Grand Homme de l'Histoire : Akhenaton, le serviteur d'Aton
14 février 2014 par Aymdef | Grand Homme de l'Histoire | Égypte ancienne
Parmi les pharaons ayant régné sur l'Égypte antique, il y en a un qui aura bouleversé pendant une courte période l'Histoire de son royaume, une période considérée comme la plus brillante de l’histoire égyptienne. Ce pharaon se nomme Aménophis IV également connu sous le nom d'Akhenaton.
Comme l'écrivait l'égyptologue Cyril Aldred : « aucun souverain de l'Ancienne Égypte n'a peut être fait couler autant d'encre de la plume des historiens, archéologues, moralistes, romanciers et amateurs divers que le pharaon Akhénaton ». Tantôt qualifié de mystique, d'idéaliste, de fanatique, de malade, de maniaque religieux, de prisonnier nubien castrat voir même de femme déguisée en homme, Akhenaton était en réalité un personnage complexe.
À l'origine, il se nommait Aménophis IV...
Aménophis IV naquit probablement à Thèbes et passa sa tendre jeunesse dans le palais thébain de Malgatta. Il est le fils d’Aménophis III et de la reine Tiyi1. Le règne d’Aménophis III était très calme, marqué notamment par une paix durable. Surnommé le Magnifique, Aménophis III est considéré comme l'un des plus glorieux pharaons. Il monta sur le trône à l'âge de 12 ans et régna durant 37 années sur un pays au faîte de sa puissance et de son rayonnement.
Poursuivant l'idéologie de son père Thoutmosis IV, Aménophis III orienta l'idéologie religieuse en vigueur à la cour en direction du culte solaire. C'est sous son règne que le dieu Rê, la suprême divinité solaire des temps anciens, fut associé à Amon, le dieu de Thèbes et de la dynastie royale, pour former Amon-Rê. C'est également sous son règne que le disque solaire, Aton, eut son propre culte et son temple à Héliopolis. L'importance du culte d'Aton ne cessa de croître durant ce règne avant de connaître l'apothéose sous le règne d'Akhenaton.
Il est possible qu'Aménophis IV co-dirigea l'empire avec son père. Cependant, les sources divergent concernant cette corégence, certains historiens la situant plus tôt dans le règne d'Aménophis III, vers sa 28 ou 29ème année, d'autres l'a font débuter dans ses dernières années de règne. Mais, il n'y a aucune preuve qui est venue étayer l'hypothèse d'une telle corégence. Au contraire, le jeune prince fut mal préparé à régner, puisque rien ne laissait supposer qu'il monterait un jour sur le trône d'Égypte. En effet, avant lui se trouvait son frère aîné Thoutmosis -qui aurait du régner sous le nom de Thoutmosis V- mais qui trouva la mort prématurément.
Dans tous les cas, c'est au bout de 38 années de règne, soit vers 1354 avant notre ère, qu'Aménophis III meurt, de vieillesse sûrement. Il avait vécu près de 50 ans à une époque où l'espérance de vie n'excédait pas 35 ans... Il laisse sa place à son fils, alors âgé de 15 ans, et à sa jeune épouse, la fameuse Néfertiti à la beauté légendaire. L'origine de Néfertiti est incertaine. Les sources divergent également ici. Certains prétendent qu'elle est une cousine d'Aménophis IV, fille de Aÿ, le frère de la reine Tiyi. D'autres disent que la célèbre reine est une étrangère d'origine mitannienne2 ; son nom qui signifie « La belle est venue » laissant penser qu'elle vient d'ailleurs.
Puis il se fit nommé Akhenaton
Ce que retient l'Histoire d'Aménophis IV est son incroyable réforme religieuse qui bouleversa durablement l'Égypte tant sur le plan religieux que politique. Il est passé à la postérité comme le roi hérétique, le pharaon schismatique ou bien encore le souverain poète.
Il parachève pourtant une œuvre culturelle et religieuse initiée par ses parents Thoutmosis IV puis Aménophis III : l’imposition de la première religion monothéiste connue de l’Histoire, le culte du disque solaire Aton.
Pourtant son règne débuta normalement. Lors de son couronnement à Karnak, le nouveau pharaon prit pour nom Néferkhéperouré Ouâenrê (Les manifestations de Rê sont parfaites », l'« Unique de Rê), ce qui montre qu'au départ, il était favorable au dieu Amon-Rê et à ses prêtres.
Petit à petit, la conception d'un culte solaire se fait de plus en plus précis, le soleil y serait le dieu de tous les pays et de tous les hommes. Pour cela, on lui donne un nom compréhensible par toutes les régions orientales et on lui trouve un symbole, celui d'un disque rayonnant facile à comprendre. Le disque Aton personnifie dès lors la chaleur et la lumière qui crée la vie et dont la bonté assurait la subsistance et la sécurité des hommes.
Lors de la cinquième année, le changement allait se concrétiser marquant la fin d'une époque. Thèbes est abandonné, Aménophis IV déplaçant le pouvoir et sa cour plus au nord, sur un site qui n'était encore consacré à aucun dieu. Il y fonda une nouvelle capitale, Akhetaton, « Horizon d'Aton », pour vénérer ce dieu unique.
Pourquoi un tel changement ?
Folie, porte des étoiles, extraterrestre ? Non rien de tout ça bien entendu. Parmi les raisons évoquées figurent celle de la montée en puissance des prêtre de Thèbes qui avaient acquis un tel pouvoir qu'ils constituaient presque un état dans l'état. Ces prêtes vivaient des immenses dons qui parvenaient aux temples consacrés à Amon et qu'ils administraient habilement. Une grande partie des terres cultivables autour de Thèbes appartenaient aux prêtes et les temples en l'honneur d'Amon se multipliaient dans le pays.
Sûrement inquiet d'une telle richesse -et peut être influencé par les prêtes du culte d'Aton-, le jeune Aménophis IV décida de modifier radicalement la tradition religieuse. Le culte d'Amon fut ainsi remplacé par celui d'Aton qui avait comme avantage de proposer aucun simulacre. Des temples furent ainsi fermés et les prêtres dispersés. Amon n'était pas forcement visé dans cette réforme mais plutôt le clergé. Cette période est malheureusement marquée par de multiples dégradations dans les temples. En effet, les noms des divinités dans les temples ont été effacés.
Dès lors, Akhenaton imposa un monothéisme absolu dont seul existait Aton, représenté sous la forme d'un disque solaire dont partait de longs rayons se terminant par des mains, qui tendent la clef de vie Ânkh aux humains et à toute la création. Akhenaton se conféra à lui-même le titre de Grand Prêtre du Soleil, rôle qui était traditionnellement dévolu aux pharaons, mais que personne avant lui n'avait mentionné expressément dans ses titres. Puis il formula un nouveau nom au dieu solaire : « Rê-Horakhtê, qui porte à l'horizon le nom de lumière, le Disque Solaire (Aton) ». L'instauration de ce culte ne laissait presque plus de place aux divinités traditionnelles, hormis le Soleil qui devenait la propre glorification du pharaon.
Vers la neuvième année du règne, le nom du dieu fut changé pour celui de « Rê, seigneur de l'Horizon, qui porte à l'Horizon le nom de Rê le Père, lequel est retourné au DIsque Solaire ». C'est probablement à ce moment que le pharaon fit supprimer le nom d'Amon. Il fit même interdire l'usage du mot dieu au pluriel, mais la nouvelle religion ne semble pas avoir soulevé l'enthousiasme à cause certainement de cette intolérance vis-à-vis des autres divinités, plus que la vénération d'un dieu unique par Akhenaton. Même l'important culte d'Osiris fut supprimé car les disciples d'Aton ne pouvaient concevoir une vie après la mort.
Il faut bien comprendre que le clergé était particulièrement mécontent de cette réforme et s'y opposa, d'autant plus que désormais il était inutile de passer par les prêtres pour interroger la divinité ou l'adorer. En effet, le pharaon se pose comme l'équivalent terrestre d'Aton et assure ainsi le lien entre le dieu unique et les hommes, et il fallait désormais passer par lui.
Akhetaton : une capitale surgie de nulle part
Comme écrit précédemment, Akhetaton est devenu la nouvelle capitale de l'empire égyptien, crée à partir de rien. Fondée en plein désert, à mi-chemin entre Memphis et Thèbes, la ville s'étendait en demi-cercle sur plus de 10 kilomètres le long de la rive orientale du Nil et devant une chaîne de montagnes rocheuses.
Elle fut bâtie en hâte en briques crues et en talatates3 afin d'accueillir rapidement la population provenant de Thèbes comme des ouvriers, des paysans, des artistes, des scribes, les soldats et le personnel de la cour. Au centre de la ville se dressait le Grand Palais. De part et d'autre du Palais furent édifiés le Grand temple, la « Demeure d'Aton dans Akhetaton », une enceinte de 760 sur 270 m, et le Petit temple, consacré lui aussi à Aton.
Le Grand temple différait radicalement du temple égyptien traditionnel par sa conception et son architecture. La maison du dieu était un modeste sanctuaire autour duquel ouvrait une série de cours à ciel ouvert dans lesquels étaient disséminés de nombreux autels pour les offrandes à Aton.
En près de 20 ans d'existence, Akhetaton mourut une fois abandonné et fut plus jamais habité. Aujourd'hui, elle constitue un des sites archéologiques les plus célèbres d'Égypte : Armana (ou Tell el-Amarna ou el-Amarna). Le site fut visité par des voyageurs et des collectionneurs d'antiquités au XVIIIème siècle et les corps de savants de Napoléon Bonaparte établirent une carte d'Amarna publiée dans la Description de l'Égypte. La tombe d'Akhenaton fut découverte en 1881 par des habitants de la région et le célèbre buste de Néfertiti (exposé aujourd'hui à l'Ägyptisches Museum de Berlin), en image ci-contre, fut découvert lors d'une mission archéologique allemande entre 1907-1914.
L'armanien : Un style artistique révolutionnaire
Le nouveau credo religieux eut de lourdes répercussions dans le domaine artistique. Ainsi nous voyons apparaître une nouvelle forme d'art proposant à la fois un nouveau style mais aussi des thèmes et des sujets jusqu'alors peu présents, voire absents. Les idéals simples et intimistes deviennent ainsi une constante de l'épisode armanien, autant dans l'expression des corps que dans les scènes familiales figurées. Cela favorise un peu l'idée d'une propagande religieuse, les croyants en se rendant dans les temples y voyaient une représentation de la famille royale idéalisée. Comme on le voit sur cette stèle de la famille royale provenant d'un autel domestique. Le pharaon offre un fruit à l'une de ses filles, Néfertiti tenant deux autres filles sur ses genoux, le tout avec le Disque solaire bienveillant dardant ses rayons sur la famille royale.
Les corps ne sont plus des corps conventionnels. Ils montrent, voire même accentuent les cous tordus, les crânes étirés, les ventres rebondis, les cuisses épaisses et les mollets minces. Cet ensemble trace le portrait d'un Akhenaton androgyne. Il est possible que cette représentation soit plus idéologique que représentatif d'Akhenaton. Ainsi, le pharaon porte en lui les principes mâle et femelle qui le rendent omnipotent. Telle une manifestation de dieu sur terre, il est un créateur et en tant que tel il lui faut être homme et femme en même temps.
Petite aparté à ce sujet, on a attribué la conformation physique très particulière du pharaon à diverses causes. Certains ont même prétendu qu'il s'agissait d'un extraterrestre... D'autres ont prétendu que c'était le résultat d'une série de mariages incestueux ou de maladies comme le syndrome de Fröhlich qui provoque des difformités ou une Hydrocéphalie. Bien entendu, tout ceci a été démenti depuis.
Traditionnellement, les personnages et les scènes étaient montrés de façon fixe et hors du temps, comme s'ils étaient figés dans l'éternité. Maintenant, il y a un rapport actif entre les personnages et les groupes. La liberté artistique fut totale et d'une originalité extrême. Parmi les sujets les plus fréquents figurent celui de l'adoration du Disque solaire. La reine est également représentée dans des figurations de cérémonies officielles, alors que traditionnellement seul le phararon était présent.
Tout le monde ayant visité le Louvre à en mémoire le fameux Colosse d'Akhenaton. Il s'agit d'une représentation du roi dans la position dite "osiriaque" : debout, jambes jointes, bras croisés sur la poitrine et tenant dans ses mains les sceptres royaux.
Un désastre politique et une fin de règne mouvementé
Le mysticisme du pharaon lui fit malheureusement négliger ses devoirs terrestres et l'Empire commença à se démanteler petit à petit. En fermant les temples et en rattachant leurs biens à la couronne, le souverain à centraliser le pouvoir, mettant ainsi à l'écart les autorités locales. L'action de l'administration a été rendue difficile et la corruption s'est mis en place. Sur le plan extérieur, la situation est encore plus terrible. Les Khabiri4, les Hittites et les Assyriens pillaient les capitales des alliés de l'Égypte, le Mitanni, Babylone et les ports phéniciens, sans qu'Akhenaton ne songeât à intervenir.
Sur le plan personnel, Néfertiti avait donné naissance à six filles, mais à aucun garçon. À cause de cela, il pourrait s'être séparée de sa reine en l'an 14 de son règne. À la fin de sa vie, Akhenaton prit son gendre Sémenkharê, l'époux de sa fille Meritaton, pour co-régent. L'origine de Sémenkharê fait aussi débat. Deux ans après au bout de 17 ans de règne, Akhenaton trouva la mort et Sémenkharê lui succéda durant une année avant de mourir prématurément. Certains historiens pensent que Sémenkharê serait en fait Néfertiti.
Afin d'assurer une succession légitime pour éviter des troubles car les fidèles d'Amon étaient restés nombreux et influents, un jeune prince de sang royal, Toutankhaton, alors âgé de 9 ans (on trouve aussi 5 ans), fut placé à la tête du royaume par des hommes influents. Il était marié à la petite Ankhésenpaaton, héritière légitime, puisque fille d'Akhenaton et de Néfertiti.
Toutankhaton dut très vite se réconcilier avec les prêtres d'Amon. Il regagna Thèbes et restaura les traditions sous leur contrôle. Toutankhaton changea dès lors de nom pour devenir celui que l'on connaît tous sous le nom de Toutankhamon, « L'image vivante d'Amon » et Ankhésenpaaton devient Ankesenamon « Sa vie et celle d'Amon ». Akhetaton fut rasé, ses temples et ses palais détruits, leurs pierres auraient servi à l'édification de nouveau monument, notamment sous le règne de Ramsés II, mais ça c'est une autre histoire... En quelque sorte, Aton mourut en même temps qu'Akhenaton...
Pour aller plus loin
- A. Gros de Beler, Les Pharaons, Éditions Molière, 1997, 133 pages.
- D. Meurois-Givaudan, La Demeure du rayonnant - Mémoires égyptiennes, Editions le Passe-Monde, 2011, 416 pages.
- Dimitri Laboury, Akhénaton, Pygmalion, 2010, 477 pages.
- G. Sinoué, Akhenaton: Le dieu maudit, Folio, 2005, 320 pages.
- G. Magi, Pharaons et divinités de l'ancienne Egypte - Mythes et Légendes, Éditions du Korrigan, 144 pages.
- J. Fletcher, Le Roi-Soleil de l'Egypte : Aménophis III, Acropole, 2000, 176 pages.
- Collectif, La grand encyclopédie de l'histoire de l'Égypte, terre éternelle des pharaons, Nov'edit, 2005, 493 pages.
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1 : Tiyi était une roturière, fille de Youya, un notable d'Akhmîm qui exerça la charge de maître des haras avant d'y installer son propre fils Aÿ. La reine mère mourut dans la 8ème année du règne d'Akhenaton.
2 : La Mitanni est ancien royaume du Proche-Orient, situé près de la Syrie actuelle. Ce royaume était allié à l'Égypte à l'époque d'Akhenaton.
3 : Un bloc de « trois » (en arabe talata) fois la largeur de la main soit 50x60cm pour une épaisseur de 27cm et 40kg en moyenne, utilisé comme pierre de construction en grès, typique de la période amarnienne.
4 : Groupe de Bédouins du désert syro-arabe.