Les Bonaparte en Amérique

Da Veenci
6 janvier
2015

Les Bonaparte en Amérique

Tout le monde connaît la famille Bonaparte. Une famille successivement et conjointement italienne, corse et française. De vrais européens en somme ! Oui, mais voilà, vu que rien n'est jamais aussi simple, il a fallu que les deux frères de monsieur Napoléon, Jérôme et Joseph, s'intéressent à cette jeune nation antipathique que sont les État-Unis d'Amérique.

Antipathique, pourquoi donc me direz-vous ? L'Amérique de l'époque n'est pas encore le géant impérialiste que nous connaissons et n'est donc que peu mêlée aux affaires du continent. Certes Louis XVI lui a permis de se libérer du Tyran d'Outre-Manche, certes Lafayette est un héros national -plus là-bas qu'ici d'ailleurs- et certes le régime républicain est d'abord un ami de sa petite sœur d'outre-Atlantique. Bien entendu, tout ne se passe pas comme prévu et le French-Bashing frémit déjà dans le cœur de la jeune démocratie américaine...

Une guerre en carton

Bonaparte franchissant le Grand-Saint-Bernard, par Jacques-Louis David.

Nous sommes à la fin du mois de septembre 1794. On hurle dans les salons de la Convention. La nouvelle vient de tomber, les frères d'Amérique ont trahi ! Ils ont pactisé avec le diable anglais, ils ont trafiqué un traité avec les ennemis du peuple ! Le traité de Londres pour être précis, qui permet à l'ennemi de confisquer les marchandises françaises qui seraient découvertes dans les navires des Ricains et qui reconnaît plus que jamais l'esclavage en Amérique libre ! C'en est trop, on lance les corsaires, une fierté nationale depuis Louis le Grand, et on empêche les navires américains de sortir des ports français ! C'est la guerre ? Eh bien... non ! Désolé de vous décevoir, mais ce demi-conflit pas très glorieux qui dura jusqu'en 1800 tout de même, fut nommé la « Quasi-Guerre ». Une guerre froide en quelque sorte, mais sans missiles de Cuba et sans le Vietnam. On se vole les bateaux mutuellement, on se combat sur mer à l'occasion mais rien d'autre.

Heureusement, le Consulat résout l'affaire et cette pseudo guerre s'achève le 30 septembre 1800, avec le traité de Mortefontaine. On retourne donc au point de départ. Sauf que maintenant tout le monde se hait plus ou moins et qu'il n'est pas question que les Américains nous envoient des troupes pour mater les autocrates européens (plan purement utopique d'ailleurs, même au moment où les relations Franco-Américaines de l'époque étaient au beau fixe).

Jamais deux sans trois

Portrait de Joseph Bonaparte par Joseph Flaugier vers 1809.

Nous nous retrouvons en 1803. Jérôme Bonaparte se marie à New-York avec Elizabeth Paterson, fille d'un riche homme d'affaire du Maryland. C'est sa première femme, ils ont un enfant en 1805, Jérôme Napoléon Bonaparte, qui deviendra un riche homme d'affaire à Baltimore. Mais Napoléon n'approuve pas du tout cette union qui s'est déroulée sans son consentement et le mariage est rompu sur ordre de l'empereur. Voilà qu'encore une fois, ça se finit mal...

Avançons encore un peu dans le temps, et cette fois-ci c'est Joseph Bonaparte (en image ci-contre), le grand frère qui s'en va en Amérique. L'ex-roi d'Espagne ne craint pas la rue, il a fait vendre les bijoux de la couronne espagnole ! Le bonhomme séduit tout de suite la haute-société américaine, et devient l'heureux propriétaire de fermes, de vergers et de terres diverses et variées, où il fait construire en bon Bonaparte qui se respecte, 12 miles de routes ! Autant dire qu'on l'apprécie autant pour son savoir-vivre « à la Française » que pour son portefeuille bien garni. Le bougre se permet même de dire qu'il n'a jamais été favorable à l'établissement d'un Empire Français et qu'il est un farouche républicain. Sans doute cela est-il vrai, mais la couronne d'Espagne tu ne l'as pas conquise seule, lui aurait répondu son ami Nicolas Biddle. Joseph n'en parlera plus, décidément personne ne comprendra sur cette Terre, qu'il n'avait pas l'ambition de son frère. Cultiver un lopin de terre dans le Val-d'Oise lui plaisait davantage que jouer les rois fantomatiques au pays des Conquistadors. Il vivra jusqu'en 1832 à Point Breeze, et retournera finalement en Europe à la mort de sa fille Charlotte. Il posera successivement ses bagages en Angleterre puis en Italie, où il mourra à Florence en 1844, non sans avoir rendu encore deux fois visite à l'Amérique de ses rêves...

Un héritage exceptionnel

Photo de Charles Joseph Bonaparte aux alentours de 1903.

Les Bonaparte en Amérique, c'est une histoire digne d'une tragédie de Corneille, une histoire d'amour, de partage, de découvertes, d'argent et de rois. Mais c'est surtout un héritage. En effet le petit-fils de Jérôme, un certain Charles Joseph Bonaparte (photo ci-contre), sera un des proches du président Theodore Roosevelt et occupera non seulement le poste de ministre de la Marine et celui de ministre de la Justice, mais sera aussi le fondateur du Bureau Of Investigation, le premier nom du fameux FBI ! Fouché aurait été content...

Ensuite, ou plutôt d'abord, Joseph n'aura pas fait que se plaindre et se remplir les poches en Amérique. Il aura été aussi un extraordinaire vecteur de culture, prêtant régulièrement une partie de sa collection privée à des expositions annuelles à Philadelphie ! Faut dire qu'il possédait tout de même le fameux Tarquin et Lucrèce du Titien ou encore le Bonaparte franchissant le col du St-Bernard de David (image ci-dessus) ! Il a été selon beaucoup de ses contemporains, le principal diffuseur de l'art européen en Amérique. Pas mal…

L'ombre d'une doute

Le grand monsieur de la famille, Napoléon, qui a entre autre vendu la Louisiane aux USA, aurait selon les dires d'un grognard exilé, réussi à échapper aux Anglais lors de sa fuite du continent en 1815 et aurait rejoint l'Amérique, où il aurait mené une vie paisible jusqu'à sa mort. Une théorie qui peut sembler fumeuse, mais qui fait rêver... Mais alors, qui serait enterré aux Invalides ?

  • Da Veenci Le Bernard de la Villardière, Ancien membre d'HistoriaGames
  • « Vivant, il a manqué le monde. Mort, il le possède » écrit Chateaubriand à propos de Napoléon.