Rendre l'Histoire attractive et interactive : Entretien avec Benjamin Brillaud (Nota Bene)

Roi de Dreamland
Thématique
Nota Bene
23 février
2018
Rendre l'Histoire attractive et interactive : Entretien avec Benjamin Brillaud (Nota Bene)

Également présent au Festival Historia s’étant tenu à Strasbourg entre le 16 et le 18 février 2018 pour la réédition de son livre « Les pires batailles de l’Histoire », ainsi que pour participer à diverses tables rondes concernant les nouveaux explorateurs de l’Histoire et les youtubeurs, Benjamin Brillaud, plus connu sous le nom de Nota Bene, nous a accordé un entretien.

Au centre de la démarche de celui qui compte quelques 600 000 abonnés sur YouTube, et qui vient de réaliser une série de mini-documentaires diffusés par Arte Creative, il y a des objectifs communs à ceux qui sont prônés par HistoriaGames, à savoir vulgariser l’Histoire sans pour autant la simplifier, tout en la rendant plus attractive, plus accessible, et plus interactive. Le tout en maintenant un lien prégnant avec le jeu vidéo. Entretien sans concessions et sans langue de bois avec l’un de ceux qui ont contribué à l’essor des chaînes YouTube traitant d’Histoire en France.

Pour les quelques personnes qui ne te connaitraient pas déjà, pourrais-tu te présenter et revenir sur ton parcours ?

Oui, alors je m’appelle Benjamin Brillaud, alias Nota Bene, ça fait trois ans et demi, bientôt quatre ans que j’ai lancé la chaîne Nota Bene sur YouTube, qui était au départ une chaîne qui avait pour but de divertir autour du thème de l’Histoire. C’est vraiment comme cela que je l’avais conçue. Au fur et à mesure c’est devenu une vraie émission d’Histoire, un peu divertissante. La bascule s’est opérée durant ces quatre ans. Je fais de l’Histoire générale.

Ça va de l’Antiquité à nos jours et je traite de tous les territoires, même si je traite principalement de l’Europe. Je le fais selon différent formats. Il y en a des un petit peu plus rigolos, comme par exemple celui sur les sports extrêmes dans l’Histoire, sur les loisirs riches VS pauvres au Moyen-Age, il y a aussi des trucs un peu plus sérieux, des reportages sur le terrain, des formats où je fais des analogies entre la fiction et la réalité historique, de la mythologie... il y a aussi des épisodes plus faits pour les enfants. En bref, le but c’est vraiment de rendre l’Histoire plus accessible tout en parlant à un public qui, potentiellement ne s’intéresse pas à l’Histoire au départ.


Quelle est ta formation académique ?

Alors moi j’ai fait un bac électronique. Puis je suis allé en fac d’Histoire. Je suis resté six mois là-bas et je suis parti, pas parce que je n’aimais pas ça, mais parce que depuis tout petit, ma passion c’était vraiment l’audiovisuel. Et j’ai eu la chance de rencontrer un réalisateur qui m’a fait rentrer dans le milieu. Il m’a embringué là-dedans, j’ai fait un BTS audiovisuel, sept ans de boîte de production, et en 2014, je venais de découvrir les programmes culturels sur Youtube, et je me suis dit que ce serait l’occasion de créer ma propre émission et de commencer l’écriture et la présentation, que je ne faisais pas à cette époque. J’ai pu comme ça me reconnecter avec cette Histoire qui m’avait bien passionnée à la fin de mes années lycée et que j’avais un peu abandonnée. C’est comme ça que j’ai replongé dedans.


Tu places la vulgarisation de l’Histoire au centre de ta démarche et du projet de ta chaîne, est-ce-que l’enjeu c’est vraiment de rendre l’Histoire plus simple, sans la rendre simpliste ?

Ah bah oui, tout à fait. C’est-à-dire que le but de mon côté, c’est que ce soit accessible. Moi, au départ, quand j’ai commencé à lire certains bouquins, je suis tombé sur des trucs, je me disais : « merde c’est moi qui suis con ou alors je comprends rien ? » Et je me disais aussi que si moi, qui m’intéresse à ces sujets-là, j’ai l’impression de ne pas les comprendre en les lisant... imagine quelqu’un qui ne s’y intéresse pas... ça peut faire peur.

L’Histoire peut faire peur à des gens qui potentiellement pourraient s’y intéresser mais se diraient que du coup ce n’est pas pour eux. J’ai donc la volonté de faire de l’Histoire la plus sérieuse possible, mais de manière divertissante. Cela veut dire bosser avec des historiens et des universitaires dès que je le peux, à faire relire mes scripts pour éviter la propagation de conneries. Ça n’empêche pas que parfois il puisse y avoir une petite coquille à droite à gauche, mais c’est humain. Surtout avec la cadence de production qu’on a, mais je fais vraiment au mieux pour que mes épisodes soient cleans sur le fond, car c’est important.


Arte Creative vient de publier une série de dix documentaires que tu as fait sur l’Histoire et sur le jeu vidéo. Peux-tu me raconter comment ça s’est passé cette aventure ? Comment tu as vécu la chose et ce que tu en as retenu personnellement ?

En gros, le projet a commencé il y a à peu près deux ans. Arte Creative est venu me chercher en me disant qu’ils aimaient bien ce que je faisais et qu’ils pensaient qu’il y avait un truc bien à faire. Ils m’ont donné carte blanche et m’ont demandé ce que je voulais faire. Donc moi, vu que je suis depuis toujours un gros gamer, je me suis dit logiquement « bah jeux vidéo quoi ! » Jeux vidéo et Histoire, ça coule de source. Ils m’ont donné immédiatement leur accord et m’ont mis en contact avec une boîte de production avec laquelle j’avais déjà plus ou moins bossé, et qui est TSVP. C’est une boîte de production spécialisée dans le documentaire historique. Et on a commencé à bosser.

Au début, je devais être à la réalisation et à l’écriture, mais je me suis dit que je n’aurais peut-être pas le temps de tout concilier avec ma chaîne, donc j’ai collaboré avec un réalisateur, Régis Brochier, qui a notamment réalisé « Escale à Nanarland ». On a travaillé tous les deux, avec un rédacteur en chef de TSVP sur cette série-là. Il a donc fallu que je commence par définir les thématiques des dix épisodes, ce que j’avais envie de dire et d’aborder. Alors pour ça, j’avais d’une part mes intérêts personnels, et d’autre part quelques contacts spécialisés dans le domaine de l’Histoire et des jeux vidéo, comme Romain Vincent.

Ensuite, j’ai commencé à aller à la pêche aux informations. J’ai sélectionné les intervenants, j’ai appelé certains copains historiens pour discuter avec eux. Ce qui était important, c’est d’avoir dans ce documentaire une vision avec des historiens, des gens qui font les jeux vidéo, les développeurs, avec des joueurs aussi et des gens qui ont le cul entre deux chaises, c’est-à-dire les historiens qui bossent en lien avec le domaine du jeu vidéo.

Tu avais donc l’envie de présenter une vision d’ensemble englobant à la fois le joueur, le producteur, l’expert...

...Oui ! C’est tout à fait ça. J’ai fait des pré-entretiens d’abord, souvent par Skype. Puis on a commencé à travailler sur l’écriture. Là, il y a eu énormément de choses et au final, 80% des recherches que j’ai pu faire ne se retrouvent pas dans les épisodes parce qu’on a des contraintes de format liées à Arte qui faisaient que l’on ne pouvait pas dépasser les sept, huit minutes.

C’est frustrant parce que moi j’avais vraiment de quoi faire un 52 minutes sur chaque épisode. On a quand même pu se déplacer, à Prague pour rencontrer les équipes de Kingdom Come, à Montréal pour aller voir les équipes d’Assassin's Creed, ce qui était vraiment super chouette. On a essayé d’organiser tout ça pour faire des jolis épisodes. Pour le coup, ça donne dix épisodes. Un premier, introductif, puis neuf vraiment thématiques. Ça va du cliché historique axé sur la religion à un épisode qui se pose la question de savoir si c’est grave qu’un jeu prenne beaucoup de libertés comme un Assassin's Creed. Est-ce qu’il y a des jeux qui sont très fidèles à l’Histoire ? Oui, il y a Kingdom Come, bien sûr, mais avant il y en a eu d’autres. Mount and Blade par exemple.

On parle aussi du rôle de l’historien dans la production des jeux vidéo, de la propagande, de l’uchronie, du traumatisme historique et du rôle pédagogique des jeux... On a développé ces épisodes-là et mon objectif, partagé par Arte et TSVP, c’était que ça puisse s’adresser à un public le plus large possible. Donc d’entrée, on s’est dit qu’il fallait que ça parle aussi à des gens qui ne consomment pas de jeu vidéo, voire qui peuvent être hostiles au jeu vidéo. Parce qu’il y a un certain nombre de discours à déconstruire et d’informations à aller chercher. Et puis ensuite, il a fallu passer au montage, un peu comme un puzzle, avec des trucs sur lesquels on a davantage insisté, via un angle totalement assumé éditorialement. Et puis d’autres trucs à l’inverse, on a dû les mettre de côté, ce qui fait que dans certaines rubriques comme par exemple celle sur le traumatisme historique, il y a beaucoup de choses qui ont sauté. J’avais prévu tout un ensemble de choses sur les pays de l’Est et sur la production de jeux vidéo après la catastrophe de Tchernobyl. Bon, ça malheureusement on n’a pas pu le faire. J’avais également prévu tout un pan du documentaire sur la torture dans le jeu vidéo. Je n’ai pas pu le faire non plus.

Il y a eu pas mal de frustration et c’était compliqué pour moi. Il y a eu quelques batailles en interne où je disais : « hé les mecs on peut pas simplifier à ce point », et où on me répondait « oui mais les contraintes de temps... ». Donc l’exercice était frustrant, mais quand même hyper intéressant, et au final je suis quand même super fier de cette série. Puisque je trouve qu’on a quand même réussi à aborder énormément de questions de fond sur des formats relativement courts.


Histoire et jeux vidéo, c’est un couple qui va de soi. L’Histoire est l’un des seuls topics traités dans tous les types différents de jeux vidéo. N’y a-t-il pas un risque de dérive lié à des considérations idéologiques ou politiques ? As-tu voulu conserver une posture objective dans cette émission ?

Alors oui et non. J’avais une ligne éditoriale assumée quand même. C’est-à-dire que sur l’épisode relatif à la propagande, il est évident que je vais beaucoup m’en « prendre » aux studios américains qui usent et abusent de la propagande guerrière autour de la Seconde Guerre mondiale. Dans des entretiens que j’ai eus avec William Blanc, on voyait bien aussi en plus de la propagande qu’il y avait une fonction mémorielle d’entretien de la mémoire des soldats de cette époque qui sont en train de disparaître avec l’âge. Donc ce n’était pas totalement tranché non plus, mais il y avait pour moi un prisme qui fait que j’avais envie de montrer que oui, ça peut être de la propagande assumée, mais aussi inconsciente. Ce qu’on appelle le soft power. C’est important aussi, car beaucoup de jeux sont orientés, pas volontairement, mais par l’éducation que les créateurs du jeu ont eux-mêmes reçue finalement. Et c’est vraiment intéressant à analyser.

Dans cet épisode sur la propagande, il y avait aussi tout un côté sur l’influence du capitalisme sur le jeu vidéo, son gameplay et ses mécanismes, car on retrouve souvent cette influence...


Par exemple dans Mario, la collecte d’argent, ou bien dans certains jeux de stratégie le fait qu’il faille écraser ses adversaires pour l’emporter…

Oui exactement, dans Stronghold Crusader, le gameplay, c’est : on collecte, on veut devenir le plus fort, et on finit par détruire l’adversaire. Et comme le dit très bien William Blanc dans le documentaire justement, ça laisse à penser que dans cette société, la seule place qui vaille, c’est d’être en haut, au sommet. Et c’est le dirigeant qui doit asseoir son pouvoir.

Rendre l'Histoire attractive et interactive : Entretien avec Benjamin Brillaud (Nota Bene)

Le curseur entre authenticité et fun, tu l’as placé où pour cette série de vidéos ? Tu t’es forcé à aller un peu plus du côté du fun ? C’est un compromis ?

Oui, on a dû faire plusieurs compromis c’est sûr. Déjà, sur le nombre de sujets que l’on voulait aborder, et parfois sur la profondeur de certains de ces sujets, c’est évident. Parce que oui, il faut parvenir à caser des punchlines parfois pour choquer, accrocher ou réveiller le téléspectateur. Parce que c’est en interloquant les gens qu’on obtient leur attention et qu’on peut ensuite diffuser l’information. Le fun, au final, il se fait beaucoup par le montage, les choix d’illustrations… et ça a surtout été le travail du réalisateur, Régis Brochier, et des graphistes qui ont fait un super boulot.

Moi j’avais certaines idées, par exemple, pour les clichés historiques, je voulais commencer par World of Warcraft. Ce n’est pas un jeu historique, mais on y retrouve énormément d’inspirations historiques, et j’avais cette idée dans mon esprit d’une démonstration par l’absurde au début de l’épisode en prenant un jeu totalement what the fuck avec des pieuvres venues de l’espace qui se fight avec des vaches bipèdes, et finalement, en crédibilisant ces personnages avec quelques références historiques, on va créer une constance, on va familiariser le joueur avec quelque chose qu’il reconnaît et ça va lui permettre de rentrer dans cet univers, parce qu’on aura donné un peu de fond historique. C’est ce que je voulais démontrer, et ils l’ont très bien mis en image, avec des graphismes… Moi quand j’ai vu le résultat, j’imaginais pas du tout la chose ainsi, mais j’ai quand même trouvé ça génial !


Dernière question, tes projets pour l’avenir ? Une saison 2 ?

Oui, on m’a proposé une saison 2 et j’ai pour l’instant décliné, principalement en raison des contraintes dont je t’ai parlé. Mais après je ne sais pas de quoi sera fait l’avenir. C’est vrai que c’est un exercice de style qui a été hyper plaisant mais dans le même temps ultra frustrant. Ce qui est sûr, c’est que les process sont longs, avec de la validation, de la sur-validation... Moi j’aime bien être libre et si j’ai envie de sortir un truc en une semaine, bah je le fais en une semaine. J’ai envie de retrouver un peu ma liberté. Bon, je n’ai pas été contraint sur cette série. Mais je préfère me concentrer sur ma chaîne, revenir sur mes rubriques habituelles. Beaucoup de reportages et d’épisodes en partenariats seront aussi faits cette année, avec des institutions, des musées, des départements, afin de mettre en valeur le patrimoine. Je trouve ça important aussi.

Il y a également une BD que je viens de signer et qui sortira certainement fin 2018 ou début d’année prochaine. Donc j’ai pas mal de choses de prévues, et il y a aussi les gens de la télé qui commencent à s’intéresser à ce que je fais pour faire d’autres documentaires, mais je ne sais pas encore si je le ferais. Car encore une fois, c’est des process longs et lourds à mettre en place. Donc on verra. Mais ce qui est sûr, c’est que pour l’heure, mon planning est bouclé jusque janvier 2019 et je vais me concentrer sur ma chaîne.

HistoriaGames remercie chaleureusement Nota Bene pour cette interview. Pour retrouver sa série de documentaires diffusés par Arte Creative, suivez-le lien : Playliste d'History's Creed sur Youtube ou bien sur Arte.