Info sur le film
Titre originalThe Man With the Iron Heart
Durée 120 min
GenreDrame historique
Réalisateur Cédric Jimenez
Sortie7 juin 2017

HHhH

Roi de Dreamland
Thématique
Seconde Guerre mondiale
1er juillet
2017

Quel plaisir d’écrire sur HHhH ! En effet, pour une fois, le sujet du film offre la liberté d’une critique avec spoils, sans déranger pour autant le lecteur.

À moins que vous ayez beaucoup dormi durant vos cours au collège et au lycée, vous devez en effet savoir comment s’est terminée l’Opération Anthropoïde, sujet principal du long métrage de Cédric Jimenez, lui-même inspiré du génialissime livre de Laurent Binet.

Alors le film est-il à la hauteur du livre ? Eléments de réponse à travers cette critique.

Un long métrage ambitieux

Transposer au cinéma un excellent ouvrage ultra documenté et bourré de sources précises comme celui de Binet est un challenge à double tranchant. En cas de réussite, un excellent film peut être réalisé. A l’inverse, si le réalisateur ne parvient pas à saisir l’essence même du style particulier d’écriture de l’auteur, tout peut rapidement tourner au fiasco.

Dès le début, HHhH parvient à saisir l’attention du spectateur. Par son titre, déjà, assez atypique et original. HHhH signifie en effet : « Himmlers Hirn heißt Heydrich », ou en français : « Le cerveau d’Himmler se nomme Heydrich. » Par ailleurs, dire à ses amis : « Tiens je suis allé au cinéma voir « hache hache hache hache » » suscite également la curiosité. Mais derrière ces éléments légèrement « tape à l’œil », le contenu du film est-il satisfaisant ?

L’histoire du film va traiter du Protecteur du Reich en Bohême-Moravie, même s’il n’en est pas le sujet principal. En effet, Heydrich n’est qu’un acteur du drame qui se joue dans HHhH. Ce n’est donc pas un film centré sur le boucher de Prague, mais sur son assassinat par deux parachutistes tchécoslovaques (car il ne faut pas oublier que des Slovaques ont refusés de collaborer avec Hitler) envoyés depuis Londres pour l’éliminer.

La scène d’ouverture donne le ton et symbolise à elle seule l’esprit du reste du film : intense, oppressant et authentique. Selon un schéma scénaristique aussi original qu’intéressant, l’action s’ouvre directement sur la scène de l’attentat. On découvre ainsi les personnages de Jan Kubiš et Jozef Gabčík, les deux commandos chargés de faire taire celui que l’on surnomme « l’homme le plus dangereux du Reich ».

Le spectateur plonge alors directement dans l’action, mais celle-ci va s’arrêter à un moment précis afin de permettre un flashback ramenant l’histoire à son commencement. Il n’est pas aisé d’expliquer ce procédé à l’écrit. La matrice centrale du film correspond à cette scène et à ce moment précis de l’assassinat qui va être découpé en plusieurs brides et présentée selon les points de vues des différents protagonistes.

Ainsi, la scène d’ouverture s’arrête à un moment A qui déclenche un premier flashback sur la vie de Himmler, le faisant revenir au moment de l’attentat. Puis, une nouvelle bride de la scène se dévoile et s’arrête à un moment B qui va nous permettre de découvrir le passé et le cheminement des deux héros tchécoslovaques. Le procédé se répète une troisième fois pour enfin totalement débloquer la situation et permettre à l’action de suivre son court « dans le présent », jusqu’au triste épilogue de l’Opération Anthropoïde.

Une telle structure temporelle au niveau du scénario, avec de nombreux flashbacks et des avancées dans l’action s’avère risquée, car elle peut rapidement plomber le film et générer confusion et incompréhension pour le spectateur si le procédé n’est pas maitrisé. Toutefois, HHhH parvient à se sortir du piège. Les sauts et retours dans le temps ne freinent pas l’action et n’entrainent aucune répétition ou lourdeur inutile, malgré le fait que certaines scènes soient vues à plusieurs reprises par le spectateur. Il n’y a pas de redondances. La mise en scène est efficace ; le montage, sans faute. Les gros plans et les cadrages rapprochés offrent une ambiance intime et renforcent le suspense.

...Qui parvient à remplir le contrat haut la main

HHhH est un bon film. Mais n’arrêtez pas pour autant votre lecture ici et laissez-moi vous expliquer pourquoi. Tout d’abord, il parvient à réaliser un tour de force qui, à lui seul, prouve son succès total : en dépit du fait que l’histoire qu’il raconte est connue de tous et que sa fin a déjà été écrite, il parvient malgré tout à maintenir le spectateur en haleine, via sa mise en scène et son montage très proche des personnages.

HHhH est donc intense et oppressant, comme nous l’avons déjà dit. Même si l’on sait que Heydrich va mourir des suites de ses blessures, on tremble en le voyant s’accrocher à la vie. Même si l’on sait que les commandos vont finir par se faire trahir par l’un des leurs et seront noyés ou tués dans l’église où ils s’étaient réfugiés en attendant leur extraction du pays occupé, même si ce fait est certain, on a quand même envie d’espérer et d’y croire pour eux... d’attendre du scénario un retournement de situation qui permettrait aux héros de se sauver. Mais l’Histoire est sans pitié et une telle chose ne se produit pas. Le fait que le film parvienne à bouleverser les certitudes historiques de son public, comme si les faits présentés n’étaient pas historiques mais purement fictifs, tend à prouver que le suspense est correctement amené par le film.

N’allez toutefois pas croire que pour parvenir à ce résultat, HHhH se dégage des codes historiques pour revêtir ceux de l’œuvre de fiction. Il n’en est rien. L’auteur du livre, Laurent Binet, est très attaché à l’authenticité historique, à tel point qu’il rechigne même à inventer des dialogues et à faire dire à des personnages historiques des phrases de sa composition. Les efforts de recherches documentées et de sources historiques de Binet sont colossaux. Outre pour son livre, on sent alors qu’ils ont servis à réaliser un film de qualité qui retranscrit avec pertinence le contexte historique de cette époque et la vie sous le Protectorat de Bohême-Moravie.

Un contexte historique soigné, mais pas si approfondi que cela

HHhH est une œuvre réussie sur le plan purement historique. Profitant des travaux de Binet, le film présente des décors et des actions crédibles. Au niveau du casting, Jason Clarke est convaincant en Reinhard Heydrich tandis que les prestations de Jack O’Connell et Jack Reynor, jouant respectivement Kubiš et Gabčík sont également plus qu’honorables.

Les deux scènes centrales du film, à savoir celle de l’assassinat, et celle de la bataille dans l’église, sont des chefs d’œuvres en terme de réalisation cinématographique. Le cadrage de la caméra, les plans choisis par le réalisateur, le jeu de mouvement des acteurs, les dialogues... tout est réussi et de nombreux détails sont respectés, comme la Sten de Gabčík qui s’enraille sous le nez de sa cible.

Quelques libertés ont toutefois été prises par l’équipe du film par rapport au livre et à la réalité, comme le choix de faire mourir les deux personnages principaux ensembles dans la scène finale alors qu’ils moururent séparés en réalité. Le reste de la scène est par ailleurs très bien tourné, et présente correctement comment une dizaine de parachutistes commandos ont mis en échec durant toute une nuit plus de 700 SS.

Autre liberté prise par l’équipe du film : celle de faire naitre un lien direct entre les personnages principaux et le village de Lidice, massacré par les Einsatzgruppen en guise de représailles après la mort de Heydrich. Ces légères libertés prises restent toutefois largement raisonnables et elles ne sauraient entacher le très bon film qu’est HHhH.

Outre ces deux scènes, le reste du film est également très soigné et sa mise en scène est impeccable. Ainsi, on découvre lors du premier flashback comment Heydrich, officier de la marine de la République de Weimar promis à un brillant avenir malgré son caractère colérique, se retrouve mis en disgrâce en raison de ses mœurs dépravés.

Le film parvient alors à représenter d’une façon excellente et efficace les frustrations provoquées par le régime élitiste de Weimar, et comment elles furent exploitées par les nazis pour monter en puissance en recrutant des hommes comme Heydrich. Paradoxalement, le livre ne parle que très peu de cela. On y découvre également le personnage de Lina, l’épouse du boucher de Prague, qui a joué un rôle actif dans son engagement au sein du parti. Cela me permet d’aborder le point de la psychologie des personnages qui sont tous très bien développés. On apprend à les connaitre « à la volée », et pourtant, leur caractère et soigné et développé.

À l’inverse, le film va ainsi survoler d’une façon un peu trop légère d’autres éléments dont on aurait aimé qu’ils soient plus creusés ou plus développés. Ainsi, on parle très peu de ce qui s’est passé avant l’occupation et le protectorat. Quid du président Benes ? Quid de la partition et du régime fantoche slovaque ? Quid de la crise des Sudètes et de Munich ? Tous ces éléments sont survolés rapidement par le film sans être véritablement traités en profondeur.

Cela se justifie sans doute par le format cinématographique qui impose de présenter une histoire en un temps précis, mais également par une volonté du réalisateur de rester concentré dans l’action sans s’éparpiller en multipliant des considérations géopolitiques. Le raisonnement et la démarche sont alors compréhensible, et même sans trop développer ces points-là, le long métrage de Jimenez reste une réussite.

Conclusion : un grand oui !

HHhH est un excellent film. Présentant l’une des opérations les plus ambitieuses de la Seconde Guerre mondiale et l’un des seuls assassinats sur un haut dignitaire nazi ayant réussi, il captive de la première à la dernière minute son spectateur qui tremble, doute, et frémit malgré le fait que l’histoire que l’on lui raconte ait une fin arrêtée et connue de tous.

Visuellement réussi et très documenté, c’est sans doute l’un des meilleurs films historiques de 2017 en attendant de voir ce que vaudra le « Dunkirk » de Nolan. Et si vous avez été voir HHhH et que vous n’avez pas lu le livre de Binet, nous vous le recommandons également.

  • Zog Chroniqueur, Historien, Testeur, Youtubeur
  • « Une Europe fédérée est indispensable à la sécurité et à la paix du monde libre. » par Jean Monnet en 1952