La colonisation de l’île de Pâques par les Incas, mythe ou réalité ?

Le Spartiate
Thématique
Mythologie précolombienne
14 juin
2017
L'île de Pâques, une île perdue en plein milieu de l'océan Pacifique...L'île de Pâques, une île perdue en plein milieu de l'océan Pacifique...

L’île de Pâques et ses mystérieuses statues géantes, que l’on appelle Moaï, est aussi connue sous le nom de Rapa Nui ou encore Te pito o te henua, qui veut dire : « le nombril du monde ».

En effet, cette petite île située au milieu de l’océan Pacifique est le lieu habité le plus isolé de la planète. Elle se trouve à plus de 3 600 km des côtes chiliennes, et l’île la plus proche est à 2 000 km en direction de l’ouest.

Son histoire reste énigmatique, mais certains spécialistes affirment que les Incas y auraient débarqué, puis installé une colonie...

Une hypothèse confirme cette épopée extraordinaire. En effet, l’historien péruvien Jose del Busto Duthurburu, s’est appuyé sur un document écrit à la fin du XVIème siècle par l’explorateur espagnol Pedro Sarmiento de Gamboa. Celui-ci retrace une expédition qui aurait eu lieu dans le Pacifique, où deux îles du nom de Nina-chumpi et Hahua-chumpi furent découvertes. La première serait vraisemblablement l’île de Pâques.

De plus, de nombreux autres indices et traces archéologiques retrouvés sur place tendent à prouver la véracité de ce récit, même s’il reste des zones d’ombres.

Mais avant d’aller plus loin, intéressons nous à l’empire inca au XVème siècle ainsi qu’à l’instigateur de cette expédition, l’empereur inca Tupac Yupanqui.

L’empire inca au XVème siècle, la naissance d’une brillante civilisation

Pachacutec, le créateur d'un empire resplendissant.Pachacutec, le créateur d'un empire resplendissant.

Pachacutec est le premier empereur inca, il règne de 1438 à 1471. Le souverain entreprend plusieurs expéditions militaires. De cette manière, il fonde un empire comprenant en son sein de nombreuses tribus et de multiples royaumes andins.

Grand général, c’est aussi un excellent administrateur. Il fait construire de longues routes afin d’assurer la liaison entre les différentes cités conquises et la capitale impériale, Cuzco. Au total, c’est un maillage de plus de 23 000 kilomètres de routes qui est mis en place.

Représentation du dieu inca Inti, l'or était considéré par les Incas comme la sueur du Soleil.Représentation du dieu inca Inti, l'or était considéré par les Incas comme la sueur du Soleil.

L’immense empire est découpé en provinces, chacune d’elle est gouvernée par un fonctionnaire royal qui rend des comptes à l’empereur. Le culte du dieu Soleil Inti et la langue quechua sont imposés aux nombreuses peuplades conquises, mais ces dernières gardent leurs coutumes ancestrales.

Enfin, les Incas ne connaissent pas l’écriture, les traditions se transmettent à l’oral. En revanche pour tenir la comptabilité des richesses de l’empire, les fonctionnaires utilisent un ingénieux système de cordes nouées appelé quipu.

Le quipu, son déchiffrement est encore à l'étude de nos jours.
Le quipu, son déchiffrement est encore à l'étude de nos jours.
L'empire inca.

À la mort de Pachacutec, son fils, Tupac Yupanqui, continue la politique de conquête de son père, il s’aventure toujours plus loin dans l’extrême sud. Il étend son empire jusqu’au Rio Maule, situé au centre du Chili actuel.

Par la suite il étend son empire au nord en vassalisant le peuple des Canaris, et s’arrête au fleuve Ancasmayo situé dans l’actuel Colombie.

Lors de ses campagnes militaires, le souverain longe les côtes septentrionales du Pérou. C’est à partir de ce moment qu’il aurait décidé d’organiser une expédition maritime d’envergure.

En effet, selon la tradition, ce ne sont pas moins de 400 radeaux qui auraient pris part à ce voyage incroyable…

La source de ce récit, entre mythe et réalité

C’est donc l’explorateur Pedro Sarmiento De Gamboa (1532-1592) qui, dans son ouvrage Historia de los Incas, nous relate cette histoire.

Pedro Sarmiento de Gamboa (1532-1592), passionné d'exploration il rédigea un ouvrage précieux sur l'histoire de la civilisation inca.Pedro Sarmiento de Gamboa (1532-1592), passionné d'exploration il rédigea un ouvrage précieux sur l'histoire de la civilisation inca.

En effet, durant son séjour au Pérou, il interroge de nombreuses personnes que ce soit des nobles indigènes, des membres survivants de la famille de l’empereur inca ou encore des conquistadors ayant pris part à la conquête du Pérou. Pour réaliser son ouvrage, il mène une véritable enquête à travers tout le pays dans les années 1560. Son ouvrage paraît quelques années plus tard, en 1572.

L’empereur Tupac étant mort en 1493, il est assez peu probable que Pedro Sarmiento ait pu interroger des contemporains du défunt Inca. Néanmoins, cette formidable enquête sur le terrain est un véritable travail d’historien nous permettant aujourd’hui de connaître l’histoire de cette brillante civilisation. Une fois son ouvrage terminé, Pedro Sarmiento l’envoie au roi Philippe II d’Espagne.

L'empereur inca Tupac Yupanqui (1430-1493), il poursuivit la politique d’expansion territoriale de son père avec succès.L'empereur inca Tupac Yupanqui (1430-1493), il poursuivit la politique d’expansion territoriale de son père avec succès.

Dans son livre, l’Espagnol affirme que Tupac rencontra des marchands dans la ville côtière de Tumbes, au Pérou. Ces derniers déclarent à l’empereur qu’ils viennent d’un ensemble d’îles situées à l’ouest. Celles-ci portent le nom de Nina-chumpi et Hahua-chumpi, de plus elles regorgent d’or.

L’empereur, qui est un homme ambitieux et insatisfait de ses conquêtes, décide de traverser l’océan pour conquérir ces îles. Il donne l’ordre de construire une flotte de 400 radeaux, et d’embarquer 20 000 hommes.

L’empereur serait parti entre neuf mois et un an. Plus le temps s’écoulait, plus les sujets de l’Inca se dirent que celui-ci ne reviendrait jamais. Mais après un long périple, Tupac Yupanqui revint en ramenant avec lui de précieux trophées.

En effet, l’empereur aurait emporté avec lui  une mâchoire de cheval ainsi qu’un bout de peau de l’animal. Ces « reliques» sont précieuses, car les Incas ne connaissaient pas les chevaux, ils seront importés plus tard par les Européens.

Bien évidemment le récit est à prendre avec des pincettes, mais cette expédition aurait très bien pu avoir lieu. Quelques pistes ont été avancées par des experts...

Les thèses et les indices archéologiques

Pour que l’hypothèse d’une expédition sur l’île de Pâques soit valable, il a d’abord fallu déterminer si de simples radeaux de bois pouvaient naviguer aussi loin. Il y a un demi siècle, l’anthropologue norvégien Thor Heyerdahl s’est chargé de démontrer la possibilité d’une telle expédition en réalisant lui-même l’expérience.

Pour cela, il construisit un radeau primitif et partit de la ville de Callao au Pérou, puis après trois mois de navigation il échoue sur les îles Tuamotu situées en Polynésie française. Ces îles sont à environ 4 000 kilomètres à l’ouest de l’île de Pâques, mais cette expérience démontre que les radeaux primitifs ont la capacité de traverser l’océan Pacifique.

Le radeau de Thor Heyerdahl.Le radeau de Thor Heyerdahl.

Pour ce qui est de l’emplacement des mystérieuses îles de Nina-chumpi et Hahua-chumpi, que l’on retrouve dans le récit de Pedro Sarmiento, l’historien péruvien Jose del Busto Duthurburu s’est penché sur certaines localisations possibles.

Après de nombreuses recherches, il privilégie la thèse d’une traversée de l’Océanie par l’expédition inca. L’empereur aurait d’abord visité l’île de Pâques qui pourrait être Nina-chumpi puis l’île de Mangareva qui semblerait correspondre à Hahua-chumpi. Afin d’appuyer sa thèse, l’historien se base sur des mythes polynésiens et pascuans qui nous content l’arrivée d’un souverain venant de l’est appelé Tupa ou Mahauna Te Ra'a qui veut dire : « Fils du Soleil ».

Représentation moderne d'un « orejones »Représentation moderne d'un « orejones »

Or Tupac Yupanqui portait le titre de Intip churin, que l’on traduit aussi par : « Fils du Soleil ».

Une seconde légende de l’île de Pâques fait mention d’hommes à « longues oreilles » qui auraient débarqué et modifié sensiblement l’environnement de leur nouvelle terre d’accueil.

Effectivement, dans la civilisation inca, les membres de la noblesse sont appelés « orejones »  par les Espagnols, car ceux-ci avaient la particularité d’avoir les oreilles percées par un large rouleau qui étendait considérablement la longueur de leurs oreilles.

Enfin,  les partisans de la cette thèse invoquent aussi les constructions originales de l’île, notamment un mur qui ressemble à ceux que l’on peut retrouver au Pérou.

Ce mur provient de l'île de Pâques.  Ce mur provient de Sacsayhuaman au Pérou.Le mur de gauche provient de l'île de Pâques, le second de Sacsayhuaman au Pérou.

Pour ce qui est des statues, elles ressembleraient plutôt à des indigènes des Andes aux traits fins plutôt qu’à des Polynésiens. Surtout que ce genre de statue d’hommes debout ne se retrouve qu’exclusivement en Méso-Amérique et sur la côte ouest de l’Amérique du Sud, face à l’océan Pacifique.

Poterie découverte sur le lac Titica par des chercheurs de l'université d'Helsinki représentant un « ojerones »  Moaï de l'île de Pâques.À gauche poterie découverte sur le lac Titica par des chercheurs de l'université d'Helsinki représentant un « ojerones » et à droite un moaï de l'île de Pâques.

Tous ces éléments mis bout à bout semblent cohérent dans l’ensemble. Mais cette thèse n’est pas celle qui prévaut dans le monde scientifique. Les historiens privilégient la colonisation de l’île de Pâques par des Polynésiens.

En revanche, la thèse de l’expédition inca ne semble pas déraisonnable, et si plus tard celle-ci s’avère être authentique, cela pourrait remettre beaucoup de choses en perspective...

Sources

  • Thor Heyerdahl, Aku Aku, Le secret de l’île de Pâques, Libretto, 2011.
  • Louis Baudin, La vie quotidienne au temps des derniers incas, Librairie Hachette, 1955.
  • Pedro Sarmiento De Gamboa, Historia de los incas, Miraguano Ediciones, 1988, 192 pages.
  • Brasidas Ancien membre d'HistoriaGames
  • "Les Spartiates ne s'inquiètent pas de savoir combien sont les ennemis, mais seulement où ils sont !" Cléomène III