Interview avec Wolferos, studio développeur de Fields of History : The Great War

Roi de Dreamland
26 novembre
2018

Vous vous souvenez probablement de Wolferos pour son mod « The Great War » sur Hearts of Iron IV qui vous permettait de jouer à l’époque du premier conflit mondial.

Il y a quelques jours, nous vous annoncions qu’ils travaillaient désormais au développement de leur propre titre. Nous avons donc voulu en savoir plus au sujet de « Fields of History : The Great War » et avons posé quelques questions à son équipe de développement.

HistoriaGames : Bonjour et merci de nous accorder cette interview. Première question : combien êtes-vous à travailler sur ce projet et depuis quand l’avez-vous lancé ?

Wolferos : Nous ne sommes que 2 à travailler sur Fields of History pour le moment. Nous concevons tout ce qui est nécessaire pour le développement du jeu et endossons plusieurs métiers à la fois mais nous n’excluons pas l’idée de faire appel à des renforts un jour si nos finances nous le permettent. Le développement à proprement parler a commencé à la fin du mois de Janvier 2017 après avoir réalisé l'enthousiasme suscité par notre mod pour Hearts of Iron IV.


Était-ce quelque chose d’initialement prévu et de planifié que de développer le mod sur HOI IV comme une sorte « d’entrainement » afin d’acquérir de l’expérience avant de vous lancer sur le développement de votre propre titre ?

Nous avons toujours voulu créer un jeu de stratégie sur la Première Guerre mondiale. Peu avant la sortie d’Hearts of Iron IV en 2016, on s’était demandé si une équipe de moddeurs n’était pas déjà en train de travailler sur un projet similaire. On avait tous les deux grandement apprécié le mod WW1 pour Hearts of Iron III et en allant sur Mod DB, on découvrait alors qu’un projet de mod WW1 existait mais qu’il était malheureusement à l’abandon. C’est suite à cela qu’on s’est lancé dans la conception et le développement de notre propre mod. Ça s’est fait naturellement et par étapes ; d’un simple hobby sur notre temps libre en dehors des heures de travail, c’est devenu un projet que nous avons développé avec sérieux. C’est sûr que maintenant avec le recul, on peut dire que ce fut un véritable entraînement et que c’est ça qui nous a donné le courage de nous lancer dans le développement de notre propre jeu de Grande Stratégie.


Qu’est-ce qui vous a poussé à franchir le pas et à développer votre propre titre ? Vous sentiez-vous trop limité par des contraintes dans le cadre du mod sur HOI IV ?

Le Modding permet de réaliser de nombreuses choses. Nous avons toujours essayé de développer et d’intégrer du mieux qu’on le pouvait nos idées ainsi que les suggestions des joueurs dans le Mod mais nous avons très vite été contraint par les limitations techniques et les outils offert par Hearts of Iron IV. C’est déjà assez frustrant mais nous avons dû en plus prendre en compte d’autres contraintes comme celle de s’adapter aux nombreux DLC qui limitent certaines fonctionnalités intéressantes du jeu aux joueurs les ayant achetés. Comme on ne voulait pas scinder la communauté du Mod entre ceux qui avaient les moyens de se payer les DLC, les plus modestes ou même ceux qui refusaient de les acheter ; on s’est toujours promis de faire en sorte que les joueurs de la première heure ne se retrouvent pas lésés avec un mod qui ne marcherait plus avec le jeu de base.

De plus la gestion de l’économie et l’absence d’espionnage nous ont toujours frustrés dans Hearts of Iron IV. Avec Fields of History nous faisons le jeu comme nous le voulons, sans se plier à des choix de gameplay qui ne nous plaisent pas forcément.


Avez-vous expérimenté certaines mécaniques de jeu ou données dans le mod The Great War pour les reprendre « à votre sauce » et les utiliser dans Fields of History ?

Nous avons intégré les « tranchées » dans le Mod mais leur fonctionnement ne nous a jamais convenu car elles étaient gérées comme des bâtiments et ne pouvaient pas subir de dégradations liées aux conditions météorologiques et ne pouvaient même pas être entretenues pas vos soldats. Dans Fields of History, nous avons fait le choix de les gérer totalement différemment. Elles se dégradent en fonction de la météo mais aussi avec le temps. Une tranchée inoccupée depuis un certain temps perdra peu à peu de son efficacité. Ça sera à vos hommes de les construire et de les réparer. C’est une mécanique de jeu qui est bien plus réaliste et qui peut avoir un impact décisif lors d’un combat.

Fields of History : The Great War

Prévoyez-vous de proposer plusieurs scénarios ou créneaux historiques dans votre jeu, ou allez-vous vous restreindre à la période entre 1914 et 1918 ? Ne pouvons-nous pas imaginer un scénario prenant part juste après la guerre de 1870 ou en 1905 par exemple, avec la gestion des « crises » du début du XXème siècle ? Par ailleurs, jusqu’à quelle année le jeu pourra t’il se dérouler ?

Le jeu est conçu pour gérer facilement plusieurs scénarios. Pour le moment, nous nous focalisons sur la période 1914-1918, de manière à ne pas trop retarder les premières versions du jeu mais nous n’excluons pas d’étendre la timeline. Des scénarios situés en 1917 au début de la révolution bolchévique et un peu avant la seconde bataille de Verdun ou bien même que qu’ils soient avant ou après la guerre, toutes ces possibilités nous enchantent au plus haut point.


Quel a été le plus gros défi à relever jusqu’ici dans le cadre du développement ? Faites-vous face à des difficultés redondantes ?

Développer un jeu de cette taille demande une bonne organisation et apporte également son lot de problèmes. Ce n’est pas toujours une chose facile. Il y a des hauts et des bas, des périodes de joies et de doutes mais on a toujours tenu le cap. Fort heureusement, tous les problèmes techniques qu’on a pu rencontrer jusqu’à maintenant sont aujourd’hui derrière nous.

Il y a également un aspect qu’on néglige souvent ou auquel on ne pense pas quand on se lance dans une entreprise comme celle-là, c’est l’impact sur nos proches. Ce fut très difficile à gérer ces derniers temps. L’absence de revenus stables, la durée de développement qui n’est parfois pas toujours bien comprise et les nombreux sacrifices que l’ont fait. Il faut sans cesse expliquer et justifier les raisons qui nous poussent à travailler comme des bêtes de sommes en rognant sur notre temps libre et sans s’offrir de vacances. Au final nous sommes toujours là, motivés plus que jamais, à faire ce qu’on l’aime et c’est ce qui est le plus important pour nous.


Quels sont les objectifs de court, moyen et long terme relatifs au développement à l’heure actuelle ? Une idée de la période à laquelle le jeu sortira en bêta ? Et en version finale?

Notre objectif actuel est de rendre le jeu totalement jouable avec la France et l’Empire Allemand, de manière à pouvoir faire tester le jeu à un public restreint au travers de plusieurs Test Builds. Cela permet d’apporter des corrections rapidement grâce aux retours des personnes habituées à ce genre de jeu. C’est une méthode qui a fait ses preuves par le passé ; on avait opéré de la même manière avec le Mod en commençant avec une beta fermée avant de le rendre accessible à tous au travers de la première Open Beta.

Au sujet de la période à laquelle sortira le jeu, on aimerait bien pouvoir vous donner une date mais c’est encore trop tôt pour le dire et nous ne voulons pas créer de faux espoirs. Ce que nous pouvons vous dire c’est que vous pourrez y jouer en 2019.


Fields of History sera-t-il lui-même ouvert aux mods ?

Ce serait une bonne chose mais on sait d’expérience que le Modding nécessite d’offrir des outils complets et adéquats aux personnes intéressées. Développer toute cette gamme d’outils peut prendre pas mal de temps, c’est un luxe que nous ne pouvons pas nous offrir pour le moment. Encore une fois, c’est plus une histoire de moyen que d’envie, dans l’idéal on serait ravi de voir notre jeu servir de base pour des mods.


Sur quels aspects marquants Fields of History se démarquera-t-il vraiment des autres titres du domaine qui peuvent exister à ce jour ? Dans l’idéal, quelle est votre ambition avec ce jeu ? Que voulez-vous parvenir à accomplir ?

Ce que nous voulons c’est d’aller au-delà du WarGame. Pour nous un jeu de Grande Stratégie doit permettre de prendre en compte de nombreux aspects. L’aspect militaire évidement mais pas seulement. Avec Fields of History nous avons pu prendre un compte un aspect assez peu représenté dans les jeux de stratégie, la gestion des prisonniers de guerre et l’impact que peuvent avoir ceux-ci sur les relations entre les pays (il est plus facile d’amener un ennemi à la table des négociations lorsqu’on a des prisonniers) et l’aspect économique (les prisonniers de guerre peuvent être utilisés comme main d’œuvre dans les usines) mais surtout, une guerre ne se fait pas qu’avec des armes, l’économie, la diplomatie et l’espionnage jouent chacun un rôle important et doivent tous être pris en compte. Nous voulons retranscrire au mieux tous ces aspects en alliant réalisme, authenticité et jouabilité.

C’est cela notre ambition.


L’Intelligence Artificielle et ses décisions pour le moins… aléatoires, pour ne pas dire parfois totalement surprenantes, constituent souvent l’écueil principal des jeux de stratégie et peuvent ruiner des parties prometteuses en un rien de temps. Comptez-vous faire quelque chose de particulier à ce sujet ? Comment pouvez-vous orienter son comportement afin d’éviter trop de script ou des décisions aberrantes ?

Développer une Intelligence Artificielle de Grande Stratégie est quelque chose de complexe et qui est surtout en constante évolution. C’est un suivi et un travail de tous les jours. L’IA d’un pays doit sans cesse évaluer de nombreuses situations et s’adapter en fonction des décisions prises par les autres pays mais aussi en fonction de nombreuses autres variables. Ces vérifications demandent énormément de puissance de calcul et on peut très vite être tenté de limiter le nombre de cycles de calculs pour qu’une IA ne fasse ses évaluations que toutes les X minutes au lieu de les faire constamment. Cela peut engendrer de gros retards entre les prises de décisions et amener à des situations absurdes.

C’est pour éviter cela que nous avons développé notre IA en profitant de la puissance de calcul offerte par le multithreading et les nombreux cœurs des nouvelles générations de processeurs. Nous avons aussi séparé les décisions par types et catégories car elles ne sont pas toutes du même ordre et de la même importance. Par exemple, en séparant les prises de décisions entre celles qui relèvent de l’évaluation de terrain (déplacement de troupes, retraits stratégiques, encerclements, fortifications, attaques, bombardements, etc.) et celles qui sont liées à la politique interne (lois, production, commerce, recherches technologiques, etc.), on peut équilibrer la puissance de calcul à notre guise et rendre l’IA plus réactive. Après nous faisons toujours appel à plusieurs scripts de manière à garder une certaine cohérence historique mais nous tentons d’éviter de rendre ces derniers trop nombreux et trop rigides. Nous voulons que notre IA ait aussi sa part de réflexion en fonction des situations pour qu’elle ne fasse pas toujours la même chose.


Quel sera le degré de « bac à sable » et de liberté octroyé au joueur vis-à-vis de la possibilité de réécrire l’Histoire ? Sera-t-il par exemple facile de renverser le jeu des alliances et de sortir du court de l’Histoire et du script de certaines décisions et autres événements prévus et planifiés ?

La possibilité de réécrire l’Histoire a toujours été une demande récurrente des joueurs du Mod. On sait à quel point il est difficile de prévoir les multiples retentissements que peuvent engendrer la réécriture d’un évènement (le fameux Effet Papillon), mais il est clair que cela donne une autre saveur et que cela augmente grandement la durée de vie d’un jeu de Grande Stratégie. Nous proposerons donc la possibilité de mettre le jeu en mode « historique » pour refaire l’Histoire en suivant les grandes lignes directrices de cette période et un mode « ahistorique » offrant de nombreuses surprises. Comme par exemple, la possibilité d’évacuer les Romanov avant l’arrivée au pouvoir des Bolcheviques, celle d’imaginer l’Italie contrainte de rester l’alliée des Allemands, une Allemagne ne violant pas la neutralité belge ce qui aurait pour effet de retarder l’entrée en guerre des Britanniques, la non-interception du télégramme Zimmermann, le développement plus rapide des chars ou leur absence, une Roumanie alliée des puissances centrales ; mais bon, on ne va pas tout dévoiler maintenant, ce sera aux joueurs de les découvrir.


Certaines fonctionnalités politiques, ainsi que l’espionnage, sont absentes de HOI IV et étaient présentes dans HOI III. Retrouverons-nous ce genre d’aspects de gestion dans Fields of History ?

Oui, l’espionnage a une place importante dans Fields of History. Il permet de lancer des missions de sabotages, de voler des plans et des technologies et également de semer la discorde dans les contrées les plus reculées. Vous pourrez remplacer vos bons vieux Lebel par des Mauser volés aux Allemands ou bien produire des tanks Mark avec les Allemands afin de remplacer vos A7V. En ce qui concerne les révoltes, vous pourrez par exemple, avec l’Empire Ottoman, soutenir les populations des pays arabes à se soulever contre leurs dirigeants. Si ces derniers ne réagissent pas en votant de nouvelles lois ou n’envoyant pas l’armée pour rétablir l’ordre, ils pourraient très vite être amenés à faire face à des soulèvements, voir même à des déclarations d’indépendances.


Tous les pays du monde de l’époque seront-ils jouables avec une expérience de jeu un minimum personnalisée ?

Nous allons procéder par étapes au fur et à mesure des mises à jour de l’Early Access. Les grande puissances tout d’abord (à savoir, France, Empire Allemand, Empire Britannique, Autriche-Hongrie, Italie, Empire Ottoman, Empire Russe, États-Unis) puis après ce sera au tour des pays ayant eu un rôle important durant la guerre (Serbie, Bulgarie, Roumanie, Grèce, Belgique, Japon), ensuite à tous les pays souverains et enfin nous permettrons de jouer les pays aux pouvoirs limités (Canada, Australie, Tunisie, Maroc, Afrique du Sud, etc.).

Nous pensons que lorsque le jeu sera suffisamment développé il sera sans doute possible de jouer tous les pays de l’époque.


Le jeu met-il davantage la focale sur une gestion détaillée du volet militaire que n’a pu le faire HOI IV par rapport à son prédécesseur par exemple ? Entre profondeur/détail des mécaniques de gameplay et accessibilité/arcade, où placez-vous votre curseur ?

La gestion de la partie militaire a été un long casse-tête mais nous pensons être parvenu à trouver un juste milieu entre gameplay, complexité et rigueur historique. Pour cela nous avons par exemple mis en place plusieurs échelons de commandement, sans que le tout devienne illisible sur la carte. Il y a tout d’abord le Quartier Général qui supervise les Armées, ces dernières sont composées de plusieurs Corps et c’est dans les Corps que nous avons rassemblé les Divisions, les Brigades et les Compagnies. Bien entendu cela ne respecte pas exactement la manière dont était composées les Armées de l’époque mais on a préféré cela afin de conserver un gameplay complexe sans le rendre pour autant impossible à prendre en main. Nous sommes également satisfaits de pouvoir correctement représenter dans notre jeu les soldats des empires dans leur globalité (Légion étrangère, Tirailleurs, Askaris, soldats des Indes britanniques, etc.).


Quels types de sources historiques utilisez-vous pour vous appuyer dans le développement ?

Les sites 1914-1918 Online (http://www.1914-1918-online.net/) et Mission Centenaire 14-18 (http://centenaire.org) sont pour nous de véritables mines d’or, il sont tous les 2 très bien conçus et nous les recommandons à tous les passionnés d’Histoire sans la moindre hésitation. Nous avons également pu compter sur les données récoltées par la FRED de Saint-Louis (https://fred.stlouisfed.org/) afin de refléter l’économie et les cours historiques des matières premières au début du 20ème siècle. Par exemple pour fixer le prix du charbon, nous avons croisé des statistiques du NBER (National Bureau of Economic Research) concernant le prix moyen de vente du charbon à Essen en Allemagne durant les années 1910 avec le prix moyen du charbon anthracite à New York sur la même période. Pour que cela ait un sens nous avons pris en compte les cours de l’époque du dollar américain et du mark allemand. Nous avons également utilisé Wikipédia ainsi que plusieurs livres, reportages et documentaires afin de multiplier nos sources ce qui nous permet de les recouper pour être sûr d’avoir l’information la plus juste.

Fields of History : The Great War

Un mode multijoueur est-il prévu ? Si oui, jusqu’à combien de joueurs pourrait-il rassembler ?

Développer des fonctions multijoueurs n’est pas encore à l’ordre du jour pour Fields of History mais nous avons cela dans le coin de la tête. Le problème majeur pour nous étant le temps de développement du Netcode et le coût que représente une bonne infrastructure multijoueurs (coût des serveurs, système anti-triche, etc.), mais encore une fois si les ventes de Fields of History nous le permettent, nous le mettrions en place avec joie.


Question bonus pour la route : Plutôt Spad ou Blériot ?

Blériot ! N’oublions jamais que Louis Blériot a tout sacrifié pour mettre au point son merveilleux Blériot XI ! Pour finir nous souhaitons dire un grand merci à HistoriaGames de parler de nos projets depuis près de 2 ans et aussi pour cette interview !


Si cette interview vous a donné envie et que vous avez hâte de jouer à Fields of History : The Great War, sachez que vous pouvez contribuer au projet via ce Patreon : www.patreon.com/FieldsofHistory.