1942, tournant de la guerre ?

Sancho de Cuba
10 mars
2014

« Ce n'est pas la fin. Ce n'est même pas le commencement de la fin. Mais, c'est peut-être la fin du commencement. » Churchill, discours du 10 Novembre 1942.

La fin de l'année 1942 est souvent présentée comme le tournant de la Seconde Guerre mondiale. Ce sentiment est partagé par les Alliés de l'époque, civils comme militaires, conscient du basculement qui est en train de se dérouler. En revanche, cette impression est-elle partagée par l'ensemble des protagonistes notamment les forces de l'Axe et les populations civiles sous leur contrôle ?

En plus de ce questionnement, il faut se demander si les défaite des forces de l'Axe n'étaient pas, dans une certaine mesure, jouées d'avance indépendamment de la conscience que les sociétés avaient de leur propre histoire. Ainsi, l'automne 1942 serait l'aboutissement d'un processus mis en place auparavant.

1942 : année du tournant

De 1939 jusqu'à 1942, les forces de l'Axe ont réussi à s'emparer de l'Europe (Hitler veut défaire les forces françaises pour se venger de la défaite de 1918), défaire les troupes britanniques en Afrique (en effet, Mussolini caresse le désire de reconstituer un empire à l'image de la Rome antique et décide de se lancer à l'assaut de l'Afrique) et contrôler une bonne partie de l'U.R.S.S. (Hitler veut transformer les territoires soviétiques en immense colonie allemande). De plus, Les forces britanniques et américaines reculent dans le Pacifique face aux forces japonaises. Néanmoins, les puissances de l'Axe subissent simultanément une série de défaite lors de batailles qui se sont déroulés entre juin 1942 et février 1943.

Le 28 juin 1942, les divisions allemandes se lancent à l'assaut du sud de l'U.R.S.S. avec pour objectif les champs de pétrole du Caucase. Ils arrivent jusqu'au bord de la Volga à Stalingrad, centre industriel et carrefour par lequel transite de nombreuses ressources, et y entament un combat de rue inouïe, où chaque bâtiment fait l'objet de combats. La défense acharnée des Soviétiques use les forces allemandes.

En Afrique, à partir de juin 1942 les forces germano-italiennes lancent des offensives en direction d'Alexandrie et du canal de Suez, carrefour logistique par lequel transitent de nombreuses ressources. Par la suite, les forces de l'Axe auraient continué les offensives en direction de l'Iran pour rejoindre les troupes allemandes situées dans le Caucase, c'est-à-dire celles qui se battaient dans la région de Stalingrad. Après une avancée spectaculaire, les Allemands sont à environ 100 km d'Alexandrie mais ils sont stoppés dans leur progression le 27 juillet. Montgomery, à la tête de la VIIIe armée britannique en août 1942 pendant l'été et le début de l'automne parvient à reconstituer ses forces.

En Asie, le 7 août 1942 les forces alliées majoritairement américaines, débarquent sur les îles de Guadalcanal, Tulagi et Florida, au sud des îles Salomon, situé au nord-est de l'Australie, avec l'objectif d'interdire leur usage par les Japonais qui menacent les voies logistiques et de communication entre les États-Unis, l'Australie et la Nouvelle-Zélande. Les Alliés ont aussi l'intention d'utiliser Guadalcanal comme base aérienne.

A partir de novembre 1942, la situation tourne à l'avantage des alliés. Les forces japonaises s'enlisent à Guadalcanaln, de même que les forces allemandes à Stalingrad. Le 3 novembre, les forces germano-italiennes sont défaites lors de la seconde bataille d'El Alamein face aux Alliés. Le 8 novembre, lors de l'opération Torch, les Américains commandés par le Général Eisenhower débarquent au Maroc et en Algérie, et parviennent à prendre à revers les forces de l'Axe. Ce débarquement entraîne, en France, l'invasion de la zone sud par la Wehrmacht le 11 novembre. Anéantie, démoralisé et sans ressource, la célèbre Afrika korps de Rommel stoppée par Montgomery en Égypte n'est plus qu'un spectre rampant dans le désert, contraint d'évoluer sur la défensive. Elle doit battre en retraite jusqu'en Tunisie. Enfin, février 1943 achève le cycle de défaite entamée à l'automne 1942 et marque le départ d'une nouvelle ère.

Le 2 février, après la reconquête méticuleuse de la ville et la capture du commandant des forces allemandes Friedrich Paulus, les derniers combattants de Stalingrad se rendent aux Soviétiques. Paulus est nommé maréchal par Hitler juste avant la réédition dans l'espoir qu'il se suicide, en effet aucun maréchal n'a été fait prisonnier dans l'histoire allemande. Les Soviétiques ont annihilés deux armées allemandes, deux armées roumaines et une armée italienne. Les photographies de prisonniers allemands tenant à peine debout, vêtus d'oripeaux de babouchka font le tour du monde. Le traumatisme pour l'Allemagne est énorme et Hitler décrète un deuil national suite à cette défaite. D'un point de vue politique, Stalingrad ébranle l'Axe en profondeur. C'est à partir de cette date que les gouvernements roumain, finlandais et hongrois ainsi que des cercles dirigeants italiens prennent contact avec les gouvernements alliés et commencent à retirer leurs troupes de cette escapade en territoire soviétique.

Quelque jour après, le 9 février, après 6 mois et 2 jours de combats dans la jungle, les Japonais ont définitivement quitté Guadalcanal et l'île est déclaré sûre. Après cette bataille, les Japonais sont sur la défensive dans le Pacifique et les force alliées reprennent leurs offensives.

Ceux-ci sont de nouveaux à l'initiative et mettent fin au mythe de l'invincibilité des forces de l'Axe. Elles battent en retraite en Afrique, en Asie et en Europe et perdent leurs territoires conquis. En France, le régime de Vichy, qui n'est pas parvenu à empêcher l'occupation de la zone sud est discrédité tandis que la résistance se renforce.

Remise en cause

En revanche une série d'éléments apparu à l'hiver 1941 permet de remettre en cause 1942 comme tournant de la guerre.

Tout d'abord, suite à l'échec des forces allemandes à s'emparer de Moscou (octobre-décembre 1941) les objectifs du plan « Barbarossa » (nom de code donné par les nazis pour l'invasion de l'U.R.S.S. le 21 juin 1941) ne sont pas atteint et les forces de l'Axe sont contraintes pour la première fois de se replier de façon massive face à une armée Alliée. L'axe piétine dans la neige et le désastre de cet échec est aussi important que celui subit à Stalingrad : 300.000. morts ou disparus et 600.000 blessés. Cet échec est en partie éclipsé par la propagande allemande qui cache l'ampleur du désastre à l'Est mais aussi par un autre événement qui se déroule au même moment dans le Pacifique : Pearl Harbor, le 7 décembre 1941. Par la suite les États-Unis qui, en raison de leur tradition isolationniste, ne souhaitaient pas entrer dans le moindre conflit, décident à cause de l'agression de Pearl Harbor de déclarer la guerre au Japon le 8 décembre. Le 11, l'Allemagne déclare la guerre aux États-Unis et le 22 décembre lors de la conférence d'Arcadia, Britanniques et Américains acceptent de placer leurs forces militaires sous un commandement unique sur le territoire européen.

Ces éléments coïncident avec une radicalisation de la Shoah à partir de l'hiver 1941/1942. En effet, la mise en place de la Solution Finale a connu deux grandes phases :

La première dite « Shoah par balles » débute en 1939 lors de l'invasion de la Pologne et se prolonge jusqu'en 1942. Durant cette phase, les commandos Einsatzgruppen (groupe d'intervention) créés en juillet 1939 par le S.S. Reinhard Heydrich chef de la R.S.H.A., (Reichssicherheitshauptamt, Office Central de Sécurité du Reich), ont pour mission de traquer et d'exécuter tous opposants idéologiques et raciaux. Ils suivent les troupes de la Wehrmacht et procèdent à des exécutions de masses (entre le 29 et 30 septembre 1941, 33.771 personnes sont exécuté dans le ravin de Babi Yar en Ukraine). La seconde phase de la Shoah correspond à la mise à mort industrielle qui débute suite à la Conférence de Wansee en janvier 1942. Contrairement à une idée reçu, cette conférence ne décide pas du déclenchement ou non du génocide juif (celui-ci a déjà débuté dès 1939 comme cela a été évoqué) mais elle aborde les modalités logistiques de sa mise en pratique. En effet, d'une part la Shoah par balles n'est pas assez « rentable » (trop coûteuse en temps et munitions) et elle est entraîne une vague de dépression nerveuse chez les bourreaux qui ne supportent plus les tueries. D'autre part à cause des défaites sur le front Est, le projet visant à déporter tous les juifs à l'Est est abandonné au profit d'une solution dite « finale ». Suite à cette conférence, la Solution Finale prend un tournant majeur et le projet d'extermination, qui est tout simplement entériné, doit devenir mondial. A partir du printemps 1942 Reinhard Heydrich met en place un plan d'action (Aktion Reinhard) visant à exterminer l'ensemble des juifs d'Europe. Les camps de concentration situés en Pologne se transforment en camps d'exterminations et la Solution Finale s'industrialise via le processus de gazage déjà expérimenté avec des camions à gaz. Les camps de Belzec, Sobibor et Treblinka ouvrent en 1942.

Enfin, la supériorité logistique et industrielle allemande appartient au passé car les Alliés dépassent en production les usines allemandes : en 1942, l'Angleterre produit 20.000 appareils volants et les États-Unis 60.000 alors que l'Allemagne 15.500 pour la même année. Les usines soviétiques déménagées à l'Est en urgence à l'été 1941, tournent à plein régime.

1942, aboutissement ou tournant ?

Avec le recul de l'histoire, les succès alliés de l'hiver 1942/1943 constituent autant un aboutissement qu'un nouveau départ qui découlent de processus entamés dés 1941.

Certes les succès des Japonais dans le Pacifique et des Allemands en Ukraine et en Crimée sont fulgurants aux yeux des contemporains mais ses victoires sont tout autant illusoires : Le Japon n'a pas les moyens de mener une guerre à long terme et les Allemands continuent de piétiner dans le trois-quarts des territoires soviétiques. Ainsi, les succès des Alliés à l'automne 1942 sonnent le glas des forces de l'Axe et confirment les craintes exprimés un an auparavant. Le recul de l'histoire permet de réévaluer les victoires de 1942 et la défaite de l'Allemagne qui découlent de processus amorcé plus tôt : l'attaque des Japonais qui entrainent le poids des États-Unis dans la balance et l'invasion de l'U.R.S.S. alors qu'Hitler n'a toujours pas vaincu l'Angleterre.

Seuls quelques individus ont su analyser la situation et prévoir que le tournant de la guerre se situait en 1941, comme en témoignent les déclarations suivantes. En décembre 1941, avec l'entré en guerre des États-Unis qui, de fait, joignent leurs efforts à ceux de l'U.R.S.S., De Gaulle déclare que « la guerre est finie ». En effet, l'engagement des États-Unis, considéré à l'époque comme une puissance logistique mondial, rassure les Alliés. À la même époque Mussolini demande à Hitler de ne plus se battre à la fois à l'Est et en Angleterre. Il a conscience du danger que représente le voisin russe trop souvent sous estimé par les Occidentaux depuis Napoléon. Si 1941 est un tournant dans la guerre, l'année 1943 en constitue le second.

« Voulez-vous la guerre totale ? Si nécessaire, voulez-vous une guerre plus totale et plus radicale que ce que nous pouvons imaginer aujourd'hui ? » 18 février 1943, discours de Goebbels à Berlin au palais de sports.

Suite à ce célèbre discours, Goebbels (ministre allemand de la propagande) engage l'ensemble du peuple allemand dans une guerre totale dont l'effort doit être sans limites. La répression politique est féroce et la population allemande est de plus en plus hostile au régime nazi qui entraine le pays dans une catastrophe qu'elle n'a pas voulue. Cette radicalisation du conflit, résultat des défaites de l'Axe à l'automne 1942, est une des marques du second tournant de la guerre qui a lieu en 1943.

En effet, l'année 1943 marque un tournant dans le déroulement de la Seconde Guerre mondiale. Tout d'abord, trois grandes conférences interalliées ont lieu cette année : conférence de Casablanca en janvier 1943, conférence du Caire en novembre 1943 et conférence de Téhéran en décembre 1943. Elles prévoient la réédition sans conditions des puissances de l'Axe (Allemagne, Italie et japon), de continuer d'apporter de l'aide à l'U.R.S.S. et le déroulement des prochaines actions militaires pour 1944. Par exemple la conférence de Téhéran, en décembre 1943, planifie les grandes offensives en Europe pour 1944 et donc l'ouverture du second front tant attendu par les Soviétiques. Un débarquement des Anglo-Saxons aurait lieu en Europe et l'U.R.S.S. lancerait en même temps une offensive à l'Est afin que les forces de l'Axe soient occupées sur deux fronts.

Enfin, la bataille de Koursk qui a lieu du 5 juillet au 23 août 1943, dans le sud-ouest de la Russie à la frontière ukrainienne, est tout aussi décisive que celle de Stalingrad. L'armée allemande dans l'espoir de reprendre l'offensive à l'Est a jeté toutes ses forces afin de réduire l'importante avancée de l'Armée rouge dans la région de Koursk. Cet affrontement titanesque est particulièrement brutal et les pertes sont colossales en raison du nombre de soldat et de matériel qui ont été déployés par les deux camps : 1.900.000 soldats soviétiques affrontent 900.000 soldats de l'Axe dans la steppe soviétique. Elle est aussi la plus grande bataille blindée de l'histoire : environ 1.300 blindés – soviétiques et allemands – se sont affrontés du 10 au 12 juillet. L'opération s'est soldée cependant par un échec pour les forces de l'Axe.

En conclusion, il s'agit de la dernière offensive des forces allemandes sur le front de l'Est car l'armée allemande, saignée par les Soviétiques, n'a plus les moyens logistiques de mener des assauts d'envergures. Par la suite les forces de l'Axe ne cessent d'être sur la défensive jusqu'à leur réédition en mai 1945.

  • Sancho de Cuba Contributeur
  • "Dans l’armée rouge, il faut bien plus de courage pour battre en retraite que pour avancer." Joseph Staline