Récit

Moyen-âge

Bataille de Morgarten

Sydfire
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8 décembre
2017

Bien souvent, lorsque nous sommes confrontés à la Suisse à travers les médias, nous repensons aux clichés actuels : un pays qui a amassé sa richesse grâce à l’or nazi ; un pays qui prospère grâce à son tourisme et ses montres. Un pays qui prône une neutralité armée stricte. Mais est-ce vraiment le cas ? Est-ce que les petits suisses (à l’exception du fromage français de Normandie) n’ont-ils pas une histoire à travers laquelle s’est forgée leur identité nationale et par conséquent solidifier une démocratie remarquable ?

Les Helvètes apparaissent déjà dans la littérature antique dans la Guerre des Gaules de César et sont décrits comme un peuple combatif et de grandes bravoures. « Oui mais les Suisses n’ont jamais combattu qui que ce soit ! », eh bien c’est faux. De nombreux conflits ont impliqué les Suisses à se rebeller, à se défendre voire à servir une cause politique ou religieuse. Je présente de manière brève quelques combats notoires.

Premièrement la bataille de Sempach en 1386 qui oppose le duché d’Autriche (ancien fief du Saint-Empire romain germanique) sous le commandement de Léopold III de Habsbourg face aux armées lucernoises alliées aux cantons d’Uri, de Schwytz et d’Unterwald (victoire des Suisses). Deuxièmement la bataille de Grandson en 1476 qui confronte le duché de Bourgogne et les confédérés (victoire des Suisses).

Lion de LucerneLion de Lucerne, par Lukas Ahorn (entre 1820-1821).

De plus, les mercenaires suisses sont l’une des meilleures structures militaires depuis la Renaissance jusqu’à la fin du XVIIIe siècle. C’est pourquoi si vous vous promenez dans la ville de Lucerne aujourd’hui, vous pourrez tomber sur la sculpture de Lukas Ahorn appelé « le Lion de Lucerne » ou « Löwendenkmal ». Ce mémorial a pour volonté de commémorer le sacrifice héroïque de nombreux soldats du régiment des Gardes suisses face aux révolutionnaires lors de la journée du 10 août 1792.

Alors oui les armées bernoises ont d’ailleurs subi une grande défaite lors de la bataille de Grauholz en 1798 face à l’armée révolutionnaire française dirigée par le général Alexis Balthazar Henri Schauenburg. Oui, les mercenaires suisses ont été massacrés par la puissance d’artillerie des Français à Marignan en 1515.

Mais il est aussi important de citer un conflit interne du pays : la guerre de Sonderbund en 1847. Cette guerre civile a confronté une coalition regroupant sept cantons catholiques conservateurs face aux confédérés qui favorisent une centralisation du pouvoir. Après cela, la Suisse ne sera plus impliquée dans des querelles physiques mais plutôt dans des luttes politiques et bancaires.

Si je rédige cet article, c’est pour illustrer une tactique militaire digne de la bataille de Teutobourg. Oui, vous l’aurez certainement deviné. Je mettrai en exergue la bataille de Morgarten qui a eu lieu le 15 novembre 1315 (au sud de Zürich) lorsque les confédérés suisses attaquent par surprise les troupes du duc Léopold Ier d’Autriche et seigneur des Habsbourg.

Mais alors comment une petite organisation militaire a-t-elle pu déstabiliser à ce point une armée considérable ? Et dans quelle mesure cette situation renverse-t-elle les valeurs d’un ordre social de l’époque ?

Les prémices d’un soutien mutuel

Le pacte fédéral Le pacte fédéral.

C’est le 1er août 1291 que les Waldstätten (les vallées d’Uri, Schwytz et Unterwald) se rassemblent afin de garantir une alliance de paix mutuelle sous forme écrite. Ce parchemin plus communément appelé le « Pacte fédéral » a été ressorti des archives du canton de Schwytz dans les années 1758. Le Conseil fédéral a jugé nécessaire de s’appuyer sur cette source afin de légitimer une fête nationale à partir de 1899.

Le pacte ressort des enjeux historiques et légendes médiévales importantes et devient par la même occasion un symbole d’union face aux menaces extérieures. La traduction latine de la charte fédérale évoque des règles d’émancipation et de conservation commune dans le but de garantir une union durable. Le statut de confédéré émerge pour la première fois.

« AU NOM DU SEIGNEUR, AMEN. C'est accomplir une action honorable et profitable au bien public que de confirmer, selon les formes consacrées, les mesures prises en vue de la sécurité et de la paix. Que chacun sache donc que, considérant la malice des temps et pour être mieux à même de défendre et maintenir dans leur intégrité leurs vies et leurs biens, les gens de la vallée d'Uri, la landsgemeinde de la vallée de Schwytz et celle des gens de la vallée inférieure d'Unterwald se sont engagés, sous serment pris en toute bonne foi, à se prêter les uns aux autres n'importe quel secours, appui et assistance, de tout leur pouvoir et de tous leurs efforts, sans ménager ni leurs vies ni leurs biens, dans leurs vallées et au dehors, contre celui et contre tous ceux qui, par n'importe quel acte hostile, attenteraient à leurs personnes ou à leurs biens (ou à un seul d'entre eux), les attaqueraient ou leur causeraient quelque dommage. Quoi qu'il arrive, chacune des communautés promet à l'autre d'accourir à son secours en cas de nécessité, à ses propres frais, et de l'aider autant qu'il le faudra pour résister à l'agression des méchants et imposer réparation du tort commis. »

Serment du GrütliSerment du Grütli

Mais qu’est-ce qui pousse à une telle alliance ? Et bien, la mort de l’empereur Rodolphe 1er de Habsbourg et les préoccupations de l’époque réunirent les trois cantons d’Uri, Schwytz et Unterwald.

Cet événement historique et fondateur de la Confédération helvétique est souvent associé au serment du Grütli (autre mythe fondateur réunissant trois confédérés).

Les trois cantons associés possèdent ainsi une zone géographique d’intérêt, notamment avec le col du Gothard qui est uniquement accessible par des droits de passage.

Cependant, l’élément déclencheur qui agite les Habsbourg est le conflit des confédérés à l’abbaye d’Einsiedeln en 1313. Cet acte affirme le parti pris pour Louis IV de Bavière au lieu de Frédéric le Bel (frère de Léopold Ier) leur seigneur direct.

Les Habsbourg, piqués dans leur orgueil ?

C’est à partir de novembre 1315, depuis Zoug, que les Habsbourg, dirigés par Léopold Ier d’Autriche, marchent contre les Waldstätten (nom donné aux trois cantons Uri, Schwytz et Unterwald) pour rétablir l’autorité locale.

La volonté de réprimer les cantons se retrouve dans deux prétextes : le contrôle du col du Gothard qui permet un accès à l’Italie et le rétablissement d’un pouvoir dans ces lieux agités.

Cependant, deux choix de chemins s’offrent à Léopold :

  • Le premier serait de longer le lac de Zoug par l’est mais les troupes feraient face aux belliqueux d’Unterwald.
  • Le second qui semble sans danger est d’emprunter le col de Morgarten à l’est du lac d’Aegeri.

C’est cette dernière décision qui fera foi afin de contourner les troupes ennemies et de les prendre au revers. Nous retiendrons un chiffre approximatif de 6000 soldats (dont 2000 chevaliers) du côté des Habsbourg qui marchent avec confiance vers le sud en direction de Schwytz.

La planification tactique des confédérés

Serment du GrütliIllustration de la bataille de Morgarten, parue dans la Tschachtlanchronik (Chronique illustrée de Tschachtlan), terminée en 1470 par les Bernois Bendicht Tschachtlan et Heinrich Dittlinger.

C’est grâce à un réseau interne entre paysans que les informations remontent jusqu’aux oreilles de Werner Stauffacher, commandant d'une troupe de 1500 montagnards.

Par conséquent, il décide de tendre une embuscade depuis la forêt qui surplombe le chemin étroit au bord d’un ravin et du lac d’Aegeri. C’est alors une stratégie efficace qui s’opère.

Tout d’abord, l’armée des confédérés place un barrage afin de prendre en piège l’armée autrichienne. Cette dernière, arrivée à ce point de passage et immobilisée, ne peut réagir à temps face aux attaques des embusqués.

L’avant-garde autrichienne a été soudainement assaillie par des rochers et rondins de bois qui déboulent à toute allure depuis la forêt.

Ne s’attendant pas à une telle attaque, la plupart des chevaliers sont tués sur le coup ou chutent dans le ravin. D'autres, dans le lac, se noient (imaginez-vous dans une eau froide avec une armure lourde).

Les montagnards surgissent de leur poste. Ils sont acharnés et munis de leur hallebarde et anéantissent l’avant-garde restante. Une vraie boucherie ! Face à cette situation chaotique et imprévue, les troupes autrichiennes ripostent de manière désorganisée et se dispersent.

Les confédérés ont su profiter de la connaissance stratégique du terrain afin d’opérer une attaque précise, qui a estomaqué l’ennemi. Ne pouvant réagir à ce grand désarroi, l’armée de Léopold Ier recule et s’enfuit.

Bien que la maison des Habsbourg ait une réelle volonté de reprendre ce territoire, cette humiliante défaite a provisoirement laissé les confédérés en paix. Afin de consolider leur alliance, le pacte de Brunnen est signé en décembre 1315 entre Uri, Schwytz et Unterwald.

Représentation de la bataille de Morgarten par Karl Jauslin (1842-1904), vraisemblablement exagérée.Représentation de la bataille de Morgarten par Karl Jauslin (1842-1904), vraisemblablement exagérée.

Les enjeux historiques qui en ressortent

« Mais finalement que pouvons-nous faire resurgir de ces événements historiques ? » Il s’agit bien là, d’une coalition d’un peuple local qui s’indignent face à leur suzerain. L’ordre en est d’ailleurs bouleversé, ce sont ceux qui sont minoritaires, alliés et libres qui écrasent une force terrifiante, armée et nombreuse.

« L’union fait la force » ou « Unus pro omnibus, omnes pro uno » sont des devises qui peuvent se rattacher à ce contexte. Il faudra néanmoins attendre la moitié du XIVe siècle, avant que d’autres cantons se rallient à la cause des confédérés, créant une alliance par ricochet.

« Mais quelles sont les sources historiques ? » Eh bien, il n’y a pas de sources premières et écrites concernant la bataille de Morgarten. Cependant, la tradition orale a su transmettre, voire transformer quelques éléments afin de vulgariser une histoire qui flirte avec l’imaginaire. Il en est de même pour les légendes suisses comme le récit de Guillaume Tell. Toutefois, les faits historiques ou imaginaires n'enlèvent en rien leur fascination.

Sources

  • Bürgler Edgar Yatchi et Bernardini Gérard, L’affaire du Morgarten : « le temps de la fondation », Carouge : Ed. Lied, 1988.
  • Wiget Josef, Morgarten : Die Slacht und ihre Bedeutung vom Sinn der Morgartenfeier, Schwyz : Kulturkommission des Kantons Schwyz, 1985.
  • Le Pacte fédéral du 1er août 1291 : https://www.admin.ch/gov/fr/accueil/conseil-federal/histoire-du-conseil-federal/pacte-federal-1er-aout-1291.html, consulté en décembre 2017.
  • BazBattles, The Battle of Morgarten 1315 AD : https://www.youtube.com/watch?v=kGZ7Wh3CbTU
  • sydfireSydfire Contributeur
  • "En politique le choix est rarement entre le bien et le mal, mais entre le pire et le moindre mal." Machiavel