Interview avec Mikael Andersson, Game Director sur Victoria 3

Roi de Dreamland
31 août
2022

Au cas où vous ne l'auriez pas compris, nous sommes plusieurs à attendre avec impatience Victoria 3 chez HistoriaGames. Outre votre serviteur, je sais que le camarade Cernunnos a également hâte de poncer ce titre à venir.

Alors que nous venons de vous révéler nos premières impressions dans notre preview du jeu, qui, je vous le rappelle, sortira le 25 octobre 2022 (tic-tac tic-tac…), Mikael Andersson, Game Director sur le projet, a gentiment accepté de répondre à nos questions à son sujet. De quoi saliver davantage et nous donner envie de se lancer dans des campagnes palpitantes !

L'interview est disponible ci-dessous en version française et anglaise !

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HistoriaGames : Bonjour Mikael et merci d'accepter de répondre à nos questions ! Victoria 3 arrive 12 ans après son prédécesseur. Il est attendu de longue date par une grande partie de votre communauté, principalement composée par des fans historiques de vos premiers jeux. Alors que nous sommes dorénavant en 2022 et que vous avez tenté de démocratiser les jeux vidéo de grande stratégie avec des titres plus récents, nous souhaiterions savoir s'il était délicat de trouver un équilibre entre les espoirs de vos fans historiques et les aspirations de joueurs plus récents et moins expérimentés ?

Mikael Andersson : Je pense que le fait de devoir à la fois satisfaire les vétérans de Victoria 2 et les nouveaux joueurs plus récents nous a poussé à proposer un meilleur jeu que ce que nous aurions fait si nous n'avions cherché à ne satisfaire que l'une de ces deux audiences. Pour les nouveaux joueurs, il est nécessaire de présenter les données du jeu dans une interface qui rend facile la compréhension et la prise de décision. C'est toutefois également utile pour les joueurs plus expérimentés. Nous savons que le fait d'augmenter la profondeur et la complexité de la franchise est quelque chose attendu par nos fans de la première heure, mais c'est également ce qui attirera les joueurs. Nous avons donc adopté une approche visant à satisfaire les attentes de ces deux publics différents, sans pour autant faire le moindre sacrifice quant à la qualité.


HG : Était-ce là un titre que vous vouliez développer depuis longtemps ?

MA : Oui ! L'arrivée d'un troisième opus pour Victoria est une promesse incroyable et très attendue. Nous avions besoin d'être certains que nous avions réellement tous les ingrédients nécessaires à sa confection en termes de design, de capacités techniques et de savoir faire en vue de délivrer le meilleur jeu possible. Ne pas faire Victoria 3 était décevant, mais faire un mauvais Victoria 3 eut été bien pire ! Cela a pris un temps certain…mais nous sommes dorénavant très excités de vous dévoiler le fruit de notre labeur !

Victoria 3

HG : Pensez-vous que l'époque victorienne, importante dans notre Histoire mais moins médiatisée et vendeuse que d'autres époques, saura attirer une grande quantité de nouveaux joueurs ?

MA : Je le pense vraiment. Même sans être un fana d'Histoire, l'ère victorienne est assez moderne pour être reconnaissable et vous pourrez aisément y trouver des parallèles avec nos sociétés actuelles. La période temporelle que nous avons choisi pour ce titre traite réellement des forces qui ont façonné le monde tel que nous le connaissons actuellement. Cela rend plus facile la connexion du joueur avec l'époque de Victoria 3, et pourra également provoquer plusieurs moments cocasses. Et comme pour la totalité de nos jeux historiques de grande stratégie, je suis persuadé que certains joueurs se découvriront une passion pour l'époque victorienne à travers leurs heures passées sur Victoria 3.


HG : Victoria 2 a un gameplay très détaillé et un nombre important de fonctionnalités. Il est souvent considéré comme le jeu le plus complexe que vous ayez jamais réalisé. Diriez vous qu'avec Victoria 3, vous avez tenté de rendre le gameplay plus accessible sans pour autant le simplifier à l'extrême ? Quels sont les principaux changements que vous avez choisi d'assumer entre les deux titres ?

MA : La quasi-totalité des mécaniques de jeu de Victoria 3 ont été repensées et reprises à zéro en comparaison à ses prédécesseurs. C'est en particulier le cas pour la gestion économique qui est souvent citée comme le cœur du gameplay de la série. Rendre les mécaniques de jeu relatives à l'économie plus compréhensives pour les nouveaux joueurs a totalement été un enjeu, mais il faut également conserver un système assez résilient afin d'y ajouter d'autres éléments de gameplay qui interagiront avec. Globalement, nous avons toujours suivi la démarche suivante : « tout d'abord, identifier ce dont le jeu a besoin. Ensuite, comment être certain que le joueur a assez d'indices et de facilités pour qu'il puisse utiliser correctement ces fonctionnalités ? »

Victoria 3

HG : Malgré l'important laps de temps écoulé entre la sortie de Victoria 2 et celle de Victoria 3, avez-vous pu être tout de même en mesure de réutiliser certaines mécaniques et fonctionnalités de Victoria 2 ?

MA : Toutes les fonctionnalités de Victoria 2 sont encore présentes d'une certaine façon…mais aucune d'elle n'a été reprise telle qu'elle dans Victoria 3. Par exemple, les populations dans Victoria 2 avaient un taux de militantisme qui dépendait de leur niveau d'alphabétisation et qui influençait leur orientation politique, ainsi que les biens qu'ils consommaient. Dans Victoria 3, le niveau d'alphabétisation influence directement la participation de vos populations à la vie politique du pays tandis que la richesse influence la quantité et le type de biens que votre population pourra consommer. La dynamique de jeu reste la même, mais nous avons mis en place une valeur intermédiaire pour réduire l'inertie du système et rendre les conséquences des décisions et des actions du joueur plus évidentes.


HG : Quel était l'aspect du jeu le plus délicat ou difficile à développer ?

MA : En termes de sensibilité, je dirais sans hésitation l'esclavage. Toutefois, ça n'a pas été très dur à traduire en mécanique de jeu. Personne dans l'équipe ne souhaitait faire un jeu traitant des relations internationales et des conflits de classes durant la Révolution Industrielle sans évoquer le rôle important que l'esclavage joua à cette époque. Une fois que nous avons admis qu'il nous était impossible de faire ce jeu sans évoquer l'esclavage, il devint évident que nous devions trouver, au sein de la mécanique de jeu relative à la gestion de la population, une façon spéciale de représenter la posture juridique d'un pays face l'esclavage, ainsi que la façon concrète dont ils restreignaient la mobilité de ces catégories de populations, ou bien leurs finances. Nous avons mis pas mal de temps à définir ces règles, mais ça n'était pas dû à des désaccords internes sur comment il fallait procéder.

Victoria 3

HG : Dans la continuité de la question précédente, nous voyons de nos jours que certains sujets peuvent être délicats à aborder et qu'ils donnent souvent lieu à des réactions émotives. C'est notamment le cas de la colonisation. Quels furent vos choix pour la représenter dans le jeu ?

MA : Nous pensons simplement que la meilleure façon de faire, c'est d'être honnête et de ne pas occulter ces faits. La colonisation, par exemple, a dans le même temps été extrêmement couteuse d'une certaine perspective, mais très lucrative et source de prestige d'une autre. On pourrait presque considérer que c'est un engagement dans lequel toute réelle puissance mondiale digne de ce nom ne pouvait se permettre d'ignorer. Heureusement, nous avons pu travailler sur ce problème à la fois en mobilisant une approche narrative et une approche mécanique. Le joueur, pour sa part, devra décider quelle voix suivre, mais surtout vivre avec les conséquences de ses choix.


HG : D'après vous, quelles sont les trois choses les plus marrantes, intéressantes ou amusantes à faire dans le jeu ?

MA: Victoria 3 dispose d'un gameplay colossal. Aussi, jouer un petit pays et tenter de dominer industriellement vos voisins afin de voir leurs réactions est toujours marrant. Les parties à thématique d'histoire alternative sont également intéressantes. Par exemple, unir le Canada en jouant la Hudson Bay Company ou faire sécession de la Couronne pour devenir une puissance autonome en jouant la East India Company est intéressant. Pour moi, qui suis un vrai « data nerd », juste mettre le jeu en pause et se plonger dans les statistiques démographiques des populations pour les étudier en détail est déjà fascinant… et me donne des idées de ce que je vais faire par la suite dans ma partie.

Victoria 3

HG : Avez-vous utilisé les enseignements et le retour d'expérience engrangée sur vos récents titres pour développer certains points forts du gameplay de Victoria 3, ou à l'inverse, avez-vous pu éviter grâce à cela certaines difficultés rencontrées par le passé ?

MA : En termes de dynamique de gameplay, je trouve que chacun de nos jeux ont leurs points forts particuliers et leurs défis. Bien évidemment, nous tentons d'apprendre de nos jeux passés, mais cela peut parfois être aussi compliqué que de tenter d'adapter les mécaniques de jeu d'un RPG à un « puzzle game ». C'est surtout dans l'interface utilisateur que nous pouvons réutiliser des morceaux de code d'anciens jeu. En effet, on a vraiment pour but de maintenir un haut niveau d'exigence au regard de l'interface utilisateur et on tend vraiment à la faire évoluer au mieux. Par exemple, nous avons appris énormément de Crusader Kings III concernant les infobulles et autres éléments permettant d'apporter des conseils et des explications au joueur.


HG : Du fait de l'important degré de liberté que Victoria 3 va laisser au joueur, durant une période cruciale de l'Histoire, pensez-vous offrir plusieurs points de départ au joueur ou bien vous contenterez vous d'une seule campagne sans scénario précis ?

MA : Le jeu offre tellement de possibilité dès son point de départ que ça ne serait pas forcément judicieux de multiplier les scénarios. A la place, nous avons fait le choix de proposer au joueur plusieurs objectifs optionnels qui pourront le guider dans différents types de progression. Par exemple, vous pourrez choisir de jouer avec des objectifs orientés vers la domination économique, vers l'hégémonie ou encore vers la constitution d'une société égalitaire… Selon la voix que vous choisirez, une partie avec la Perse pourra ainsi changer du tout au tout !

Victoria 3

HG : Quel type de sources historiques avez-vous mobilisé durant le développement du jeu ?

MA : Nous avons consulté une vaste quantité de sources tout au long du développement. La plupart étaient très spécifiques. Avoir de bonnes données de recensement est évidement une chance pour nous. De même pour les statistiques du taux d'emploi et de chômage…sans parler de données relatives à la spécialisation industrielle des différentes régions du monde. Nous avons également eu accès à des données géologiques modernes, des évaluations de la qualité des sols, des données issues de journaux scientifiques, des archives évoquant les anciennes routes commerciales et bien plus encore… Evidemment, la majeure partie de ces informations a dû être adaptée pour coller au gameplay, mais nous avons tenté d'introduire autant d'historicité que possible.


HG : D'après vous, les joueurs seront-ils plus curieux de jouer les puissances majeures ou les pays mineurs ?

MA : Je suppose que les grandes puissances seront plus communément utilisées lors des premières parties, principalement du fait qu'elles sont familières pour un grand nombre de joueur. Mais je pense surtout que c'est particulièrement gratifiant de commencer le jeu avec une puissance mineure car il est amusant de se surpasser pour grandir et progresser…tout en offrant des parties uniques et très différentes dans certaines régions du monde.


HG : Victoria 3 recevra-t-il des DLC ? Avez-vous déjà des idées pour certaines fonctionnalités que vous aimeriez développer à l'avenir mais qui ne figureront pas dans le jeu lors de son lancement, le 25 octobre prochain ?

MA : Victoria 3 a clairement un énorme potentiel pour recevoir des extensions ! Il y a certaines choses que j'aimerais voir dans le jeu à l'avenir : par exemple, le fait de pouvoir jouer des nations décentralisées, ou l'apparition d'une mécanique propre aux organisations internationales… Mais avant d'en arriver à là, nous voulons jauger la réaction initiale de la communauté face à la sortie du jeu, afin d'être réactifs à ses retours et d'ajouter des fonctionnalités complémentaires à l'expérience de jeu de nos joueurs. Nous sommes persuadés que Victoria 3 dispose déjà, en l'état, d'assez de contenu et de profondeur pour captiver nos joueurs pendant des années, et nous préférons nourrir et améliorer cette profondeur déjà existante plutôt que de nous éparpiller trop rapidement.

HistoriaGames remercie chaleureusement Mikael Andersson et Paradox Interactive pour avoir pris le temps de répondre à ces questions !