Home of Wargamers 2015 : Un coup d'accélérateur sur l'autoroute du succès

26 juin 2015 par Moet | Home of Wargamers | Groupe Slitherine

Home of Wargamers 2015 - Interview avec le Groupe Slitherine

On le devinait et c’est maintenant officiel : le Groupe Slitherine gravit sans fléchir les marches de la profitabilité. Une hausse de 25 % des ventes par rapport à 2014, un chiffre d’affaires cinq fois plus élevé qu’il y a cinq ans, l’éditeur a décidément le vent en poupe. En particulier, les ventes sur Steam ont explosé dès l’année de leur introduction, en 2014, et continuent de séduire des joueurs peu coutumiers des jeux de stratégie militaire. Elles drainent quelque 35 % du chiffre d’affaires, pendant que les différents sites Web du Groupe se maintiennent autour de 45 %.

Cette fière performance du PC, qui procure à lui seul près de 80 % des revenus, est en net contraste avec le succès tout relatif remporté sur la plateforme iOS et le désert persistant qui afflige Android. Malgré le potentiel phénoménal de croissance des contenus vidéoludiques sur tablettes, Slitherine n’y trouve pas son compte en termes de rentrées financières. Et comme les joueurs occasionnels ont boudé les produits « grand public » lancés dans le passé par l’éditeur, ce dernier préfère se concentrer désormais sur le cœur de son marché cible : les vrais amateurs de stratégie équipés de PC.


La salle où se déroulait le Home of Wargamers 2015, au château Brando, en Vénétie. Slitherine n'ayant fait circuler aucun matériel de presse, nous en sommes réduits à vous proposer des captures d'écran de la diffusion Twitch [http://www.twitch.tv/slitherinegroup/b/671739735] du 23 juin dernier.

Que faire quand on a déjà atteint l'Eden ?

Slitherine pourrait dormir sur ses lauriers. Il opte plutôt pour la direction inverse : tout mettre en œuvre pour accroître davantage le volume des ventes, exploiter pleinement le potentiel du marché, produire un plus grand nombre de jeux de meilleure qualité et fidéliser tous les amateurs de stratégie PC de la planète. Ceux-ci constitueraient un marché de 1,2 milliard de dollars selon la boule de cristal de Marco Minoli, directeur du marketing, de quoi alimenter une croissance à deux chiffres durant de nombreuses années encore.

Il faudra tout de même attirer ces nouveaux clients et les captiver suffisamment pour en faire des fidèles. À cette fin, le Groupe Slitherine espère incurver la démarche des développeurs vers des sentiers plus faciles à emprunter par les amateurs potentiels, qu’ils soient en quête de détente ou de défis épicés. Dans le même temps, mais sur une échéance plus immédiate, il désire accroître son efficacité commerciale auprès de la clientèle existante. C’est du moins ce qui ressort des propos tenus à l’ouverture du HoW15, [http://www.twitch.tv/slitherinegroup/b/671739735] dont on perçoit l’écho dans les principales mesures annoncées.

Priorité au soutien aux développeurs

  • Le Groupe Slitherine ne développera plus aucun jeu dans ses murs, à l’exception de la production du Shenandoah Studio, d’AGEod et de l’équipe chargée de la série Close Combat. Tous les autres jeux seront créés par les partenaires externes. Le personnel de Slitherine pourra dès lors consacrer l’essentiel de ses énergies au soutien aux développeurs.
  • La nouvelle Division du support technique s’occupe de développer un moteur générique, nommé Archon, utilisable gratuitement par les développeurs. Le premier jeu fondé sur ce moteur sera Steel Tigers, une sorte de refonte de Steel Panthers (2 By 3 Games). L’objectif ultime est que les jeux du Groupe projettent une image plus cohérente.
  • L’encadrement des ressources externes sera plus serré, notamment au moyen de communications audio hebdomadaires et de sessions d’arrimage tenues au siège social du Groupe, en Angleterre.
  • Slitherine assumera désormais la totalité des frais de placement publicitaire externe (magazines, sites Web et autres), au lieu de 50 % actuellement.
  • Les développeurs auront accès à un forum privé où ils pourront aisément partager leurs bonnes pratiques et leur expertise.


Les ventes sur Steam (rouge) et sur les sites Web du Groupe Slitherine (vert) dominent largement les autres plateformes de distribution. L'éditeur en conclut que son marché est fortement attaché au PC.

Maximiser les ventes

  • Le panier d’achat sera intégré aux boutiques en ligne déjà en place (Slitherine, Matrix et AGEod), de sorte que les gens du marketing disposeront d’une information plus complète sur le comportement des acheteurs et auront plus de latitude pour proposer des offres alléchantes.
  • Toutes les taxes seront dorénavant absorbées par l’éditeur. Le prix affiché sera définitif et plus personne ne rebroussera chemin à l’apparition des taxes sur la facture finale (ce qui était le cas de 28 % des acheteurs potentiels). L’accroissement de ventes résultant de cet allégement devrait dépasser le manque à gagner.
  • La version boîte des jeux sera désormais vendue par le géant du commerce électronique Amazon (en implantation en Amérique du Nord, très bientôt en Europe).
  • Il sera possible, pour le possesseur d’une version numérique d’un jeu, d’acquérir la version boîte à un prix incitatif.
  • L’éditeur continuera de proposer des offres groupées (bundles) portant sur le fond du catalogue.

Frénésie et inquiétude

Le Home of Wargamers de cette année ressemblait à une vaste opération de marketing interne destinée à souder les différentes équipes de développement autour d’une idée forte : la nécessité de renouveler les wargames pour attirer davantage de joueurs.

Sachant que jamais un jeu de guerre rigoureux ne pourra servir de pompe à dollars, que Slitherine oriente ses projecteurs sur les jeux visuellement attractifs qui se laissent domestiquer sans souffrance et qu’il équipe ses développeurs avec tous les outils nécessaires pour en produire, les amateurs de stratégie légère peuvent dormir tranquille, leur avenir est entre de bonnes mains. Par contre, les amateurs d’histoire exigeants, comme nous, repartent un peu moins rassurés, en se demandant à quelle fréquence Slitherine continuera de les alimenter en bons wargames à contenu historique.

Selon le directeur du développement Iain McNeil [Interview sur HistoriaGames], les joueurs reconnaîtront pas moins de sept wargames parmi les 31 titres prévus en 2015, ce qui représente le quart de la production. Parmi ces jeux « sérieux », on trouve déjà Scourge of War : Waterloo et Brother Against Brother, et on peut supposer qu’ils incluent Thirty Years War et Tigers on the Hunt annoncés pour bientôt. Si l’on ajoute à cette palette le remake de World at War: A World Divided sur iPad et la rallonge Operation Torch pour War in the West, le sac d’emplettes arbore un volume respectable. L’année 2015 pourra donc servir de point de référence pour mesurer, quantitativement et qualitativement, le degré d’investissement de l’éditeur dans notre segment de marché au cours des prochaines années.

La grande question est de savoir si les développeurs parviendront à bâtir des jeux plus faciles à manipuler et à comprendre sans sacrifier la profondeur du gameplay. C’est bien l’étincelle de leur passion — la même qui les a lancés dans ce métier impossible — qui a été le gage, jusqu’ici, d’une saine diversité. Comment imaginer qu’un moteur de jeu unique, comme Archon, puisse faire aussi bien ?


Plus de la moitié des clients du Groupe vivent en Amérique du Nord. L'Europe arrive bon deuxième.

Marché secondaire prometteur

Une évolution inattendue du marché apporte quelques espoirs. Slitherine a reçu récemment plusieurs offres émanant des milieux militaires en quête d’une expertise en simulations pointues. Le Pentagone lui-même serait à la recherche de wargames professionnels. Les autres noms évoqués incluent la marine sud-africaine ainsi que BAE Systems, qui a déjà signé un contrat mettant à contribution Warfare Sims, les ultra-passionnés qui ont mis au monde Command : Modern Air Naval Operations.

Selon toute vraisemblance, les innovations issues de ces nouvelles plateformes de travail devraient tôt ou tard profiter à ceux qui adorent jouer à la guerre sans jamais la faire ni la valoriser. Il s’agit à tout le moins d’un argument bien concret qui devrait convaincre la direction de Slitherine de conserver quelques œufs dans le créneau des simulations réalistes.

Considéré sous cet angle, on peut conclure que le HoW15 annonçait de bonnes nouvelles à l’ensemble des wargamers, sans laissés-pour-compte.

Le bouche à oreille supplanterait les articles de fond

Le Groupe Slitherine l’énonce en clair : ce ne sont plus les évaluations cotées que consultent les joueurs avant de délier leur bourse, mais plutôt leurs pairs sur les forums et les sites de diffusion vidéo. L’avis spontané des membres de la communauté, voire le buzz instinctif suscité par la sortie d’un jeu, ont davantage de poids que les tests verbeux, généralement en retard par rapport au pouls de la rue. Il n’est donc plus nécessaire de dérouler le tapis rouge devant la presse spécialisée, ni de l’inviter à la conférence annuelle du Groupe.

Nous acceptons de bonne grâce de suivre les Home of Wargamers sur l’écran de nos ordinateurs, et non dans un hôtel particulier aux boiseries centenaires. Notre éditeur de wargames préféré pourra employer ses excédents de caisse à des fins certes plus utiles. Par contre, nous persistons à croire que les avis bien argumentés influencent les courants de pensée qui irriguent la communauté des joueurs et qu’à ce titre ils entrent dans l’équation achat/non-achat des jeux. Nous en sommes si persuadés que nous continuerons de remplir des pages et des pages d’HistoriaGames au bénéfice des amateurs indécis ou intéressés à confronter leurs opinions à celles des autres passionnés d’histoire militaire.

  • Moet Le Wargameur québécois, Pisteur de jeux de stratégie historique, Testeur de wargame

  • "La route d'Auschwitz fut construite par la haine mais pavée d'indifférence." lan Kershaw

  • Blog : http://www.guerreenjeu.net