que représente le centenaire de la Bataille de la Somme pour consacrer une exposition entière au char britannique Mark One et à ses variantes. Il fut le premier tank déployé au combat durant cette bataille.
En février 2016, à l'occasion de l'ouverture au public de cette exposition et grâce à l'anniversaire de World of Tanks, le jeu de Wargaming avec lequel le musée a conclu un partenariat, j'ai eu la chance d'être convié deux jours durant à Bovington pour visiter ce musée aux milles merveilles.
Une expérience inoubliable pour n'importe quel amateur d'Histoire qui prendra un plaisir immense à déambuler entre ces monstres d'acier.
Ce dossier a principalement pour vocation de revenir sur les enseignements historiques que présente l'exposition consacrée au déploiement des premiers chars d'assaut lors de la bataille de la Somme.
Intitulée « Warhorse to Horsepower » (comprendre par là le passage de la cavalerie ancienne à la cavalerie blindée moderne), cette exhibition offre une scénographie exceptionnelle qui se couple à la reconstitution d'une tranchée britannique du secteur de la Somme en 1916.
Elle est également liée à l'évènement « The Tank Story » qui, présenté par les guides du musée, vous propose de suivre 100 années d'évolution des blindés entre 1916 et 2016. Vous l'aurez donc compris, chers lecteurs, nos amis d'Outre-Manche n'ont pas lésiné sur les moyens et ils ont mis le paquet pour commémorer comme il se doit le centenaire de la bataille de la Somme.
Il faut dire que pour les Anglais, ce combat est aussi symbolique que Verdun peut l'être pour nous autres Français. Le premier jour des affrontements de la Somme reste notamment le plus sanglant dans les annales de l'armée britannique.
Par ailleurs, pour faire le lien avec cette célèbre bataille, vous pouvez notamment retrouver notre chronique HistoriaRecords consacré à la chanson « The Green Fields of France ».
Présentation de l'exposition et de sa scénographie exceptionnelle
Ce dossier se divisera en deux articles. Avant d'en venir à parler du contexte d'apparition et d'utilisation des premiers chars, mais aussi des bouleversements qu'ils ont entrainés dans les doctrines militaires de l'époque, nous allons dans un premier temps revenir sur la scénographie de l'exposition en elle-même, tant cette dernière est exceptionnelle et se doit d'être saluée.
Warhorse to Horsepower sait très bien comment s'y prendre pour saisir le visiteur aux tripes. S'étalant sur plusieurs centaines de mètres carrés, l'exposition du Tank Museum est un chef d'œuvre d'immersion. L'ambiance et l'atmosphère y sont deux réussites totales, tant elles sont retranscrites de façon pertinente et bluffante.
Comme nous l'avons dit précédemment, les commémorations du musée consacrées à la bataille de la Somme peuvent se séparer en trois différentes parties :
- Le parcours d'un Tommy via la reconstitution du réseau de tranchées et du No Man's Land de la Somme.
- L'exposition à proprement parler qui présente les différents modèles de chars Mark et le remplacement progressif des chevaux par ces monstres d'acier sur le terrain.
- La galerie historique qui présente l'évolution des chars entre 1916 et 2016.
Le parcours d'un Tommy : la reconstitution du réseau de tranchées et du no man's land de la Somme
L'espace du musée consacré à la Première Guerre mondiale commence par un périple déroutant. Celui que le visiteur fait en remontant le temps d'un siècle pour se retrouver dans la peau d'un jeune engagé britannique afin de vivre son quotidien.
Votre périple commence donc dans un bureau de recrutement de l'armée britannique en 1914. La pièce, dont les murs arborent fièrement l'Union Jack, ainsi que la célèbre affiche de propagande présentant Horatio Herbert Kitchener, alors ministre de la Guerre à l'époque, est occupée par un officier en charge du recrutement qui vous invite à signer votre acte d'engagement.
Du fait de son insularité et de sa maitrise des mers, la Grande Bretagne n'a jamais eu le besoin de se doter d'une armée de terre de conscription.
Ainsi, en 1914, les effectifs britanniques de l'armée de métier sont bien maigres pour espérer rivaliser avec la puissante armée allemande sur le continent. Le Royaume se hâte donc de lever des troupes. La population répond massivement à l'appel et nombreux sont les jeunes hommes qui s'engagent sous les drapeaux, répondant notamment à la propagande de l'Eglise anglicane dont certains hauts dignitaires appellent à « tuer les Huns ».
Une fois cette première pièce traversée et les quelques mois des classes écoulés, le visiteur se retrouve dans un train, visiblement français si l'on en juge par les inscriptions, au milieu de plusieurs soldats britanniques. Des enregistrements sonores diffusés en fond permettent de prendre la température : l'ambiance est excellente. Après tout, la guerre sera finie pour Noël, lorsqu'avec les Français, ces soldats défileront triomphalement dans Berlin. Tous sont persuadés que la guerre sera brève et indolore. En témoigne l'équipement arboré par les Tommies. Point de casque lourd, ni de sac à dos. Juste une casquette légère qui vient compléter l'uniforme.
L'alliance avec la France, souhaitée par l'Angleterre dans un souci pragmatique de maintenir l'équilibre des forces sur le continent, vise à empêcher l'émergence d'une Allemagne qui, depuis 1870 tend toujours plus à devenir puissance hégémonique.
L'Allemagne a eu l'inacceptable arrogance de commencer la construction d'une flotte puissante et moderne. Ceci additionné à la violation de la neutralité belge ne peut être laissé impuni par l'Angleterre qui se joint donc à la France dans la guerre.
Par ailleurs, du fait de la bonne entrée en guerre de l'Empire Russe, l'optimisme est de mise pour la Triple Entente.
Les puissances conjuguées de la France, de la Grande-Bretagne, de leurs empires coloniaux mondiaux, et de la Russie Tsariste ne feront qu'une bouchée de la belliqueuse Allemagne.
Ensuite, suivant le périple du trouffion anglais, vous débarquez dans une gare du Nord de la France où l'on vous prépare à marcher vers le combat. La British Expeditionary Force (BEF) occupe le front à cet endroit, notamment dans la Somme.
Cependant, les conversations joyeuses laissent place à des murmures inquiets. De nombreux blessés sont étalés sur des brancards ou à même le sol dans la gare, au milieu de caisses contenant des rations de « Corned Beef » ou d'autres denrées utilisées par l'armée britannique à cette époque.
Vous remontez alors la rue d'un petit village français, pataugeant dans la boue et vous frayant un chemin, jetant des regards circonspects sur le décors d'apocalypse qui vous entoure.
Tel le fantassin britannique de l'époque, le visiteur se sent ainsi petit à petit tomber pour se retrouver en plein enfer, sur le chemin qui le mène au front.
A l'angle de la rue, l'entrée de la tranchée se présente à vous. La prochaine étape de votre voyage vers le combat. L'expérience est saisissante et le sentiment qui nous envahi à ce moment précis est indescriptible, tant il nous saisit aux tripes.
L'Histoire vit, là, sous nos yeux, fidèlement retranscrite dans l'essence même de son esprit, tandis que nous avançons dans le dédale de la tranchée, parfois étroit et accidenté.
Divers écriteaux sommairement accrochés au mur nous permettent alors de nous diriger. On croisera ainsi un poste de commandement, équipé d'une radio, mais aussi divers abris où les soldats passaient le plus clair de leur temps quand ils n'étaient pas occupés à surveiller la ligne d'horizon contre toute tentative d'assaut ennemi.
Au-dessus de notre tête, les barbelés côtoient les palissades et les sacs de sables renforçant l'édifice contre d'éventuels tirs d'artillerie.
Mais alors que vous vous frayez un chemin à travers la tranchée, à l'angle d'un mur, à un croisement, à peine avez-vous tourné la tête pour découvrir ce qui s'y cache que vous êtes pris d'un sursaut qui vous glacera le sang.
Deux mitrailleurs allemands, derrière leur Maxim, vous attendaient tranquillement. L'épais masque à gaz dont ils sont vêtus les rendent impersonnels et renforce le sentiment de malaise et d'horreur. Une rafale plus tard, c'en est fait de vous. Vous êtes mort.
L'architecture étroite des tranchées a souvent donné lieu à ce genre de rencontres aussi surprenantes que mortelles. En y ajoutant un nuage de gaz et une faible visibilité, il y a fort à parier que la chose devait être encore plus oppressante. Le petit numéro du musée fait pour sa part son effet. Frisson garantis pour celui qui ne s'y attend pas.
En poursuivant votre route, vous pénétrerez alors dans une tranchée allemande à l'architecture légèrement différente. Les écriteaux de la langue de Shakespeare laissent alors place aux pancartes arborant fièrement celle de Goethe.
Au bout d'un petit couloir, vous apercevrez une pièce d'artillerie et ses servants, en proie à la panique.
En débouchant dans la salle où se situe le canon, vous comprendrez la raison de l'effroi des troupes du Kaiser. Un char Mark One, véritable monstre d'acier, est lancé à l'assaut des tranchées allemandes.
Je me contenterais ici de dire que la scène est très réussie car je reviendrais plus en détails dans la seconde partie du dossier sur l'impact psychologique énorme qu'on eut les premiers chars d'assaut.
Durant plusieurs jours, ils ont semé la terreur dans les rangs allemands.
En effet, si l'image d'un tank nous est aujourd'hui familière, il faut se remettre dans l'esprit d'un fantassin allemand de 1916 qui n'a jamais vu une telle chose et qui n'a aucune idée de ce qui se trouve en face de lui. Il devient ainsi aisé de comprendre à quel point les premiers défenseurs confrontés à des assauts de chars, constatant que leurs tirs de fusils ricochaient sans égratigner le blindage, furent terrifiés et tentés de prendre leurs jambes à leur coup.
Plus loin, un second char Mark One est également présenté. Son écoutille est ouverte et vous pouvez ainsi en visiter l'intérieur.
Si vous effectuez cette visite avec un guide, il vous apprendra de précieuses informations sur la vie à bord d'un char à cette époque. Là encore, nous reviendrons plus en détails sur cette problématique dans la seconde partie de notre dossier.
L'exposition « Warhorse to Horsepower »
Suivant directement la fin de la mise en scène de la tranchée et du parcours du Tommy, l'exposition consacrée au remplacement progressif de la cavalerie par le char débute. Ce paragraphe aura pour objectif de présenter l'exposition dans ses très grandes lignes car, là encore, je reviendrais plus en détails sur les questions et les conclusions qu'elle présente dans la seconde partie de ce dossier.
Warhorse to Horsepower vous permet de prendre conscience du contexte de naissance de l'idée de développer des chars. Pourquoi ? Pour répondre à quels problèmes ? Quelles ont été les conséquences et les résultats d'un tel développement ? A travers l'exposition, et à travers la suite de ce dossier, vous aurez la réponse à toutes ces questions.
Revenant dans un premier temps sur l'utilisation de la cavalerie dans les armées, l'exposition, à l'aide de divers éléments d'époque, tels des uniformes ou encore des équipements militaires, nous permet de remarquer l'énorme bond en avant qu'a constitué l'apparition des chars d'assaut.
Le musée s'appuie également sur des statistiques et des faits parlants pour bien retranscrire le chamboulement entrainé par la mise en place d'une telle arme, mais également le secret dans lequel elle a été développée.
Après cette première phase qui revient donc sur les méthodes d'utilisations de la cavalerie dans les doctrines militaires de l'époque, le visiteur aura droit à un historique présentant les conditions dans lesquelles le Mark One a été développé avant de découvrir plusieurs modèles de la gamme des tanks Mark.
Diverses maquettes montrent également les premiers engagements de blindés durant la bataille de la Somme et les méthodes avec lesquelles ils étaient employés.
Au final, l'exposition parvient à expliquer avec pertinence dans quel contexte la cavalerie a laissée place aux chars, tout en précisant les conséquences entrainées par un tel changement.
Pour en savoir plus, rendez-vous dans quelques jours dans la seconde partie du dossier.
Le hall historique : 100 ans de chars présentés
Dernière partie du tryptique présenté par le musée pour honorer les cent ans du premier char, le fameux Mark One, le hall historique vous permet de suivre les évolutions techniques qu'ont subi les chars d'assaut en 100 ans.
Partant du prototype « Little Willie » pour en arriver à un Challenger II des plus modernes, tout en passant par des chars de la Seconde Guerre mondiale et de la Guerre Froide, le visiteur sera plongé dans l'Histoire et pourra constater les changements importants qu'ont connu les véhicules blindés selon leur place dans la doctrine et selon l'époque à laquelle ils ont été développés.
Le hall historique est également l'occasion pour le musée de présenter quelques-unes des pièces les plus incroyables de sa collection.
Vous pourrez ainsi vous balader et croiser un Renault FT-17 ou encore un char Tigre. Enormément d'autres tanks et véhicules mythiques sont présentés par le Tank Museum, que ce soit dans son hall historique, ou dans son hall central, majoritairement occupé par des véhicules de la Seconde Guerre mondiale et de l'entre-deux guerres.
On peut notamment citer la présence du char Sherman qui a tourné dans le film Fury et d'un A38 Valiant. Ce dernier a la particularité d'être souvent considéré comme le pire blindé jamais construit et les jeunes tankistes de l'armée britannique ont droit à un cours spécial qui leur présente tous ses défauts.
Pour davantage d'informations sur les évolutions qu'ont connus les blindés entre 1916 et 2016, rendez-vous, là encore, dans la seconde partie de notre dossier.
Et si vous voulez en savoir plus sur le Tank Museum, que vous avez envie de le visiter, ou que vous êtes intéressés par ses nombreux évènements comme le Tankfest, n'hésitez pas à visiter son site officiel en suivant ce lien : www.tankmuseum.org.
Mon album photo de la visite du musée sur imgur (pas encore trié) : http://imgur.com/a/2Og0y
- Zog Chroniqueur, Historien, Testeur, Youtubeur
- « Une Europe fédérée est indispensable à la sécurité et à la paix du monde libre. » par Jean Monnet en 1952