Interview et présentation du mémoire d'Olivier Merlot

31 août 2015 par HistoriaGames | Mémoire | Histoire et Architecture

Interview et présentation du mémoire d'Olivier Merlot

« La tentation est belle, pour le joueur féru d'Histoire comme pour le néophyte, de s'égarer dans les ruelles d'un vieux Paris fidèlement reconstitué, d'escalader les parois de Notre-Dame ou de la Bastille, recréées d'après les documents d'époque. Mais se pose nécessairement la question de savoir s'il est possible de reproduire, dans un jeu, la complexité d'une période donnée. »

Le 17 novembre 2014, Pierre Ropert, journaliste à France Culture, résumait en quelques mots la réflexion à l'origine du développement de ce présent mémoire, oeuvre du jeune étudiant Olivier Merlot, ayant soutenu à Paris 7 son mémoire intitulé : Le jeu vidéo et le patrimoine culturel architectural : vers un nouvel outil de médiation culturelle ? L'exemple de la reconstitution de deux ensembles architecturaux à valeur patrimoniale.

Ce ne fut pas la seule question qui poussa l'auteur à réaliser ce mémoire divisé en trois parties :

  • Mise en contexte : Les mondes vidéoludiques et le patrimoine culturel.
  • Les reconstitutions d'ensembles architecturaux à valeur patrimoniale: exemples de Paris 3D Saga et Assassin's Creed Unity.
  • Interconnexions des univers « scientifique » et vidéoludique et apports des jeux vidéo au patrimoine culturel architectural.

Selon l'auteur, qui partage volontiers son mémoire avec HistoriaGames, le jeu vidéo est « un objet d'étude fascinant, en constante évolution » dont « l'Histoire est une compagne récurrente ». Un mémoire présentant en annexe trois interviews dont l'une est consacrée à Laurent Turcot, professeur d'histoire à l'Université du Québec à Trois-Rivières et consultant historique ponctuel chez Ubisoft Montréal pour Assassin's Creed Unity.

Pour consulter et télécharger le mémoire d'Olivier Merlot, cliquez par ici.

En plus de vous offrir la possibilité de consulter son mémoire en exclusivité sur HistoriaGames, Oliver Merlot a accepté de répondre à nos quelques questions !

HistoriaGames : Quelles études as-tu fait pour en arriver à écrire ce mémoire ? et quels conseils donnerais-tu aux nouveaux bacheliers qui vont s'engager dans des études en Histoire ?

Olivier Merlot : J'ai un parcours universitaire quelque peu atypique ! J'ai d'abord réalisé une licence en Histoire de l'Art et en Archéologie à l'Université de Lille 3. Je m'y suis alors découvert une passion pour l'architecture et son histoire. Ayant le goût du voyage et de la découverte, je me suis par la suite inscrit dans une école de design au Canada, dans laquelle était enseigné le design architectural et urbain. J'y ai finalement passé cinq années. Je me suis spécialisé dans l'utilisation de l'outil numérique et la modélisation 3D et j'ai rapidement trouvé un emploi dans ce domaine. J'étais alors chargé de réaliser des modèles numériques, redonnant naissance à des édifices domestiques québécois des XVII et XVIIIe siècles. Il s'agissait véritablement d'un travail d'historien-détective, où il était nécessaire de fouiller dans les archives afin de retrouver les documents d'époque permettant de retracer l'histoire des édifices étudiés afin de définir leurs anciennes formes architecturales. J'ai ainsi pu mesurer la portée fantastique des univers tridimensionnels dans la valorisation et la transmission de notre patrimoine culturel architectural. Une fois rentré en France, j'ai décidé d'achever mon cursus universitaire par un master et j'ai intégré en deuxième année le master recherche en Histoire et Civilisations comparées dans la spécialité Ville, Architecture et Patrimoine, qui se partage entre l'Université Paris VII et l'Ecole Nationale Supérieure d'Architecture de Paris Val-de-Seine. L'objectif ici était de réaliser un mémoire de fin d'études dans un domaine de mon choix, en rapport avec la valorisation de notre patrimoine architectural. Partant de la constatation que l'industrie vidéoludique ne cesse de se développer et d'évoluer, et étant un grand fan de jeux vidéo aux caractères historiques, j'ai alors proposer au corps enseignant comme sujet de mémoire l'utilisation du jeu vidéo comme outil de médiation culturelle. Même si le choix de ce sujet a surpris au premier abord, je n'ai pas eu trop de mal à le faire accepter. Lors de la soutenance finale, il a même été reçu comme un sujet très original et d'actualité.

Pour les nouveaux bacheliers et ceux qui vont se lancer dans un cursus en Histoire, je n'aurais pas la prétention de leur dire ce qu'il faut faire ou ne pas faire. Je pourrais juste leur conseiller de lire un maximum et de ne pas se contenter simplement des cours qu'ils pourront recevoir à l'Université. On apprend à mon avis dix fois plus dans un livre que durant les cours universitaires. Ensuite, je leur conseillerais de se rendre dans un maximum de musées, d'expositions et mêmes de monuments historiques (cathédrales, églises, châteaux, …), car même si les livres sont de fabuleuses sources de connaissances, les vieilles pierres ont de merveilleux messages à transmettre également. Et puis il faut être conscient que les études en Histoire ont assez peu de débouchés alors le meilleur conseil serait peut-être d'essayer de se spécialiser autant que faire se peut dans un domaine annexe, ou d'enrichir son cursus d'historien par d'autres capacités (modélisation 3D, dessin, photo, pilotage de drônes, etc…). Le diplôme obtenu, il sera toujours plus aisé de trouver rapidement un emploi dans des secteurs variés, toujours en rapport avec l'Histoire.


Ton mémoire se nomme "Le jeu vidéo et le patrimoine culturel architectural : vers un nouvel outil de médiation culturelle ?", comment as-tu eu l'idée de ce mémoire ?

Le choix de ce sujet s'est fait tout naturellement et répond en quelque sorte à l'ensemble de mon cursus universitaire, ce que j'ai pu y découvrir, ce que j'ai pu y apprendre. Comme je l'ai mentionné, j'ai eu l'occasion au Canada de prendre conscience de la portée fabuleuse des univers tridimensionnels dans la valorisation et la transmission de notre patrimoine architectural. Depuis déjà de nombreuses années, l'outil informatique est utilisé pour recréer des édifices disparus (projet Major Ecclesia pour l'abbaye de Cluny) ou même des pans entiers de certaines villes anciennes (projet Rome Reborn). Cependant ces projets, aussi réussis soient-ils et peut-être par manque de budgets, restent assez fades et possèdent une diffusion restreinte.

Aujourd'hui, je pense que ce sont les studios de développement de jeux vidéo qui sont novateurs dans ce domaine. L'industrie vidéoludique ne connaissant pas la crise, elle possède les moyens financiers d'innover constamment et de développer des projets dont la répercussion s'étend au-delà du simple cercle des joueurs. De plus en plus, nous pouvons utiliser dans les musées ou dans les monuments historiques des technologies issues de l'industrie vidéoludique comme aide à la visite (l'oculus rift pour le projet Real Virtuality, les Nintendo 3DS pour la visite du Louvre par exemple). Et en ce qui concerne les restitutions 3D d'ensembles architecturaux à valeur patrimoniale, il suffit d'observer le travail fantastique qu'ont réalisés les membres d'Ubisoft pour les jeux Assassin's Creed et notamment le dernier, Assassin's Creed Unity. Je ne parle pas ici de la qualité du jeu en lui-même mais plus de la qualité des environnements. Une reconstitution du Paris du XVIIIe siècle de cette envergure (21 kilomètres carrés) et de cette richesse ne s'était jamais vu auparavant. D'autant plus que de vrais historiens et des personnes sensibilisées à l'architecture ont apporté leur savoir-faire au projet. Le résultat, malgré quelques anachronismes ou libertés historiques, est criant de vérité. De plus, le budget de 140 millions alloué au projet, ce qui est colossal, permet au jeu de se diffuser dans le monde entier, entraînant avec lui une diffusion du patrimoine culturel français. Ainsi, un Canadien ou un Américain, n'étant que très peu sensibilisés à la Révolution française ou aux principaux monuments de Paris, pourra, tout en jouant, découvrir des pans de l'Histoire qu'il n'aurait jamais abordé autrement. D'autres jeux également sont très intéressants dans ce qu'ils peuvent nous apprendre de l'Histoire. Je pense notamment à Total War Attila et de ses représentations urbaines des cités de la fin de l'Antiquité (dans lesquelles certains éléments s'éloignent cependant de la vérité historique) ou encore le fantastique Crusader Kings II, qui ne nous montre pas l'Histoire sous forme de faits qui s'enchaînent mais qui nous transmet une vision des mécanismes politiques, sociaux et économiques de la société médiévale.

On voit donc bien aujourd'hui que les jeux vidéo possèdent et utilisent les outils nécessaires à la sensibilisation du public au patrimoine culturel, et notamment architectural. Il faut néanmoins garder en tête qu'un jeu vidéo est avant tout ludique, et à l'image d'un film ou d'un roman, il peut travestir la réalité historique comme bon lui semble. Ce qui ne l'empêche pas, dans certains cas précis, d'être de merveilleux outils de médiation culturelle. C'est ce que j'ai voulu démontrer dans mon mémoire.

Assassin's Creed Unity

Notre-Dame dans Assassin's Creed Unity est certainement l'un des plus beaux monuments recréés dans un jeu, peux-tu nous dire en quelques mots comment les développeurs l'ont réalisé ?

C'est vrai que la cathédrale Notre-Dame de Paris a été particulièrement bien modélisée dans Assassin's Creed Unity. Il faut dire aussi que ce monument a subi un traitement un peu spécial. Les développeurs en ont fait le fer de lance du jeu et un élément architectural primordial dans la campagne marketing précédent la sortie du soft. Ils sont partis du principe que Notre-Dame est un bâtiment emblématique de Paris, que tout le monde connaît à travers le monde, en partie grâce au roman de Victor Hugo. Ainsi, une équipe entière dirigée par Caroline Miousse, directrice artistique des environnements sur Assassin's Creed Unity, que j'ai eu la chance d'interviewer dans le cadre de mes recherches, s'est occupée de la seule réalisation de la cathédrale pendant deux années, des recherches préliminaires à la modélisation à proprement parlé. Les membres de cette équipe ont notamment dû se familiariser avec l'architecture religieuse qu'ils ne connaissaient pas, dans le but de réaliser des structures adéquates et d'utiliser un vocabulaire architectural le plus proche possible de la réalité. Ce qui est néanmoins intéressant de mentionner, c'est que l'équipe a travaillé à partir de photos de Notre-Dame, ainsi qu'à partir de documents architecturaux comme des plans, des coupes ou des élévations et n'a découvert, pour la première fois, la cathédrale, que lors d'un voyage à Paris organisé après la sortie officielle du jeu. Ce qui ne les a pas empêché de réaliser un travail fantastique sur l'édifice. Le modèle tridimensionnel final, réalisé à l'aide de logiciels internes à Ubisoft et d'autres logiciels comme 3dsMax ou Photoshop, contient plus de 3 millions de polygones, symbolisant le degré très élevé de détails apportés à l'ensemble.

Certaines libertés ont cependant été prises volontairement par les développeurs, comme pour la flèche de la cathédrale, qui est un anachronisme. La flèche représentée dans le jeu est en fait celle restaurée au XIXe siècle par le célèbre architecte Viollet-le-Duc. En 1789, elle était constituée principalement de bois et était à moitié démolie. Caroline Miousse a préféré la structure restaurée du XIXe siècle car c'est celle que l'on connaît aujourd'hui. De plus, la flèche actuelle est l'un des éléments architecturaux les plus importants de la cathédrale et le plus haut, visible de très loin dans Paris. Ce choix a également été motivé par la volonté d'offrir aux joueurs ayant pris le temps d'escalader le monument, une récompense plus intéressante que la simple flèche en bois démolie de 1789. D'autres éléments architecturaux de la cathédrale originale ont été travestis ou ajoutés, pour faciliter et enrichir le gameplay des joueurs. Cela est visible à l'intérieur de Notre-Dame, avec l'installation dans la nef principale de nombreuses poutres en bois ou de nombreux câbles, facilitant les déplacements des joueurs.


Les développeurs/éditeurs de jeu vidéo historiques semblent obnubilés par la Seconde Guerre mondiale, pourtant on voit avec la série des Assassin's Creed que le Moyen-âge, la Renaissance italienne ou la Révolution française peuvent intéresser le grand public. Penses-tu que les développeurs devraient davantage s'intéresser à ces périodes moins représentées ?

Je ne sais pas si l'on peut vraiment dire que les développeurs sont obnubilés par la Seconde Guerre Mondiale. Je pense que le Moyen Âge est bien représenté dans le jeu vidéo, tout comme l'Antiquité, même si c'est de moins en moins vrai pour cette dernière, qui a connu son âge d'or avec les jeux de stratégie dans les années 1990 et 2000 (Caesar, Pharaon, Age of Mythology, etc…).

Néanmoins, il existe effectivement des périodes de l'Histoire qui sont quelque peu laissées de côté, malgré la richesse qu'elles pourraient apporter aux scénarios et au gameplay. La Révolution française en est une. La Guerre de Sept Ans en Amérique du Nord, à l'origine des troubles dans le Royaume de France dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle, en est une autre. La Renaissance italienne, comme vous l'avez cité, serait elle aussi une source d'inspiration quasi inépuisable pour les développeurs, tant par les nombreux conflits qui l'ont jalonnés que par les avancées technologiques, artistiques, sociales, politiques et économiques qui ont rythmé cette période de l'Histoire. Je pense effectivement que traiter ces périodes parfois trop souvent oubliées dans le jeu vidéo permettrait de renouveler un peu le répertoire vidéoludique en offrant aux joueurs des terrains de jeux originaux et variés.


Au delà de l'ambiance historique, la représentation des monuments historiques dans les jeux vidéo jouent un grand rôle pour l'immersion, malheureusement les jeux reproduisant des monuments en 3D de manière très fidèles sont peu nombreux. On peut citer la série des Assassin's Creed qui est reconnu pour cela ou bien encore LA Noire ou encore le récent Ofabulis. Est-ce quelque chose de difficile à réaliser pour les développeurs ?

Être le plus proche possible de la réalité dans une reconstitution tridimensionnelle demande de nombreuses recherches documentaires en amont. Les développeurs doivent prendre le temps d'étudier en détail les bâtiments qu'ils vont représenter et parfois même se sensibiliser à des techniques ou disciplines qu'ils ne connaissent pas ou peu. Par exemple, et comme je l'ai déjà mentionné, ça a été le cas pour l'équipe travaillant sur la restitution de la cathédrale Notre-Dame de Paris dans le jeu Assassin's Creed Unity, qui a du enrichir ses connaissances en terme d'architecture religieuse. Donc effectivement, c'est quelque chose qu'il n'est pas toujours évident de mettre en place pour les studios de développement, et cela dépend bien souvent du budget, du temps et finalement des objectifs qu'ils se sont fixés.

Paris 3D Saga

Nous n'avions pas encore parler du projet Paris 3D Saga sur HistoriaGames, peux-tu nous le présenter en quelques mots ?

Paris 3D Saga est un projet documentaire transmédia construit autour de la réalité virtuelle. Il a été mis au point par l'Institut Passion For Innovation de la société Dassault Systèmes et a été présenté au public pour la première fois en 2012. Il a pour vocation première de faire découvrir la richesse historique, culturelle et patrimoniale de Paris, capitale la plus visitée au monde. Ainsi, à l'aide de représentations virtuelles de Paris, le projet nous transporte à travers différentes époques, allant de l'oppidum gaulois de 52 av. J.-C. à la construction de la Tour Eiffel pour l'Exposition Universelle du XIXe siècle.

Ce projet est un projet avant tout scientifique, réalisé en étroite collaboration avec des spécialistes de l'Histoire, et dont le résultat final se veut d'être le plus proche possible de la réalité historique.

Jamais sans doute il n'a été donné de voir autant de déclinaisons provenant d'un projet documentaire. Paris 3D Saga a d'abord été proposé au public sous la forme d'une soirée événementielle le 29 septembre 2012, sur le parvis de l'Hôtel de Ville de Paris. Neuf écrans de dix mètres de large avaient été installés, offrant 500 mètres carrés d'images. L'installation offrait finalement un voyage pédagogique et ludique à la découverte de la construction de Paris à travers les âges. Plus de 15 000 personnes s'étaient donné rendez-vous ce soir là et des bouches de métro avaient du être fermées en raison de l'afflux important de spectateurs désireux d'assister à l'événement. Il s'agissait là d'une preuve assez flagrante du grand intérêt que les gens portent à notre patrimoine culturel et historique commun. Tout comme la preuve, également, des répercussions positives de l'utilisation d'images de synthèses couplées à un système de 3D interactif.

Ensuite Paris 3D Saga a été décliné sous la forme d'un documentaire, retransmis à la télévision et disponible encore aujourd'hui au format Blu-Ray. Un magnifique livre illustré est paru également, retraçant la grande histoire de la Ville Lumière depuis la préhistoire jusqu'à nos jours, sous des angles d'approche quelque peu différents, tels qu'urbanistiques, sociologiques, politiques, économiques et culturels et proposant des vues stéréoscopiques de certains monuments parisiens. Une application pour tablettes existe également, sous le nom “Paris, la ville à remonter le temps”. La dernière déclinaison du projet se retrouve sur internet. C'est principalement sur celle-ci que j'ai centré mes recherches dans le cadre de mon mémoire. Il s'agit d'une application interactive, proposant un voyage pédagogique à travers les différentes époques de l'histoire de Paris. Très bien réalisée, on y apprend beaucoup de choses et j'invite les lecteurs d'HistoriaGames à s'y rendre s'ils désirent parfaire leurs connaissances au sujet de certains monuments emblématiques de Paris (http://paris.3ds.com/fr-experience.html?lang=fr).


Dans le résumé en introduction de ton mémoire, tu nous parles d'une barrière très fine entre l'aspect pédagogique et l'aspect divertissant des jeux vidéo. En écartant le domaine de l'architecture dont tu parles dans ton mémoire, penses-tu que le jeu vidéo peut être une opportunité ou un danger vis-à-vis de l'enseignement et de l'éducation ? Penses-tu qu'un jeu vidéo, aussi bien foutu qu'il soit, puisse remplacer un cours d'histoire ? N'est-ce-pas dangereux pour un jeune adolescent qui aurait tendance à être plutôt crédule?

Effectivement, certains jeux appelés “serious games” sont intégralement conçus dans un but pédagogique. Je pense notamment au jeu Versailles 1685 : Complot à la Cour du Roi Soleil sorti en 1996 et coproduit par la Réunion des Musées Nationaux ou encore la série des Adi et Adibou, que certaines personnes de ma génération, si elles ont eu des petits frères ou des petites soeurs, se rappelleront avoir pratiqué comme un semblant de jeu vidéo. Peut-être aurais-je réveillé le souvenir, chez certains, de la joie que procurait le fait d'avoir à compter des pommes ou des poires, et en chanson s'il-vous-plaît ! Tout cela pour dire qu'à l'époque, et c'est encore vrai aujourd'hui, nous étions et nous serons toujours plus attirés par le fait de jouer que par le fait de travailler. Et je suis entièrement convaincu que l'on apprend mieux en s'amusant. Cet amusement peut provenir de n'importe quel mécanisme y compris de celui d'un jeu vidéo.

Il y a eu un temps où l'enseignement se transmettait uniquement de façon orale et à l'aide de livres. Puis doucement, certains professeurs ont intégrés à leurs cours des diapositives, ainsi que des extraits de films, notamment pour les cours d'Histoire. Dans tous les cas, les étudiants restent passifs et même avec la plus grande motivation à suivre les cours, leur attention ne peut se maintenir à son plus haut niveau pendant une, deux, parfois même trois heures d'affilée. Je ne pense pas qu'un jeu vidéo puisse remplacer un cours d'Histoire, en revanche il peut s'avérer être un appui très intéressant à l'enseignement, et il se situe peut-être dans la suite logique des nouvelles technologies utilisées pour enseigner.

Il m'a été donné d'interviewer Laurent Turcot (interview disponible à la fin de mon mémoire) qui a occupé le poste de consultant historique sur le jeu Assassin's Creed Unity. Professeur d'histoire, spécialisé dans l'histoire de Paris au XVIIIe siècle, il a accepté de venir en aide à Ubisoft à la condition que le studio lui fournisse, à la fin de sa mission, une version simplifiée du jeu qu'il pourrait utiliser par la suite dans ses cours. Laurent Turcot appelle cela de l'”enseignement augmenté”. Sa volonté est d'utiliser un jeu vidéo, en l'occurence Assassin's Creed Unity, comme méthode d'enseignement interactive. Délaissé de son scénario, de ses quêtes et de sa violence, le jeu permet alors de déambuler dans les rues de Paris au XVIIIe siècle et offre l'opportunité d'aborder et de présenter certains aspects de la vie à cette époque ou encore de parler de tel ou tel monument, de tel ou tel quartier, etc. Dans ce cadre là, je pense que le jeu vidéo peut s'avérer être un outil tout à fait original et performant en terme d'assimilation de connaissances et d'interactivité avec les étudiants.

De plus en plus, la question se pose justement de savoir si le jeu vidéo et l'enseignement sont compatibles, à l'image du Games for Learning Summit, organisé par le Département américain de l'Éducation et qui s'est tenu à New York en avril 2015. Ubisoft y a participé et a présenté certains de ses jeux, comme Assassin's Creed Unity, en mettant l'accent sur l'authenticité, la véracité historique ainsi que la pertinence de l'utilisation de ces jeux dans un contexte éducatif. L'assemblée, composée majoritairement de professeurs, s'est montrée très intéressée par l'utilisation du jeu vidéo dans l'enseignement.

Le seul danger, comme vous l'avez mentionné, est la crédulité, tout à fait normale, de certains adolescents, d'où l'importance d'un encadrement solide dans l'utilisation du jeu vidéo en milieu scolaire. Lors de mes recherches, j'ai relevé de nombreux anachronismes ou erreurs historiques au sein d'Assassin's Creed Unity. Tout comme le cinéma ou l‘écriture romanesque peut le faire, un jeu vidéo peut réécrire ou représenter l'Histoire comme bon lui semble, d'où l'intérêt de garder en mémoire qu'un jeu vidéo peut, certes, nous offrir de multiples connaissances, notamment historiques, mais qu'il a été avant tout conçu pour divertir.

Tu nous parles de Minecraft dans ton mémoire qui, à mon sens, est l'archétype même de la transposition du jeu vidéo au domaine architectural. Pourtant, bien qu'ayant son style caractéristique, le jeu est loin d'être beau graphiquement. La beauté des graphismes et le degré de fidélité dans la représentation sont-ils nécessaires au jeu pour qu'il y ait un véritable apport architectural ?

Le jeu Minecraft est le parfait exemple d'un jeu plus que réussi alors qu'il n'utilise que des graphismes basiques. Le terme de graphismes basiques ou simplistes n'est en aucune manière péjoratif puisque Minecraft s'est créé une identité graphique propre à lui-même, facilement reconnaissable et utilisé par d'autres jeux comme source d'inspiration. L'apport de Minecraft au domaine de l'architecture réside cependant moins dans son style graphique que dans la liberté artistique qu'il propose aux joueurs-concepteurs. Tout ce qui est imaginable est constructible dans ce jeu. À tel point que certains groupes de joueurs sont même allés jusqu'à créer des sociétés virtuelles hiérarchisées, ou chacun possède sa propre maison et son propre métier. Le monde de l'architecture s'est même déjà emparé de ce mode de création puisqu'en 2013, le cabinet d'architecture suédois Equator a lancé, en partenariat avec Mojang, un concours d'architecture pour la conception de bâtiments résidentiels à travers le jeu Minecraft. On voit donc bien que Minecraft, malgré son aspect rétro (que je trouve personnellement fort sympathique) est le jeu parfait pour les concepteurs et architectes en herbe qui peuvent donner naissance, derrière leur écran, à toutes les formes architecturales souhaitées.

D'un autre côté, la fidélité dans la représentation n'est pas indispensable non plus pour rendre une architecture intéressante au sein d'un jeu. Je vais prendre l'exemple du magnifique et splendide The Witcher 3 qui offre aux joueurs des environnements emplis de styles architecturaux divers aussi riches les uns que les autres et directement sortis de l'imaginaire des concepteurs. Quel bonheur de déambuler dans les rues et ruelles des villages ou des villes et de s'arrêter devant des édifices aux architectures grandioses. Certains jeux sont même complètement futuristes en terme d'architecture. Car si je prends The Witcher 3 comme exemple, il est vrai que les styles architecturaux proposés dans ses environnements de jeu relèvent quand même énormément de ce que l'on pouvait trouver au sein de nos cités médiévales européennes. Dans Bioshock Infinite, en revanche, les décors architecturaux mis en place n'ont jamais été vu nulle part et leur transposition dans la réalité s'avèrerait même impossible. Il s'agit pourtant là de sources d'inspiration tout à fait intéressantes pour les architectes et concepteurs du monde réel.


Lors de l'E3, Microsoft nous a fait une démonstration de son périphérique de réalité virtuelle associé à ce jeu. A ton avis, l'émergence de la réalité virtuelle peut-elle faire basculer les liens entre architecture et jeu-vidéo dans une nouvelle dimension ? Si oui, comment nous décrirais-tu le futur de cette relation ? Penses-tu qu'une véritable industrie à part puisse se développer en marge du jeu-vidéo avec ses propres experts, ses propres spécialistes et ses propres codes ?

Oui j'ai vu la présentation de l'Hololens de Microsoft, j'ai trouvé ça assez fabuleux !! Je pense effectivement que le développement de la réalité virtuelle va engendrer un nouveau rapport entre le joueur et les environnements de jeu, notamment ceux en lien avec l'architecture. Il est monnaie courante aujourd'hui, de naviguer dans des univers tridimensionnels au sein des jeux vidéo. Il n'en reste pas moins vrai qu'en réalité cette troisième dimension n'est qu'une illusion, puisque l'ensemble des décors dans lesquels nous évoluons se présentent à nous de façon planaire. Avoir la possibilité d'observer devant nous des environnements en véritable 3D, autour desquels il sera possible de naviguer en temps réel permettra à certaines personnes de mieux se repérer dans l'espace mais permettra également d'accentuer l'immersion des joueurs.

En ce qui concerne les liens étroit entre le domaine du jeu vidéo et celui de l'architecture, je pense que le développement de telles technologies par le premier va énormément profiter au deuxième. L'industrie vidéoludique est devenue une industrie novatrice en terme de développement de nouvelles technologies et un grand nombre de ses créations sont déjà utilisées par l'architecture. Par exemple, l'Oculus Rift peut être utilisé pour faire visiter de futurs projets architecturaux aux commanditaires ou même tout simplement permettre de déambuler dans des édifices disparus depuis des centaines d'années. Les projets en architecture sont de plus en plus présentés sous formes de modélisations 3D ou de prises de vue photo-réalistes. Cela provient du fait que certaines personnes ont beaucoup de mal à imaginer en trois dimensions des éléments représentés en deux dimensions.

Par la suite, et comme c'est déjà le cas pour les modélisations tridimensionnelles de projets architecturaux, nous pourrions imaginer que certains cabinets d'architecture se spécialiseront dans la réalisation, uniquement, d'environnements virtuels comme celui qui nous a été présenté à l'E3. Évidemment, de nouveaux acteurs apparaîtront et se spécialiseront dans ce type de conception, et pourront par la suite revenir vers l'industrie vidéoludique, en tant que consultant ou concepteur à part entière. Je pense qu'un tel développement de la réalité virtuelle serait finalement bénéfiques, tant au domaine de l'architecture qu'à celui des jeux vidéo et ouvrirait le champs à des échanges très positifs entre les deux.


Dans les jeux vidéo en open-world comme Assassin's Creed Unity, dont tu nous parles dans le mémoire, penses-tu que le réalisme architectural des décors et de l'environnement est devenu un véritable élément de marketing incitant ou désincitant à l'achat du jeu ?

Dans le cadre précis d'Assassin's Creed Unity je pense qu'effectivement le réalisme architectural des environnements de jeux a été énormément mis en avant lors des campagnes de promotion du soft. J'ai longuement discuté avec Caroline Miousse, directrice artistique sur le jeux, qui avait la charge de diriger la conception virtuelle de la cathédrale Notre-Dame de Paris. Je lui ai demandé si les erreurs architecturales ou anachroniques visibles sur le monument avaient été volontaires ou non. En ce qui concerne la flèche du monument, elle m'a expliqué avoir choisi volontairement celle qui a été restaurée au XIXe siècle et que nous connaissons encore aujourd'hui, parce qu'elle est un élément architectural principal de la cathédrale, visible de loin et facilement identifiable par tous. La cathédrale Notre-Dame a justement était le fer de lance de la campagne marketing du jeu, d'où la volonté de proposer un édifice paraissant le plus proche de ce qu'avaient pu voir les gens ayant déjà visité Paris. Je ne pense de toute façon pas qu'une campagne de marketing puisse désinciter à l'achat d'un jeu, quoiqu'elle puisse effectivement nous présenter des aspects du jeu qui ne nous plaisent pas. En revanche, la mise en avant des architectures majestueuses et les plus fidèles possibles ont certainement motivés certains joueurs à se procurer Assassin's Creed Unity.


Visiter Versailles en 3D dans Assassin's Creed Unity, c'est plutôt sympa. Surtout au vu du rendu des graphismes actuels. Mais rien ne remplace le fait de le voir de ses propres yeux. Penses-tu que le jeu vidéo ait un impact négatif sur la fréquentation de lieux tels les musés ou les chateaux, ou qu'à l'inverse, il est un véritable vecteur de promotion et de publicité boostant et stimulant l'intérêt des gens ?

Je pense qu'un jeu vidéo proposant des modélisations fidèles de certains sites ou monuments existants ne peut être qu'un boosteur de fréquentation pour ceux-ci. Personnellement, j'ai eu envie de me rendre auprès de certains édifices que j'ai pu visiter dans Assassin's Creed Unity. Tout comme j'ai eu envie d'approfondir mes connaissances sur les vikings après avoir vu la série Vikings. Les passionnés d'Histoire iront toujours chercher plus loin après avoir pu toucher à un pan de celle-ci dans les jeux vidéo. Un très bon exemple est ce que l'on appelle les “jeux à réalité alternée”, dans lesquels les mécanismes du jeu vidéo sont utilisés comme des outils de médiation culturelle. Le meilleur exemple est le projet intitulé “Les Mystères de la Basilique”, mis en place à Saint-Denis en 2012. Il a eu pour but d'augmenter la fréquentation dans les principaux monuments et musées de la ville des 15-25 ans. Pour cela, un site internet a été ouvert et chaque participant (joueur) pouvait se créer un avatar, choisir sa classe, ses aptitudes. Leur étaient alors données des quêtes, faisant augmenter leur lvl, comme dans n'importe quel MMORPG. Celles-ci leur demandaient en revanche de se rendre réellement dans les monuments et musées de la ville, où avaient été préalablement mis en place des énigmes et PNJ incarnés par des acteurs. Le résultat de ce projet fût tout à fait positif, la fréquentation de la Basilique et du Musée d'Art et d'Histoire ayant vu leur fréquentation monter en flèche.

Connais-tu le jeu Ofabulis que nous avons présenté l'année dernière sur HistoriaGames ? Si oui, est-ce que tu y as joué et qu'est-ce que tu en as pensé ?

Oui je connais le projet OFabulis car il a été réalisé par la même personne en charge des “Mystères de la Basilique”, Edwige Lelièvre. Je n'y ai par contre pas joué donc je ne peux pas réellement donner mon avis. Il a l'air néanmoins très intéressant et je pense m'y attarder, maintenant que j'ai retrouvé un peu de temps libre à consacrer aux jeux vidéo :) ! [NDLR : Ofabulis n'est actuellement plus disponible, les serveurs ayant été arrêtés, mais une suite pourrait voir le jour]

Pour l'instant, il y a une sorte de réticence pour les pouvoirs publics à promouvoir de façon assumée l'apport que peu donner le jeu vidéo à de nombreux domaines, dont l'architecture. Bien que ce média soit devenu un vecteur de diffusion mondial de la culture, il reste victime d'un tabou dans notre pays. Quelles mesures pourrait-on imaginer pour associer davantage les pouvoirs publics au jeu vidéo ? Ne penses-tu pas qu'en 2015, tenir les jeux vidéo écartés constitue un véritable manque à gagner ?

Je pense effectivement que les jeux vidéo restent assez tabous en France, même si doucement, les plus réticents commencent à se rendre compte de tout ce qu'ils peuvent également apporter de positif. Aujourd'hui il n'est plus rare d'entendre parler très sérieusement de jeux vidéo dans les médias (radio, télévision), sans que ça soit pour autant dans le but de démontrer qu'ils engendrent des tueurs en série ou des analphabètes sans cervelles. Dans le cadre de mon mémoire j'ai écouté de nombreuses émissions de radio, notamment sur France Culture ou France Info, dans lesquelles les animateurs, non joueurs, discutaient très sérieusement et très positivement de ce que pouvait apporter les jeux vidéo. Assassin's Creed Unity a d'ailleurs énormément participé à cette entrée du jeu vidéo dans les débats médiatiques en 2015, de par son côté volontairement proche de la Culture. Même les politiques commencent à donner leur avis sur les jeux vidéo. Peut-être certains auront suivi les propos houleux de Jean-Luc Mélenchon et Alexis Corbières, secrétaire national du parti de gauche, qui sont montés à la tribune pour dénoncer le scénario d'Assassin's Creed Unity comme étant une propagande contre le peuple. En réalité, aucun d'eux n'avaient joué au jeu et ils critiquaient en fait le film promotionnel du jeu réalisé par Rob Zombie. Malgré le fait qu'ils se soient en quelque sorte trompés de cible, cette montée au créneau révèle que le jeu vidéo est actuellement en pleine mutation et qu'il occupe une place de plus en plus importante au sein de notre société, devenant critiquable au même titre que le cinéma, la littérature ou encore la peinture.

Je ne sais pas vraiment quelles mesures il serait possible de prendre pour associer davantage les pouvoirs publics au jeu vidéo. Je pense que cela se fera tout naturellement, peut-être par le remplacement des “anciennes” générations par les nouvelles, plus sensibles aux univers vidéoludiques. Pourtant, déjà en 2007 Henri Isaac était à l'origine d'un rapport intitulé “L'université numérique”, dans lequel il abordait les jeux vidéo et plus particulièrement les serious games, en affirmant qu'ils présentaient des caractéristiques intéressantes pour la formation. En 2008, Valérie Pécresse, alors Ministre de l'Enseignement Supérieur et de la Recherche, souhaitait quant à elle, dans le cadre des Assises Numériques, voir se créer au sein des universités françaises un véritable patrimoine de leur documentation numérique, avec notamment l'utilisation de serious games. Ces premières attentions portées par les pouvoirs publics aux jeux vidéo ont été assez timides et je ne pense pas qu'elles aient été réellement mises en place. Elles demeurent néanmoins la preuve que les négociations entre l'un et l'autre ont été ouvertes et je pense qu'elles ne feront que se développer positivement dans les années à venir.

 

Nous tenons à remercier Olivier Merlot pour nous avoir donné la possibilité de partager son mémoire auprès de notre communauté et d'avoir répondu si brillament à nos questions !