Époque moderneGuerre de Trente Ans
Bataille de Rocroi
1643, Les rivalités franco-espagnoles atteignent leur apogée. Mais revenons quelques temps auparavant... En 1553, l'Espagne avait envahi l'Artois en échange du renoncement de marcher sur Paris. En 1618, la Guerre de Trente-Ans éclate. Le cardinal-infant Don Fernando attaque Corbie (en Picardie) à la tête de ses troupes, en juin 1636, ce qui provoque la panique dans la capitale française ; mais l'avancée s'arrête là grâce à la contre-attaque française. Et chaque année, les Espagnols lancent des offensives au Nord et au Sud.
Comme dans les années précédentes, l'armée espagnole s'enfonce en Artois et en Champagne. L'objectif est d'empêcher que l'armée française menée par Louis de Bourbon, duc d'Enghien (surnommé plus tard « Le Grand Condé »), envahisse la Franche-Comté espagnole. Don Francisco de Melo, gouverneur des Pays-Bas espagnols et commandant en chef de l'Armée des Flandres, planifie un plan d'attaque. Cette fois l'objectif est double : d'abord aider l'Armée de Catalogne à percer sans difficulté, et puis surtout marcher sur Paris pour ne plus se contenter du Nord de la France.
Forces en présence
- France : 15 000 hommes d'infanterie (12 régiments français, 1 régiment suisse et 1 régiment écossais) et 6 000 à 8 000 cavaliers.
- Espagne : 18 000 hommes d'infanterie (5 tercios espagnols, 3 tercios italiens, 5 régiments wallons, 5 régiments allemands, 2 régiments bourguignons) et 7 000 à 9 000 cavaliers.
Plan de la bataille de Rocroi par Department of History, United States Military Academy, West Point. (English Wikipedia) [Public domain], via Wikimedia Commons
La bataille
Le dernier verrou français protégeant Paris, la dernière épine dans le pied des Espagnols, se dresse dans les Ardennes : le fort de Rocroi. Cette infrastructure construite en 1552 sur ordre du roi Henri II de France et améliorée au fil du temps, notamment par Sébastien le Preste de Vauban, compte une faible garnison de 400 à 500 hommes. Le Duc d'Enghien apprend la nouvelle et fait marcher ses 25 000 hommes vers Rocroi pour sauver le fort et Paris par la même occasion. Mais son armée est trop faible numériquement et qualitativement par rapport à celle de Don Francisco de Melo qui aligne 27 000 hommes, et le Duc d'Enghien doit recevoir des renforts. En attendant, il se positionne au sud-ouest du fort de Rocroi et fait des escarmouches. L'Armée des Flandres réagit en formant les tercios (unité administrative et tactique de l'infanterie espagnole regroupant près de 3000 hommes) en carrés et en resserrant l'étau autour de la forteresse : le Grand Condé est contraint de livrer bataille.
Lorsque l'armée espagnole attaque, le Duc d'Enghien, du haut de ses vingt-deux ans, lance son officier Gassion avec ses chevau-légers ; l'objectif est de réaliser des actions intenses et rapides, fussent-elles courtes, pour réagir sur tous les fronts et de manière imprévue par l'ennemi grâce à la cavalerie légère, comme l'a théorisé le roi Gustave II Adolphe de Suède.
Don Francisco de Melo fait une erreur dès le départ. Plutôt que de rester en position dans la vaste clairière aisée à défendre, il replie ses troupes et les concentre pour attendre le choc français. Par pure envie de livrer bataille, il abandonne des positions avantageuses qui lui auraient donné un avantage dans le siège. Les Français du Duc d'Enghien peuvent donc aisément déboucher dans la plaine et les assiégés de Rocroi sont débarrassés de la pression espagnole. Pour autant, lorsque l'artillerie espagnole pilonne les positions françaises, le Duc d'Enghien ne peut riposter à cause du « faux » mouvement de son aile gauche qui se détache de l'armée sur ordre de Henri de La Ferté-Senneterre.
En plus de cette incapacité à riposter, un renseignement important parvient au Duc d'Enghien : les Espagnols attendent un renfort de quatre mille hommes menés par le général Jean de Beck pour s'assurer de la victoire totale. A l'aube, les Français s'alignent pour tenter de finir la bataille avant l'arrivée des renforts espagnols.
Lorsque la bataille de Rocroi se déclenche, la situation est ambiguë. L'aile gauche espagnole, commandée par le duc d'Albuquerque, est contrainte à la retraite à cause des offensives simultanées du Duc d'Enghien de front et de l'officier Gassion de flanc. Mais en revanche, l'aile gauche française elle, est tout aussi enfoncée à cause de Don Francisco de Melo qui a attaqué sans relâche le maréchal François de l'Hospital. La cavalerie française charge exceptionnellement au galop (chose impensable à l'époque) mais se lance trop loin ; les chevaux sont épuisés, et les expérimentés Alsaciens de l'Armée des Flandres tirent à bout portant sur les cavaliers français. Les canons français de l'aile gauche sont emportés, l'infanterie du Lieutenant général Roger de Bossost, seigneur d'Espenan, est contrainte à battre en retraite. Seule la réserve commandée par Sirot arrête les Espagnols.
A cet instant, les chances sont égales des deux côtés. Dans chaque camp, une fraction d'armée s'est effondrée. Le Duc d'Enghien se bat sur la ligne centrale espagnole. De là, il peut embrasser tout le champ de bataille ; c'est là qu'il se rend compte que sa gauche a lâchée. Il ordonne à Gassion de poursuivre le duc d'Albuquerque avec l'infanterie. Quant à lui, il charge sur les arrières espagnols et emporte sa cavalerie sur l'aile droite espagnole qui massacre les troupes du maréchal de l'Hospital.
La victoire penche en faveur des Français, mais n'est pas totale. Don Francisco de Melo a perdu ses deux ailes, mais possède encore son élite au centre : cinq tercios viejos, les vétérans des tercios. Cette formation militaire d'infanterie lourde est composée d'arquebusiers et de piquiers ; elle est considérée comme la meilleure unité d'infanterie d'Europe à cette époque, malgré sa lenteur inouïe due à ses effectifs lourdement équipés.
Les cinq tercios viejos ont beau être l'élite, ils sont à l'image de leur chef : le comte de Fuentes, 83 ans, malade à un tel point qu'il dirige ses hommes depuis une litière. Le Duc d'Enghien lance par trois fois sa cavalerie sur les tercios viejos formés en carrés, et par trois fois les Français s'empalent sur les piques espagnoles. Dix-huit canons espagnols continuent à tirer en parallèle.
Face à la détermination espagnole, le Duc d'Enghien fait encercler les cinq régiments d'élite espagnols par l'infanterie, l'artillerie et la cavalerie française qui se déchaînent. Dans ce chaos, le comte de Fuentes meurt dans sa civière. Les officiers espagnols demandent la paix. Mais les soldats espagnols tirent sur les Français, croyant à une nouvelle charge lorsque le Duc d'Enghien se présente l'épée à la main, le bras levé. L'armée française rouvre le feu, et les cinq viejos tercios sont finalement culbutés. L'Armée des Flandres ne parvient pas à se reformer pour la retraite : en effet, si le Duc d'Enghien ne les poursuit pas, la population locale quant à elle, sème la mort. Deux mille paysans ardennais sur les hauteurs massacrent l'arrière-garde espagnole en lambeaux.
Pertes
- France : 4000 hommes et blessés
- Espagne : 7000 hommes et blessés et 8000 prisonniers
Conséquence de la bataille
L'Espagne ne se remettra jamais de ce coup dur, puisque la bataille de Rocroi aura un retentissement moral plus que matériel. La réputation de supériorité militaire passa de l'Espagne à la France, et le jeune Duc d'Enghien devint le plus jeune et le plus talentueux des commandants français.
- Kreuzberg Ancien membre d'HistoriaGames