Les fortins suisses de la Seconde Guerre mondiale, un patrimoine culturel oublié ?
On ne peut aborder le XXe siècle sans faire référence aux conflits armés des années 1914-1918 puis 1939-1945 qui ont déchiré les territoires à l’échelle planétaire. J’aborderai la Seconde Guerre mondiale par une facette parfois méconnaissable : la Suisse.
L’article ne mettra pas en exergue les différentes batailles opposant les Alliés à l’Axe ni même ne présentera un résumé chronologique de cette guerre. Il s’agira surtout de se focaliser sur la Confédération helvétique et ses plans stratégiques afin de dévoiler son anxiété d’une invasion possible des forces de l’Axe.
Comment un si petit pays a-t-il réussi à perdurer et à garder son autonomie durant cette guerre ? Deux images en ressortent :
- La première, certainement un cliché patriotique, voudrait nous faire croire que la Suisse a pu se conserver grâce à son territoire naturel d’exception, limitant la pénétration du territoire par les chaînes montagneuses.
- La seconde se retrouve dans la coopération financière et bancaire avec l’Allemagne, notamment par le recyclage de l’or nazi et les échanges commerciaux.
Est-ce que cela rendrait le pays indifférent vis-à-vis des Alliés ? Bien sûr que non. Si la neutralité de la Suisse a été remise en question, c’était uniquement pour sauvegarder son existence.
De plus, elle a été une plaque tournante dans la communication entre la résistance française et les Anglo-Saxons, mais elle a aussi été décisive dans la coopération au renseignement militaire. Bref, la meilleure façon de combattre est de ne pas devoir faire la guerre.
Les États-Unis avaient d’ailleurs demandé aux pays neutres au conflit (Portugal, Suisse, Liechtenstein, Suède, Vatican et Irlande) de cesser toute activité avec l’Allemagne, mais aussi de leur déclarer la guerre.
Ne voulant pas rédiger un article empli de controverses, j’aborderai dans un premier temps le « Réduit national » qui a engendré un nombre incroyable de fortifications dans les Alpes et dans le Jura jusqu’au Rhin à l’est du pays. Enfin, dans un second temps, il conviendra d’approcher certains aspects d’un fortin.
Rapport du Grütli : le Réduit national ?
En 1940, la Suisse se retrouve encerclée et dans une situation difficile. Les Allemands sont au nord jusqu’à l’ouest à partir de Genève et les Italiens au sud du pays.
Sous la conduite du nouveau général suisse, Henri Guisan, des forteresses s’implantent en masse au sein des Alpes. Le Réduit national consiste à se replier dans une défense solide et regroupée autour de Saint-Maurice, du Gothard et de Sargans. Les moyens militaires et le nombre de soldats ne permettent pas une protection absolue aux frontières, laissant par conséquent le Plateau dégagé.
L’objectif serait de mener une guerre interminable dans les vallées abondantes afin d’immobiliser l’ennemi à travers des parcours inaccessibles. C’est pourquoi la tactique de défense consiste à miner les ponts, les tunnels et d’autres voies de communication pour réduire la mobilité ennemie en cas d’invasion.
Cette réaction est d’ailleurs justifiée, car des aviateurs suisses ont abattu plusieurs pilotes allemands qui avaient pénétré l’espace aérien après les bombardements de Lyon en 1940. Un plan allemand (l’Opération Tannenbaum) est d’ailleurs en préparation pour envahir la Suisse, mais n’a jamais été ordonné par Hitler.
Le pays, encerclé par les forces allemandes et italiennes, ne représente aucun danger immédiat. L'Axe semblerait plus occupé par les autres pays en Europe, ce qui a laissé suffisamment de temps aux Helvètes de solidifier leurs forteresses.
Repli dans le Réduit national vu par des fusiliers
« Le lendemain, un ordre arriva que nous accueillîmes avec soulagement : le bataillon est alarmé !
Départ à la tombée de la nuit. Destination inconnue ! (...)
Je ne sais pas où l’on va (...). C’est drôle : on a quitté la frontière pour marcher vers les Alpes (...).
Pourquoi ? (...) pourquoi est-ce que nous abandonnons la frontière ? (...)
Sommes-nous trahis par quelqu’un à Berne ? (...) Est-ce que nous commençons à obéir à Hitler ?
(...) Non, ce n’est pas possible !
(...) Mon commandant de bataillon n’obéira jamais à Hitler (...) Le Général, non plus (...) Dieu merci, nous avons le Général ! Après tout, où est passé le major ? Disparu depuis hier soir. Où se trouve-t-il maintenant ? Secret militaire (...). »
Qu’est-ce qu’une fortification helvétique ?
Ce sont tout d’abord des constructions en béton (des bunkers), parfois enterrées ou construites dans une paroi rocheuse. Elles ont plusieurs caractéristiques communes :
- Elles sont camouflées et permettent une visibilité excellente sans être vues.
- Elles sont opératoires au combat, prêtes à l’engagement.
- Elles offrent une bonne protection contre les armes conventionnelles.
Une structure militaire se compose à l’intérieur d’elles :
- Les fantassins assurent la défense extérieure du fort.
- Les artilleurs de forteresse peuvent riposter par des tirs précis.
- Les canonniers de défense contre avions surveillent l’espace aérien.
- Les soldats de transmission établissent et entretiennent des liaisons afin de guider l’état-major.
- D’autres soldats assurent aussi la logistique (un service sanitaire, un service de transport, un entretien des machines et des conduits d’aération).
Plusieurs missions essentielles doivent être continuellement accomplies. Les soldats veillent, creusent, et aménagent avec une certaine fébrilité des positions d'armes, des barrages et des renforcements du terrain. Lorsqu'ils ne font pas la garde, ils font les terrassiers, les bûcherons, les maçons. Les travaux sont rudes : ils transportent du sable, du gravier, du béton. Les forêts s’affalent. Le secteur se hérisse de piquets et de barbelés.
Le renforcement du terrain est primordial. On y installe des kilomètres de barbelés, on abat énormément d’arbres. En cas d’attaque, l’adversaire mettra dix fois plus de temps ou devra engager sept fois plus de forces.
La déclassification des fortins : de nouveaux musées envisagés ou sites accessibles ?
Il existe plusieurs types de fortins que nous pouvons actuellement visiter. Si certains nous sont tenus secrets pour des raisons diverses, d’autres sont ouverts au public.
Tout d’abord, il est possible de visiter les forteresses du Gothard qui possèdent des galeries étendues dans les Alpes (à savoir qu’une montagne peut abriter une centaine d’ouvrages). D’autres sont de simples bunkers discrets, des fortifications prenant l’air d’une ferme ou d’un bloc de pierre. Il y a même un aérodrome creusé dans les montagnes pour les forces aériennes.
Certaines barricades antichars sont toujours présentes en Suisse à proximité des postes de douane, près des axes routiers importants et les minages prévus à couper les routes et les voies ferrées ont enfin été enlevées.
La forteresse de Dailly est un exemple notoire parmi tant d’autres. 24 kilomètres de couloir, des dizaines de portes blindées sont nécessaires pour traverser l’entièreté des galeries. Les canons tourelles disposent la capacité de tirer des obus toutes les 2 secondes et qui couvrent un territoire à 360 degrés depuis Villeneuve jusqu’à Sion et toute la frontière française avec Morgins jusqu’au Grand-Saint-Bernard. Certaines informations étaient classées secrètes jusqu’en 1994. Elle dispose même des voies de communication à l’intérieur de la montagne. Elle peut rejoindre Savatan en 8 minutes avec son funiculaire interne (déclivité de 82%).
Le fortin de la cluse de Soyhières, un simple bunker ?
Ce sont cinq fortifications construites au début de la Seconde Guerre mondiale livrées et échelonnées à la troupe ayant pour but de bloquer l’accès sur la ville de Delémont. Situées cette fois en-dehors des Alpes, au nord-ouest du pays (au Jura) elles demeurent uniques en leur genre.
Objet et témoin du passé, elles révèlent certaines informations concernant leurs compositions, leurs objectifs et leur appropriation spatiale. Elles étaient munies d’un système de tyrolienne pour tétrapodes. En effet, un système de câbles tendus entre les deux rives permettait de déposer dans le lit de la rivière des éléments antichars en béton appelés tétrapodes pour empêcher les chars de passer. Actives jusqu’en 1955, elles possèdent d’ailleurs un canon antichar (le PAK 90) et un obusier d’artillerie de 10,5 cm.
En somme, il reste encore une quantité non négligeable de fortins abandonnés ou cherchant un acheteur potentiel. Cependant, les sommes à investir pour maintenir ce patrimoine sont conséquentes. Ces sources historiques témoignent d’une opération militaire importante du XXe siècle et démontrent à quel point le pays voulait se préserver par une ample défense.
Cette tactique militaire ressort donc des enjeux géographiques, économiques et culturels. Les passionnés de guerres seront certainement ravis de découvrir une face cachée du pays.
Sources
- Défense d’entrer, L’armée Suisse et ses forts secrets : https://www.youtube.com/watch?v=vEOLonBfaD8, consulté en décembre 2017.
- René-Henry Würst, Alerte en pays neutre. La Suisse en 1940, Lausanne, Payot, 1966.
- Christophe Clavel, La Suisse pendant la Seconde Guerre mondiale, Mise en ligne : mercredi 26 août 2015 : http://docplayer.fr/20264144-La-suisse-pendant-la-seconde-guerre-mondiale.html.
Iconographies
- Croquis et photos de construction des fortifications suisses pendant la 2ème guerre mondiale, consulté en décembre 2017.
- World of Teone, à la découverte du Réduit national : http://worldoft1.blogspot.ch/p/reduit-national-une-petite-orientation.html, consulté en décembre 2017.
- Sydfire Contributeur
- "En politique le choix est rarement entre le bien et le mal, mais entre le pire et le moindre mal." Machiavel