Auschwitz, l'usine de mort

13 août 2013 par Lagaf013 | Histoire

Carte des 3 camps d'Auschwitz. Les noms des villes sont en allemand. Par Walké, source : http://commons.wikimedia.org/wiki/File%3ACarte_Auschwitz.svgCrée le 27 avril 1940 par Heinrich Himmler et dirigé par les SS, Auschwitz, situé en Pologne, est le camp de concentration le plus connu au monde. Aux yeux du monde entier, le camp de concentration et d'extermination nazi d'Auschwitz est le symbole de l'Holocauste, du génocide et de la terreur.

Créé par les nazis, il était constitué de 3 camps. Il s'agissait d'un immense complexe avec deux, puis trois camps principaux ainsi que plusieurs "annexes". Le camp était prévu pour ceux que le régime nazi estimait dangereux : suspects de résistance, hommes politiques, intellectuels ainsi que des prisonniers de guerre soviétiques (considérés comme des «sous-hommes»), des Allemands condamnés par les tribunaux, des prisonniers politiques, ainsi que ce que les nazis appelaient des « éléments asociaux » (Tziganes, prostituées, homosexuels, handicapés, Juifs).

L'expulsion de la population locale

En 1940, les Allemands procédèrent à l'expulsion des habitants de tout un quartier de la ville, où fut construit le camp. Les habitants de huit villages situés à proximité subirent le même sort. Dans la ville et dans ses alentours, environ 1 200 maisons furent détruites. Près du camp furent installés les services techniques, des ateliers de travail, des magasins, des bureaux ainsi que des logements pour le personnel. Une partie des habitations ayant appartenu aux expulsés fut attribuée aux officiers et aux sous-officiers SS qui souvent y vivaient avec toute leur famille.

Les entreprises industrielles locales furent reprises par les Allemands qui en agrandirent certaines et en détruisirent d'autres, pour créer de nouvelles usines qui travaillaient pour les besoins de l'industrie de guerre du IIIe Reich. Les autorités allemandes leur fournirent la main d'œuvre, environ 11 000 ouvriers, essentiellement polonais, russes, français et belges qui furent employés notamment dans l'immense usine de produits chimiques.

Auschwitz 1 - le camp principal

Entrée d'Auschwitz I avec l'inscription Arbeit macht frei (le travail rend libre). Photo de Bibi595, source : http://commons.wikimedia.org/wiki/File:Auschwitz-Work_Set_Free-new.JPGOuvert le 22 mai 1940, le camp principal fut le premier créé. Utilisé par les SS qui ne cessèrent d'étendre le camp en utilisant le travail forcé des détenus, les premiers prisonniers furent des Allemands. Auschwitz possédait une chambre à gaz et un four crématoire. Une chambre à gaz improvisée fut créée dans les sous-sols de la prison du camp. Elle resta en activité jusqu'en octobre 1942. Une deuxième chambre à gaz, plus grande, fut ensuite construite dans le bâtiment du crématoire.

Plus tard, les premiers prisonniers polonais arrivèrent, des opposants politiques socialistes ou communistes pour la plupart. En 1940, entre 13.000 et 16.000 personnes étaient détenues, le nombre atteignant environ 20 000 personnes en 1942, plus de la moitié mourant à la suite de traitements inhumains et de tortures infligés par les gardiens SS. Après l'invasion de l'U.R.S.S., Hitler renvoya les prisonniers de guerre soviétiques vers Auschwitz, ce qui modifia les plans initialement prévus par Himmler. L'agressivité à l'égard de ces derniers était particulièrement élevée, étant ainsi les plus maltraités de tous les prisonniers. Lorsque les troupes allemandes pénétrèrent en U.R.S.S., elles abattirent toutes les populations juives sans distinction d'âge,  quand soudain, en août 1941 des officiers se plaignirent de cette tâche "barbare et déshumanisante".

Les détenus étaient surveillés par des "kapo", recrutés parmi les prisonniers allemands les plus violents, catégorisés par un symbole cousu sur leur tenue de prisonniers : juifs, prisonniers politique, etc… Les prisonniers travaillaient pendant six, voire sept jours par semaine. Le dimanche était en principe réservé à la "toilette personnelle" même si l'absence d'hygiène, la malnutrition et les mauvais traitements causèrent rapidement de nombreux décès. Pour les SS, Auschwitz était un camp de travail, les prisonniers valides devaient travailler, ceux qui étaient malades ou blessés étaient fusillés. Des exécutions furent aussi le fait des médecins du service d'euthanasie du Reich : ceux qui étaient chargés de tuer les handicapés mentaux et physiques.

Enfants rescapés d'AuschwitzAlors qu'Hitler décida de l'extermination de masse, Rudolf Höss, responsable du camp, cherchait à trouver d'autres modes d'exécutions plus rapides. Le nombre augmenta alors considérablement, Rudolf étant chargé par Hitler de préparer Auschwitz à trouver une solution pour l'extermination de masse. [En observant les précautions que nécessitait le pesticide utilisé pour nettoyer les baraquements, l'idée vint à l'assistant de Höss d'employer le Zyklon B. Höss satisfait de la méthode, décida de la généraliser. Le Zyklon B était un pesticide connu et utilisé couramment dans l'armée allemande. Le camp d'Auschwitz en possédait de grandes quantités en stock, pour nettoyer un baraquement de la vermine qui l'infestait, rats et cafards. Pour cela, il fallait en faire sortir tous les prisonniers, fermer hermétiquement toutes les ouvertures et répandre les cristaux du pesticide sur le sol. En septembre 1941 le produit fut testé sur des prisonniers de guerre soviétiques, le produit se révélant mortel même en très petite quantité. Les SS ajoutèrent des ventilateurs pour accélérer la ventilation après le gazage. Ils installèrent également des colonnes percées de trous, où le produit était versé depuis le toit par un soldat. Des fosses furent transformées en bûchers pour brûler les corps arrosés de gasoil.

En 1942, les femmes arrivèrent à Auschwitz et servirent pour les expériences de stérilisation. Plus tard, Sur les ordres d'Heinrich Himmler, un baraquement fut transformé en bordel pour récompenser les détenus méritants...

Auschwitz II - Birkenau

Entrée de Birkenau (Auschwitz II), vue depuis l'intérieur du camp. Photo prise le 27 janvier 1945 par Stanislaw Mucha.Ouvert le 8 octobre 1940, le camp d'Auschwitz-Birkenau d'une capacité d'environs 100.000 détenus et situé à 3 km d'Auschwitz, comprenait principalement le centre d'extermination et un gigantesque camp de travail forcé. Il accueillait principalement des prisonniers de guerre russes, des juifs et des Tziganes. Divisé en trois parties, celle des femmes, des hommes ainsi qu'une jamais terminée nommé "Mexico", le camp était entouré de grands murs sur lesquels étaient fixés des barbelés électrifiés à haute tension. Quelques détenus désireux de se suicider se jetaient sur ces fils de fer. Birkenau, pensé par Himmler, était destiné à accueillir des prisonniers de guerre soviétiques dans le cadre de l'invasion de l'U.R.S.S. Ce furent ces derniers qui commencèrent à construire les baraquements en briques qui, plus tard, deviendra le camp des femmes.

Défini en 1941, Birkenau était destiné à s'occuper de la "solution finale" de la question juive, ce qui signifiait la mise à mort programmée des juifs d'Europe à l'échelle industrielle. En 1942, les nazis débutèrent la construction de plusieurs complexes de chambres à gaz-crématoires nommés (K II, K III, K IV et K V, K I étant à Auschwitz I). Au début, ce fut dans 2 anciennes fermes situées à proximité du camp et transformées en chambres à gaz, que des juifs déportés de France depuis la gare du Bourget et la gare de Bobigny, furent tués. Après plusieurs jours passés dans des wagons à bestiaux, les détenus arrivaient de toute l'Europe à Birkenau quand ils ne mourraient pas de soif, de faim, de maladie ou, pour certain, asphyxiés.

Plan d'Auschwitz II Auschwitz Birkenau. Source : manuel de première Magnard 2011Au printemps 1944, la voie du chemin de fer fut prolongée jusqu'à l'intérieur de Birkenau où les détenus arrivaient aux dispositifs de gazage, pour ensuite subir la « sélection » : d'un côté les faibles, les personnes âgées, les malades, les femmes enceintes, les enfants destinés à être gazés immédiatement, de l'autre, les adultes de plus de 15 ans, les plus valides, que les SS destinaient à la mort par le travail forcé.  A leur arrivée les détenus étaient mis à nu, rasés, tatoués, dépossédés de leurs biens qui étaient ensuite envoyés, pour la plupart en Allemagne. Ils entraient alors dans une chambres à gaz avec installation sanitaire factice qui pouvaient accueillir environs 1400 personnes pour les plus grandes, environ 750 pour les plus petites.

Le 15 mai 1944, alors que la Wehrmacht prenait le contrôle de la Hongrie, environ 440.000 Hongrois furent déportés jusqu'à Auschwitz-Birkenau. 250.000 d'entre eux moururent, le reste contraint au travail forcé. Le 7 octobre 1944, 250 prisonniers responsables des corps après le gazage, membres du « Sonderkommando », se soulevèrent. Ils avaient réussis à se procurer des explosifs pour détruire partiellement le crématoire IV. Après l'explosion ils coupèrent les barbelés et s'enfuirent dans la forêt, une grande partie fut par la suite tuée, très peu réussissant à survivre.

Auschwitz III - Monowitz-Buna

Les usines de la Buna, construites en avril 1941 sur le site de Monowitz. Mémorial de la Shoah/CDJCOuvert le 31 mai 1942, Auschwitz III ou Monowitz-Buna, était un camp de travail forcé pour la société IG Farben produisant du caoutchouc synthétique (Buna) mais qui resta inachevé. Ce dernier comprenait une forte composante d'extermination. Il comportait environ 12.000 prisonniers, juifs en grande majorité, mais aussi des prisonniers politiques qui recevaient des tâches moins lourdes.

Le camp de la Buna était dirigé par des civils de chez IG Farben en coopération avec la SS. Il s'agissait d'une société allemande qui produisait de nombreux produits chimiques dont le Zyklon B. L'usine était presque entièrement construite par les prisonniers afin qu'il puisse y travailler, même si ces derniers ne recevaient que le minimum en matière d'outillage, nourriture et logements.

Le flux constant de nouveaux arrivants remplaçait les morts par épuisement. Monowitz-Buna, devint le plus grand camp de travail forcé d'Auschwitz d'où IG Farben investit plus de 700 million de marks. Les conditions de travail inhumaines et le renvoi des inaptes à la chambre à gaz, firent entre 25.000 et 35.000 victimes.

Libération du camp

Prisonniers libérés du camp d'Auschwitz le 27 janvier 1945.Le 27 janviers 1945, l'armée rouge libéra Auschwitz ainsi que ses annexes. Au dernier appel avant la libération, ils étaient 67.000 détenus, dont 31.000 pour Auschwitz 1 et 2 et 36.000 pour les annexes de Monowitz.

Aussi longtemps que cela fut possible, les nazis continuèrent l'extermination, la fin des travaux d'agrandissement d'Auschwitz I et Birkenau ne prenant fin qu'en 1944. Les travaux d'extension de certaines annexes ne prirent fin quant à eux que peu de temps avant la libération. En novembre 1944, les crématoires (K II, K III et K V) furent dynamités, le crématoire K IV étant inutilisable depuis octobre à la suite d'une révolution du Sonderkommando.

Avant cela, les nazis détruisirent toute trace de crime et d'horreur qu'ils avaient commis, assassinant les témoins oculaires du génocide et surtout les juifs qui avaient travaillé dans les crématoires. Ils prirent soin de nettoyer et recouvrir de terre les corps.

En tout, 1.300.000 personnes furent déportées jusqu'à Auschwitz, 1.100.000 y trouvèrent la mort… Parmi eux il y eut environ :

  • 960.000 juifs
  • 70.000 Polonais non-juifs
  • 21.000 Tziganes
  • 15.000 prisonniers de guerre soviétiques
  • 10.000 à 15.000 détenus d'autres nationalités

Témoignages

Elie Wiesel décrit une scène qui s'est produite lors de l'évacuation du camp vers Buchenwald :

« Dans le wagon où le pain était tombé, une véritable bataille avait éclaté. On se jetait les uns sur les autres, se piétinant, se déchirant, se mordant. Des bêtes de proie déchaînées, la haine animale dans les yeux ; une vitalité extraordinaire les avait saisis, avait aiguisé leurs dents et leurs ongles. » Un groupe d'ouvriers et de curieux s'était rassemblé le long du train. Ils n'avaient sans doute encore jamais vu un train avec un tel chargement. Bientôt, d'un peu partout, des morceaux de pain tombèrent dans les wagons. Les spectateurs contemplaient ces hommes squelettiques s'entre-tuant pour une bouchée. Un morceau tomba dans notre wagon. Je décidai de ne pas bouger. J'aperçus non loin de moi un vieillard qui se traînait à quatre pattes. Il venait de se dégager de la mêlée. Il porta une main à son cœur. Je crus d'abord qu'il avait reçu un coup dans la poitrine. Puis je compris : il avait sous sa veste un bout de pain. Avec une rapidité extraordinaire, il le retira, le porta à sa bouche. Ses yeux s'illuminèrent ; un sourire, pareil à une grimace, éclaira son visage mort. Et s'éteignit aussitôt. Une ombre venait de s'allonger près de lui. Et cette ombre se jeta sur lui. Assommé, ivre de coups, le vieillard criait :

- Méir, mon petit Méir ! Tu ne me reconnais pas ? Je suis ton père... Tu me fais mal... Tu assassines ton père... J'ai du pain... pour toi aussi... pour toi aussi...

Il s'écroula. Il tenait encore son poing refermé sur un petit morceau. Il voulut le porter à sa bouche. Mais l'autre se jeta sur lui et le lui retira. Le vieillard murmura encore quelque chose, poussa un râle et mourut, dans l'indifférence générale. Son fils le fouilla, prit le morceau et commença à le dévorer. Il ne put aller bien loin. Deux hommes l'avaient vu et se précipitèrent sur lui. D'autres se joignirent à eux. Lorsqu'ils se retirèrent, il y avait près de moi deux morts côte à côte, le père et le fils. J'avais quinze ans. »

Elie Wiesel, « La Nuit », Paris, Éditions de Minuit, 1958

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Henri Wolff fut arrêté, avec ses parents, lors de la rafle du 26 août 1942. Voici son témoignage…

« Je vais fêter mes soixante-douze ans bientôt. J'étais donc âgé de quatorze ans au moment de l'exode de 1940.

Les hasards de l'exode, des routes encombrées et d'une vieille voiture poussive qui rendit l'âme, fut l'unique raison pour laquelle nous nous sommes arrêtés et restés à Saint-Hilaire-le-Château. Nous y avons habité jusqu'à notre déportation. Le maire nous attribua une habitation, puis, quelques mois plus tard, une petite maison « aux Combes » par Saint-Hilaire-le-Château.

« Les Combes », ce petit village d'une quinzaine d'habitations et ceux qui y demeuraient : les Talabot, les Montegudet et tous les autres, nous ont tout de suite acceptés, aidés, pris en amitié, soutenus et respectés. Les « Combes » furent pour nous un havre de paix et de chaleur. Nous en avions bien besoin. Nous étions Juifs, étrangers, et sans grandes ressources, de surcroît.

Et puis vint le jour, en 1941, je suis incapable de me souvenir de la date, où le secrétaire de la mairie est venu : « je dois recenser tous les Juifs du canton, et vous avez à remplir un questionnaire ». Ma mère lui répondit : « nous ne vous avons jamais dit que nous étions juifs ». Le secrétaire de mairie : « mais moi je le sais, vous ne voulez pas remplir le questionnaire ? Je le ferai ».

Mon père, très rapidement, fut requis au G.T.E. (groupement des travailleurs étrangers). Pour mémoire, les GTE, véritables travaux forcés, furent créés par le gouvernement de Vichy. Y furent incorporés des républicains espagnols et des Juifs.

Mon père fut envoyé à Neuvic d'Ussel en Corrèze et travailla à l'extraction de la tourbe du plateau de Millevaches.

Quant à ma mère et moi, assignés à résidence, obligés de pointer à la gendarmerie de Pontarion, et ce très régulièrement, avons travaillé à la ferme. Le moins que l'on puisse dire, c'est que les dits gendarmes manquaient de la plus élémentaire courtoisie à notre égard. Il est vrai que nous étions des Juifs. Pas grand-chose ne nous fut épargné : attente prolongée au pointage à la gendarmerie, interrogatoires soupçonneux. Je circulais à vélo. Dès qu'ils me voyaient, ils m'arrêtaient : interrogatoire, vélo scrupuleusement inspecté, etc.

Jusqu'à ce 26 août 1942. Ce jour-là, sur ordre du gouvernement de Vichy, près de 7000 Juifs furent livrés aux Allemands. Je vous rappelle que ce furent les seuls Juifs en Europe envoyés dans les camps d'extermination, après avoir été arrêtés dans un territoire non occupé par les Allemands, la Creuse faisant partie de la zone libre.

Cinq gendarmes de Pontarion sont venus vers quatre heures du matin. Ils octroyèrent à ma mère un quart d'heure pour remplir une valise. Quant à moi, voulant sortir pour satisfaire un besoin naturel, je reçus du gendarme Magnol qui conduisait cette héroïque expédition une paire de gifles. Des coups, j'en ai reçu beaucoup là-bas, mais cette humiliation-là, je ne l'ai jamais oubliée.

Ils nous amenèrent à Boussac, petit camp de transit installé dans une cartoucherie désaffectée. Nous y sommes restés quelques heures et à la nuit tombante, départ vers le camp de Nexon.

Nexon, de par son étendue, 2ème camp d'internement français, gardé par la police, la gendarmerie et la milice : tous français. Les Allemands n'y ont pratiquement jamais mis les pieds.

Nexon : 600 à 800 prisonniers parqués dans une douzaine de baraques. 24 latrines dans un camp où ont régné du début à la fin en permanence dysenterie, diphtérie, typhoïde. 60 robinets situés sur le terre-plein du camp, souvent gelés l'hiver ; et n'oublions pas les 3 douches, je le répète pour 600 à 800 internés. Nexon, où nous avons retrouvé mon père, que les gendarmes avaient amené de Neuvic-d'Ussel. Là, à l'intérieur du camp, il reçut son acte de libération des GTE. Vichy le libérait des travaux forcés pour l'envoyer vers la mort. Nous avons reçu aussi la visite d'un fonctionnaire de Vichy qui nous assura que nous serions convenablement traités, envoyés en Allemagne ou en Pologne et serions astreints au travail de la terre, mais que les familles ne seraient pas dispersées. Il nous proposa aussi de lui remettre nos biens : argent, objets de valeur, bijoux, qui nous seraient intégralement remis à la fin de la guerre. Je me souviens de la réflexion de ma mère : « l'essentiel c'est que nous restions ensemble ». Nous sommes restés un jour et une nuit à Nexon et ce fut le départ vers Drancy. A la ligne de démarcation, nous attendait la Feldgendarmerie allemande, prenant le relais de la gendarmerie française. Une journée à Drancy et le départ vers l'enfer.

Le départ vers l'enfer pour moi, le voyage vers la mort pour mes parents.

Le convoi n° 26 partit le 29 août et arriva à Auschwitz le 2 septembre 1942. Le voyage dura quatre jours et trois nuits, entassés une centaine par wagon à bestiaux. Dans un coin : deux seaux ; l'un servant de tinette, l'autre contenant de l'eau. La chaleur y était infernale.

26ème convoi : 1005 Juifs partis de Drancy ; 987 vivants à l'arrivée. 18 des nôtres étaient morts pendant le trajet. A Auschwitz les SS ont ouvert les portiques des wagons. Ils ont sorti 12 hommes et 27 femmes, tous très jeunes. Les wagons se sont refermés. Le regard de ma mère, je ne l'ai jamais oublié. Elle était belle ma mère, blonde, des yeux très clairs remplis de larmes, une robe bleue à pois rouges. Elle avait trente-six ans et il lui restait trente-six heures à vivre.

Les chambres à gaz fonctionnant depuis peu n'étaient pas encore performantes. Au gaz Zyklon B, ils ajoutaient les fumées de pots d'échappement.

On a retrouvé le livre de bord de la SS : le « KALENDARIUM ». Il a été édité en allemand, puis en polonais, mais malheureusement pas en français. On y lit : convoi n° 26 : 957 Juifs, 918 gazés, et ce commentaire du docteur SS Kramer : « Pour la première fois à quatre heures du matin j'ai regardé le fonctionnement de la chambre à gaz. En comparaison, l'enfer de Dante n'est rien ». Ma mère était parmi les gazés. Je ne sais pas quand mon père a disparu. »

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L'Armée Rouge libérait le camp d'Auschwitz. Léon Lehrer, survivant du camp, témoigne...

« Je suis né en 1920 à Paris de parents juifs. En 1942, devant la menace de grandes rafles, je pars à Toulouse en zone libre, mais, en novembre, l'Allemagne envahit complètement la France. Un an plus tard, je suis arrêté par la Milice française, incarcéré à la prison Saint Michel, puis transféré à Drancy. A cette époque, ce camp est formé de grands bâtiments dont les ‘chambres' n'ont ni porte, ni fenêtre ce qui est horrible avec le vent glacial de l'hiver ; et le sol est encore ‘brut de béton'. 

En Janvier 1944, je suis déporté pour ‘je ne sais où'. Dès la gare de Bobigny, je découvre la barbarie nazie, j'assiste à un premier assassinat. Tandis que les gendarmes français poussent brutalement les déportés dans les wagons à bestiaux, un soldat nazi tue à coup de crosse une petite fille sortie du rang pour ramasser sa poupée qu'elle avait fait tomber, puis exécute la mère d'un coup de fusil.

Le voyage en train est un enfer. Nous sommes 60 à 80 par wagon, debout, serrés les uns contre les autres sans pouvoir bouger ni évidemment nous asseoir. Nous manquons d'air, de lumière, nous avons trop chaud (nous sommes très couverts car c'est l'hiver), et la soif commence à nous torturer. A cela vient s'ajouter la puanteur : chacun fait ses besoins là où il est. Peu à peu le silence s'installe car on ne peut plus parler (notre langue semble épaissie) ni pleurer (nos larmes se sont taries). A ma grande honte, pour pouvoir me reposer, je m'assois, comme les autres, sur ceux qui meurent ! Je rêve de pouvoir remuer et respirer !

Au bout de 3 jours et 2 nuits, la porte s'ouvre. C'est une vision d'apocalypse ! Il fait noir et très froid ! Des projecteurs balaient le quai d'une lumière violente et le sol est recouvert d'un tapis blanc. La neige pénètre en bourrasques dans nos wagons. On entend des cris et des aboiements. Ce sont les SS qui se rapprochent. Ils tiennent leurs chiens en laisse et nous donnent des ordres que nous ne comprenons pas. Ceux qui peuvent faire un effort sautent sur le quai, les autres sont mordus par les chiens et jetés dehors par les nazis.

Un interprète nous informe que nous devons nous séparer en 2 groupes : les hommes d'un côté, les femmes et les enfants de l'autre. Les cris et les pleurs recommencent car les familles ne veulent pas se séparer mais le commandant donne des coups de trique et lâche les chiens sur ceux qui ne veulent pas obéir. Les femmes et les enfants sont donc obligés de monter le plus vite possible dans des camions. On ne les reverra plus.

Les hommes eux-mêmes sont séparés en deux groupes. Seuls les jeunes sont ‘sélectionnés' et doivent partir à pied. Pour nous faire avancer rapidement, alors que nous sommes complètement épuisés et frigorifiés, les soldats nous donnent des coups de schlague. Au bout de deux heures, nous arrivons dans un grand champ de neige pas très loin d'une longue baraque. Nous devons nous mettre complètement nus dehors, dans le froid. C'est à ce moment que je reçois mon premier coup de crosse…car j'avais gardé mes lunettes ! Le sang coule sur mon visage, je ne vois plus de l'œil droit. 

Des déportés en pyjamas rayés arrivent alors pour ramasser nos affaires, et nous font entrer dans le bâtiment. On nous donne l'ordre de monter sur un banc et d'autres pyjamas rayés nous rasent des pieds à la tête. Puis, on nous demande de nous asseoir et de tendre le bras gauche : nous sommes tatoués. Le numéro que je dois maintenant connaître par cœur en allemand est le 172 749… mais je ne l'apprends pas assez vite pour obtenir le café chaud qui nous est distribué après.

Nous recevons un pantalon, une veste, une paire de sabots, et on nous emmène dans notre baraque. Le chef de block, un interné de droit commun, hurle qu'il faut toujours obéir très vite à ses ordres et pour que nous comprenions bien ses dires frappe comme un sauvage avec son gourdin un pauvre type qui n'avait rien fait, avant de l'étrangler avec le manche d'une pelle… c'est notre premier jour à Auschwitz !

Dès le lendemain, après l'appel, je dois travailler : poser des rails en pleine campagne. Nous sommes à plusieurs pour soulever une longue pièce de fer mais c'est quand même très difficile à saisir, très lourd, et nos mains collent sur le métal froid. Je me rends rapidement compte que je ne tiendrai pas longtemps si je continue ce travail c'est pourquoi je précise à mon Blockmeister que je suis électricien. Je ne veux pas finir dans la chambre à gaz… que j'ai découverte en montant une petite hauteur près de la voie ferrée. J'ai vu un camion arriver, des femmes et des enfants s'engouffrer dans un bloc de désinfection et disparaître à jamais. J'ai vu des déportés aligner ensuite les cadavres, tondre les cheveux des femmes et prendre les dents en or. Je n'ai jamais oublié l'odeur, la puanteur ne m'a jamais quitté !

Si je m'en suis sorti c'est que j'ai été appelé dans un centre industriel en construction, la Buna. Pour vérifier si j'étais bien électricien, un ingénieur allemand m'a demandé de compléter le schéma d'une installation électrique. J'ai donné le change en suivant le tracé des fils avec un crayon à papier et en parlant tout le temps…en Français… alors qu'il ne parlait que l'Allemand. Cela m'a permis de survivre 11 mois !

A 89 ans, je veux continuer à témoigner pour faire comprendre aux jeunes la barbarie des nazis. Je suis toujours aussi révolté contre toute forme de fascisme

  • Lagaf013 Historien

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