Les « vrais » Inglourious Basterds

L'Amiral
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6 avril
2020

Le sujet a été porté à l'écran par Quentin Tarantino en 2009 dans le film du même nom. Les Inglourious Basterds, ces soldats de confession juive envoyés « scalper du nazi » en Europe selon les standards hollywoodiens, ont pourtant vraiment existé... Et ont été bien différents du film.

Seconde Guerre mondiale, quelque part dans le nord de la France. Une équipe de Commandos vient d'être déposée sur une plage française en pleine nuit afin d'y faire du repérage. Alors que les hommes progressent, leurs visages camouflés de noir et à pas de loup, une patrouille allemande est repérée au loin à cause des faisceaux de leurs lampes.

Mais là où dans le film de Tarantino les Commandos auraient chargé en criant, ceux-là décident de continuer leur route discrètement. Leur but n'est pas de « descendre du nazi » mais bien de recueillir des informations ; exit donc la vision hollywoodienne de ces Commandos ayant soif de vengeance sanglante !

Les vrais Inglourious BasterdsBrad Pitt (au centre) incarne un officier cynique et sadique dans le film de Quentin Tarantino.

Les X-Troops au service de Sa Majesté

Dès l'accession au pouvoir de Hitler en Allemagne, de nombreux Allemands décident de quitter leur pays afin d'éviter les persécutions grandissantes - notamment envers les Juifs. Beaucoup d'entre eux trouvent refuge en France ou au Royaume-Uni, où leur présence donne lieu à de nombreuses spéculations sur leur appartenance à la « cinquième colonne », les réduisant à un groupe d'espions agissant sous couverture.

Ce phénomène s'accroît à la déclaration de guerre le 2 septembre 1939, ces individus réfugiés trouvant leurs noms sur des listes de personnes suspectes. De Paris à Londres, des camps spéciaux s'ouvrent pour ces personnes, qu'il faut à tout prix mettre de côté pour qu'ils ne gênent pas l'effort de guerre.

Avec la chute de la France le 22 juin 1940 et l'antisémitisme du régime de Vichy, beaucoup de Juifs ou d'opposants au régime allemand vont trouver refuge au Royaume-Uni ou aux États-Unis. Or, sitôt la bataille d'Angleterre terminée, Londres se rend bien compte qu'elle doit mobiliser toutes les forces à sa disposition pour vaincre l'Allemagne nazie.

Les camps de réfugiés comptant de nombreux antinazis, il est décidé d'aller y chercher des volontaires pour constituer des unités spéciales. Dans les premiers mois de leur engagement, ces anciens réfugiés sont d'abord intégrés à des unités d'ingénieurs ; cependant, Lord Mountbatten, le « père » des Commandos, cherche au même moment à développer son arme… Et il lui faut des recrues connaissant parfaitement les pays d'Europe occupée et leurs cultures.

C'est après une discussion avec un de ses aides-de-camp qu'il décide de jeter un oeil du côté des anciens réfugiés et de créer pour eux une Troop au sein du No. 10 Inter-Allied Commandos. Le Premier ministre Churchill lui propose de les nommer X-Troops, « X » étant le symbole représentant l'inconnu en mathématiques. Le lien avec cette unité n'en est que plus fort : il faut que ces Commandos opèrent discrètement et que personne ne sache d'où ils viennent.

Dès lors, des officiers du No. 10 Inter-Allied Commandos commencent à battre le rappel des expatriés européens présents sur le sol britannique : aux plus valeureux d'entre eux, ils proposent de rejoindre cette Troop bien particulière, tout en leur précisant bien qu'ils vont être confrontés à des « missions spéciales et dangereuses ». Tous les volontaires savent qu'en cas de capture, c'est la mort qui les attend, Hitler ayant ordonné l'exécution immédiate de tous les Commandos capturés…

Parmi eux, la très grande majorité sont de confession juive, et doivent donc changer de nom ; tout d'abord pour que personne ne soupçonne leur appartenance religieuse, et enfin pour qu'ils ne soient pas reconnus dans les territoires occupés.

Ainsi, un certain Alfred Samson de Hambourg devint Percy Shelley, et Ernst Freytag se renomma Tommy Farr, du nom d'un champion poids-lourd de boxe d'avant la guerre… Seul point commun avec les soldats du film de Tarantino : une certaine volonté de revanche, car la plupart des volontaires ont dû fuir l'Allemagne en toute hâte, abandonnant amis et famille derrière eux.

Les vrais Inglourious BasterdsComme dans la plupart de ses oeuvres, le réalisateur alterne passages humoristiques et une violence crue.

Un entraînement de Commandos… et une rencontre avec Rommel

La formation dans la Troop n'est pas des plus simples : l'entraînement demande de la volonté, mais aussi une certaine rage de vivre. Les recrues sont traînées dans les paysages montagneux du Pays de Galles, apprennent à tirer avec toutes les armes, à manier les explosifs, mais aussi à tuer des adversaires à mains nues.

Cependant, hors de question de transformer ces hommes en super-soldats devant ouvrir le feu à tout va : cette formation doit leur permettre de mener leurs missions de renseignement à bien. Car c'est la raison première des Commandos à la sauce britannique : se faufiler chez l'adversaire, récupérer des renseignements et rentrer au pays. La bataille en elle-même n'est pas leur apanage, mais leurs informations doivent aider les états-majors alliés à mettre toutes les chances de leur côté.

C'est en mai 1944 que les X-Troops entrent vraiment en action, en préparation du débarquement allié. Les Alliés reçoivent alors plusieurs informations contradictoires sur les fortifications du Mur de l'Atlantique, notamment sur les champs de mines posés sur les plages de Normandie.

Les vrais Inglourious BasterdsDes membres du No. 10 Inter-Allied Commandos.

Les Commandos reçoivent alors la mission d'inspecter les possibles lieux de débarquement à la recherche d'un nouveau type de mine - qui s'avère être une fausse information - pendant plusieurs semaines. Acheminés à bord de petits canots pneumatiques silencieux, les X-Troops effectuent leurs missions consciencieusement, ne relevant que la présence de types de mines tout à fait classiques.

Lors de la dernière mission de ce type, peu avant le lancement de l'opération « Overlord », le Lieutenant George Lane (Djury Lanyi, de Hongrie) est bloqué par l'irruption d'une patrouille allemande alors qu'il est en train de photographier des fortifications en compagnie d'un officier des Royal Engineers. Si les deux hommes ne sont pas repérés, leurs camarades le sont et s'enfuient sous une grêle de balles ; Lane reste terré dans un fossé, observant le canot pneumatique s'éloigner au loin. Après quelques dizaines de minute, les deux soldats décident de se rendre sur la plage pour faire des signaux à leurs camarades, mais avec le lever du soleil ils décident de voler un esquif non loin de là et de rentrer… à la nage.

Las, après quelques centaines de mètres de parcourus, les deux hommes entendent un moteur… et voient arriver sur eux une vedette rapide allemande. Surpris et incapables de riposter sans perdre la vie, Lane et son camarade sont ramenés à terre et interrogés. Quelques heures plus tard, ils ont la surprise de recevoir la visite d'un officier qu'ils reconnaissent instantanément : Erwin Rommel en personne, qui, prévenu de la capture de ces « bandits », a décidé de les rencontrer pour faire taire toutes les rumeurs à leur sujet.

Pendant toute la durée de sa captivité (les deux hommes seront envoyés en camp de prisonniers), Lane parviendra à cacher sa véritable identité, lui évitant très certainement un sort bien peu enviable.

Les vrais Inglourious BasterdsLes X-Troops n'ont jamais opéré véritablement ensemble, mais ont été disséminés en fonction des besoins dans les unités alliées.

Des destins divers

Mais l'énorme opération « Overlord » va encore voir des X-Troops s'illustrer. Aux premières heures du 6 juin, alors que les troupes britanniques ont neutralisé les défenses allemandes sur la plage de Sword, le Corporal Peter Masters file à travers un village semble-t-il désert… Avant d'apercevoir des soldats allemands. Sans se démonter, il décide de mettre à profit sa maîtrise de l'Allemand - sa langue natale - et de leur demander de se rendre. Mais, si les soldats allemands n'ouvrent pas le feu, ils ne se rendent pas pour autant ! Masters sera sauvé in extremis par l'arrivée d'autres soldats britanniques.

Au contraire du film de Tarantino, le rôle des X-Troops après le débarquement en Normandie va être de capturer des soldats ennemis afin d'en tirer des renseignements, allant souvent les chercher derrière les lignes adverses. Tout au long de la guerre, ces hommes vont progresser sur les devants des troupes alliées, payant un lourd tribut en perdant près de la moitié de leurs effectifs : sur les 88 Commandos des X-Troops, 21 vont être tués et 22 blessés.

Interrogé après la guerre, Colin Anson (né Klaus Ascher en Allemagne) et membre des X-Troops, dira de sa participation au conflit qu'« il était nécessaire que je me batte. Pas par soif de revanche, non mais pour m'opposer à cette menace pour le monde qu'était l'Allemagne nazie. » Alors que le journaliste lui évoque le film de Tarantino, l'ancien Commando sourit. « Je ne saurais même pas comment scalper quelqu'un ! »