Le Surcouf, joyau de la Royale

L'Amiral
16 décembre
2016

Malgré certains points décriés de son Histoire, la France a toujours été un pays innovant dans l’art de la guerre. En 1939, ses chars, son artillerie et ses véhicules sont parmi les meilleurs d’Europe. Un retard d’appréciation des stratégies militaires - imputable au Haut Commandement et non au matériel - a amené la défaite des forces françaises en 1940.

La Marine française (surnommée “la Royale”) n’a, elle, pas cessé de faire preuve d’originalité depuis la fin de la Première Guerre mondiale. Malgré les restrictions du traité de Washington de 1922, la France s’est dotée d’une Marine puissante qui, à l’aube de 1939, peut être considérée comme une des plus performantes avec la Royal Navy britannique.

Le croiseur sous-marin, un concept ambitieux

Le Surcouf (du nom du corsaire français des XVIIIème et XIXème siècles, Robert Surcouf, de Saint-Malo) est un sous-marin de la Marine française dont la conception a débuté le 1er juillet 1927. Il adopte très vite un profil bien différent des sous-marins conventionnels. Sa dénomination exacte est d’ailleurs « croiseur sous-marin ». Le terme de croiseur est employé suite à la volonté d’armer le sous-marin de deux canons de 203mm orientés vers l’avant. Cette disposition est tout à fait exceptionnelle et unique : certes les sous-marins étaient alors armés d’un canon d’appoint sur le pont, mais placer deux tubes de 203mm n’était pas dans la norme.

La genèse de ce sous-marin hors du commun remonte au traité de Washington, en 1922. Pour rappel, ce traité régule le développement des marines de guerre. Toutefois, la France a su tirer parti des zones d’ombre de ce traité ; aucune mention n’est faite des sous-marins. La France a donc pu respecter le traité international concernant les navires de surface tout en développant une classe hybride et nombreuse de sous-marins. Le Surcouf faisait partie d’une série de trois engins mais a été le seul terminé.

Son rôle est bien défini : tout d’abord, assurer le ravitaillement mais aussi la présence française dans les colonies d’outre-mer. Il est important pour la France, dans l’entre deux guerre, de montrer aussi bien à ses alliés qu’à ses ennemis potentiels qu’elle peut défendre ses colonies de manière furtive et rapide.

Le second rôle du Surcouf est bien entendu celui de détruire les navires adverses, tout en ramenant au goût du jour un concept très ancien dans la Marine : la guerre de course. Le Surcouf est donc un corsaire des temps modernes, et son utilisation ne diffère pas de la technique des autres nations. La furtivité du sous-marin doit permettre la mise à mal des flottes commerciales des pays ennemis afin de les étouffer économiquement.

Mais les deux canons de 203mm ne sont pas les seules spécificités du Surcouf : il embarque aussi un hydravion pour procéder à des vols de reconnaissance. Ses douze tubes lance-torpilles lui permettaient de se placer au rang des sous-marins les plus puissants pour l’avant-guerre.

Armé le 16 avril 1934, il embarque 126 hommes d’équipage. Il peut plonger jusqu’à 80 mètres de profondeur, et sa vitesse en surface s’élève à 19 noeuds (35km/h) et 9 noeuds (17km/h) pour la plongée.

Ce sous-marin est donc pour l’époque une « anomalie » dans le paysage militaire, et les ingénieurs français sont les pionniers dans la construction de ce type de sous-marins. Les questions techniques sont très complexes : comment assurer l'étanchéité de la tourelle de 203mm ? Comment assurer le déploiement et la récupération de l’hydravion ? Toutes ces questions ont amené une refonte du sous-marin à la rade de Brest jusqu’en 1937.

Le Surcouf, joyau de la Royale

Le Surcouf commence la guerre avec quelques défauts

La mise en place des canons de 203mm sur le sous-marin a été un véritable défi. Normalement installés sur le pont d’un croiseur, ces pièces d’artillerie ont dû bénéficier du strict minimum pour leur fonctionnement. Il en résulte quelques soucis d’utilisation de ces canons :

  • Premièrement, le sous-marin doit être totalement en surface pour tirer. Or, sa silhouette est plus facilement repérable qu’un autre sous-marin, et le Surcouf met environ 3 minutes 30 pour émerger.
  • Deuxièmement, l’outil de calcul de tir (le télémètre) est situé trop bas par rapport à son utilisation optimale (qui se fait sur un navire) : le Surcouf ne peut donc tirer qu’à 16 000 mètres, alors que les canons de 203mm ont une portée de 26 000 mètres.
  • Troisièmement, l’organisation interne du sous-marin fait que le réapprovisionnement des tourelles ne peut se faire que toutes les 14 salves (c’est-à-dire quand la soute à munitions est vide).
  • Enfin, le Surcouf ne peut pas tirer de nuit : il n’a pas les instruments nécessaires.

D’autres problèmes mineurs apparaissent suite au fonctionnement mais ils ne remettent pas en cause l’efficacité du bâtiment.

La guerre rattrape le Surcouf qui est alors en carénage (en révision) à Brest. Ne souhaitant pas tomber aux mains des Allemands, le capitaine de frégate Martin fait appareiller le Surcouf et le dirige sur Plymouth, sans pièces de rechange et incapable de plonger.

C’est alors qu’un premier drame émaille l’histoire du Surcouf : le 3 juillet 1940, lors de la saisie des navires français par les Britanniques (de peur qu’ils retournent en France servir Vichy), un marin français et trois marins britanniques perdent la vie à bord du Surcouf. Le navire passe alors sous pavillon français libre et est envoyé à Portsmouth, aux Etats-Unis, pour y être modernisé.

Le 24 décembre 1941, sa première mission sous pavillon des Forces Navales Françaises Libres consiste à rallier Saint-Pierre-et-Miquelon à la France Libre. Le Surcouf est alors vu par la France Libre comme un moyen de vanter la puissance de sa Marine, et l’ingéniosité française, tout en lui permettant de se tailler une part de responsabilités dans les opérations de guerre.

En effet, le sous-marin étonne aussi bien Alliés qu’Allemands. À la fin de la guerre, les Japonais lanceront le projet de sous-marins géants, la série I-400. Les sources ne notent pas de lien tangible entre le Surcouf et ces sous-marins, mais de nombreuses similitudes peuvent faire penser à une inspiration du sous-marin français.

Le Surcouf, joyau de la Royale

La dernière mission du Surcouf, toujours pas tranchée aujourd’hui

De par sa mobilité et son autonomie, le Surcouf est envoyé patrouiller au delà des mers. Le 12 février 1942, le croiseur sous-marin appareille des Bermudes et va patrouiller dans la mer des Caraïbes. Dans la nuit du 18 au 19 février 1942, l’Amirauté perd tout contact avec le Surcouf au nord du canal de Panama. Plusieurs hypothèses sont alors mises en exergue :

  • Les Américains font le lien entre la collision de leur cargo Thomson Lykes et la perte du Surcouf. Ce dernier n’était pas équipé de schnorkel lui permettant de recharger ses batteries en état de plongée, il devait passer les nuits en surface. Le cargo américain l’aurait percuté, le faisant sombrer.
  • Un rapport français publié bien plus tard engage la responsabilité des Américains. Devant la hantise de la présence d’un sous-marin nazi ou japonais dans la mer des Caraïbes, ces derniers mobilisent des hydravions Catalina pour surveiller les flots. Le Surcouf naviguant sans feux de signalisation, un hydravion américain l’aurait confondu avec un sous-marin de l’Axe et l’aurait envoyé par le fond.

Aucune hypothèse n’est validée, mais la deuxième est préférée par certains historiens, notamment parce que les témoignages du Thomson Lykes (notamment à propos des dimensions du sous-marin percuté) ne concordent pas avec les dimensions du Surcouf. De plus, les Allemands n’ont pas signalé de perte de sous-marin dans ce secteur à ce moment. Or, l’hydravion américain a bien coulé un sous-marin.

Indubitablement, pour certains historiens, le Surcouf a été coulé par méprise par l’hydravion américain, et la thèse de la collision aurait été faite pour les disculper.

Une théorie plus extrême est mise en avant : les Américains, craignant l’intrusion de ce puissant sous-marin français dans leurs eaux et ne faisant pas totalement confiance aux FNFL, auraient coulé le Surcouf sciemment. Mais cette dernière théorie ne fait pas l’unanimité et n’est que peu probable.

Le Surcouf, joyau de la Royale

Conclusion

Le Surcouf est sans contestation un monstre sous-marin de la Royale. Son développement inaugure une ère d’innovations pour les sous-marins, mais son côté hybride ne permet pas de remplir aussi bien les missions que sur le papier.

Le placement des canons de 203mm était certes osé, mais pourquoi placer un armement si puissant sur un navire qui ne peut pas rivaliser au niveau du blindage avec un surfacier ?

Enfin, sa carrière n’a pas pu s’envoler car le croiseur sous-marin n’a été utilisé que via des démonstrations de force pour la France Libre, en manque cruel de considération par ses alliés. Il est toutefois fort possible que la présence du Surcouf dans les FNFL a fait remonter ces dernières dans l’estime des Britanniques et des Américains, mais sa fin tragique a fait couler beaucoup d’encre.

De nos jours, le doute demeure sur la réelle fin du Surcouf, et seule subsiste une plaque commémorative sur la jetée du port de Cherbourg en mémoire des 130 marins disparus dans la nuit du 18 et 19 février 1942.

Source

  • Claude Huan, Le croiseur sous-marin Surcouf (1926-1942), éditions Marines, 1996.
  • Witz Rédacteur, Testeur, Chroniqueur, Historien
  • « L'important n'est pas ce que l'on supporte, mais la manière de le supporter » Sénèque