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Bataille de Diên Biên Phu

Lebrun
Thématique
3 octobre
2013

Depuis 1946 la France combat en Indochine. Le 7 mai 1954 la bataille de Diên Biên Phu mit fin à tout espoir de sauver les intérêts français en Asie du sud-est. Cette bataille, restée dans l'histoire comme l'une des plus grandes défaites françaises et considérée aujourd'hui par beaucoup comme une folie, mérite de plus amples éclaircissements sur ses prémices et son déroulement.

Les prémices du plan

General Henri Navarre à droite

En 1953, Henri Navarre, nouveau chef des opérations en Extrême-Orient se vit refuser tout nouvel effort militaire de la part de la métropole. Cela n'avait rien d’étonnant, la guerre menée en Indochine rencontrait là-bas une grande opposition et le gouvernement, ne souhaitant plus de cette guerre, ne la soutint plus et voulait même qu’elle se finisse le plus rapidement possible.

Depuis quelques temps déjà, le corps expéditionnaire et l'armée vietnamienne n'avaient plus les moyens de mener l'offensive contre l'armée révolutionnaire du général Võ Nguyên Giáp et se replièrent dans de nombreux fortins ou camps retranchés. Mais les résultats n’étant pas là, les troupes françaises perdirent moral et hommes à l'inverse du Vietminh qui devenait de plus en plus fort grâce au soutien de la Chine. Voilà le cadre dans lequel se trouvait Navarre en Indochine, une situation désespérée sans aucun espoir de soutien.

Alors que Giáp accentuait la pression sur le détroit du Mékong, l'état français signa un accord avec le Laos qu'il promettait de défendre contre le Vietminh. Navarre se retrouvait donc avec une nouvelle tâche, celle de défendre ce pays. De là germa l'idée d’une base aéroterrestre au milieu de la jungle, bloquant l'accès au Laos et aussi au riz des régions de l'ouest de l’Indochine. Personne ne savait encore si ce camp serait un camp retranché ou une base de départ pour une guerre de mouvement dans la jungle, mais la décision était déjà prise quant à son emplacement : Diên Biên Phu. Ce site possédait de nombreux atouts comme une plaine de plus d'une centaine de kilomètres d'envergure, de plusieurs pistes déjà existantes créées par les japonais et d'une rivière. Diên Biên Phu était donc le site idéal pour implanter une base aérienne dans cette région.

Même si de nombreux officiers avaient exprimé leurs inquiétudes par rapport à cette opération, Navarre voulait que les moyens s’adaptent à la situation et ignora les avis négatifs. Il savait que le corps expéditionnaire ne pourrait pas tenir indéfiniment et que seule une grande opération victorieuse pouvait mettre un terme aux offensives communistes.

Navarre prit sa décision malgré les limites de l'aviation, ses réserves d'hommes, le fait qu'il n'obtiendrait aucun renfort supplémentaire et que l'état français commençait à parler de négociations avec les révolutionnaires. Le rideau se leva, l'opération Castor débuta le 20 novembre 1953.

Opération Castor

Le 20 Novembre à 8h15, une soixantaine de dakotas décollèrent de Hanoï en direction de la cuvette de Diên Biên Phu avec le 6e Bataillon de Parachutiste Coloniaux (BPC) de Bigeard et le 2e Bataillon du 1er Régiment de Chasseurs Parachutistes de Bréchignac.

Entre 10h35 et 10h45, les premières toiles de parachutes s'ouvrirent sur Diên Biên Phu. Ce ne furent pas moins de 3000 hommes qui se retrouvèrent perdus dans les rizières à en découdre avec un bataillon viêt. Durant toute la journée les combats se poursuivirent et c'est seulement vers 16h que les Français se rendirent maître de la vallée. Au même moment Navarre informa le gouvernement de l'opération Castor, provoquant la surprise générale à Paris, mais devant le fait accompli, il n'y avait plus moyen de faire marche arrière. Le camp de Diên Biên Phu était né.

Emménagement au milieu de la jungle

Dès le lendemain, le bal des avions commença, des renforts furent envoyés, des barbelés, des caisses de munitions, de vivres, des canons et même un bulldozer de 7 tonnes furent largués et atterrirent en s’enfonçant de 3 mètres dans le sol. Tout ce matériel permit à la réfection de l'ancienne piste d’atterrissage et à l'établissement des premières positions. La position parut excellente au général Cogny quand il arriva sur place, entourée de faibles crêtes assez éloignées du camp où l'ennemi aurait du mal à installer son artillerie et pouvant facilement être attaquées par l'aviation. Voilà les premiers sentiments du commandement français. Il ne voulait pas mener cette bataille comme des rats mais au grand air et Diên Biên Phu semblait leur en offrir l’opportunité. Au niveau financier le gouvernement fut clair, il ne donna pas un sous de plus pour cette guerre mais ce problème fut vite résolu : la France se tourna vers les Etats Unis et voilà la question du financement réglée avec des promesses de plusieurs milliards de dollars.

Le 25 Novembre la piste était enfin rénovée, les premiers Dakotas atterrirent permettant l'envoi de tout le matériel nécessaire comme des postes de transmissions, du matériel médical, des pompes à eaux. Plus tard, une dizaine de chars M24 Chaffee furent amenés pièce par pièce et remontés sur place. En termes de matériels, il y eut 47 jeeps, 47 Dodge, 27 G.M.C, 2 ambulances et 4 bulldozers ainsi que 24 pièces de 105 mm, 4 de 155 mm et 16 mortier de 120 mm. En tout, plus de 10.000 tonnes de matériels furent acheminés jusqu'à Diên Biên Phu, juste avant le début de la bataille.

L'installation et l'optimisation du camp dura jusqu'en février 1954.

Dispositif de bataille à Diên Biên Phu en mars 1954 - En vert les PA français et position en noir des cinq divisions Viêt Minh

Le camp s'articulait sur plusieurs points d'appuis, en hérisson, chaque point d’appui étant capable de soutenir son voisin. Il y en avait en tout 8 : Gabrielle, Huguette, Dominique, Anne Marie, Claudine, Eliane, Béatrice et Isabelle.

En janvier et en février, la réalité commença à rattraper les Français. Plus ceux-ci sortaient de leur camp plus ils rencontraient rapidement de la résistance. Fin février, les Français ne pouvaient pratiquement plus patrouiller dans les environs de Diên Biên Phu et attendirent désormais dans leurs tranchées l'attaque vietminh. Ceux-ci prirent tout leur temps pour se préparer, pas moins de 50.000 soldats présents sur les abords de la vallée, prêts à déferler sur le camp début mars. De nombreux paysans furent contraints à monter munitions, canons et vivres à dos d'homme au milieu de la jungle pour les monter sur les pentes bordant le camp. Chaque canon était enterré dans des trous creusés sur les flancs des crêtes, de nombreuses batteries anti-aériennes étaient cachées dans les alentours et les soldats creusèrent des tranchées pour se rapprocher des positions françaises. Le camp français était assiégé, l'enfer put s'abattre sur les troupes françaises.

Le début des soucis

L'attaque se rapprochait, les renseignements français prévinrent le camp qu'elle aurait lieu le 13 mars sur Béatrice. Le 3ème Bataillon de la 13e Demi Brigade de la légion étrangère était prêt à recevoir l'ennemi mais rien ne pouvait prédire ce qui allait arriver.

Assaut des soldats

À 17h00 une intense préparation d'artillerie s'abattit sur le camp et plus particulièrement sur Béatrice. Les abris français faits de bois et de terre n'avaient pas été prévu pour soutenir un déluge de feu de 120 et 150 mm. Qui aurait pu penser que l'armée adversaire avait monté autant d'artillerie en haut de ces crêtes ? En tout cas pas le commandant Piroth qui dirigeait l'artillerie du camp, incapable de repérer les départs de tir et donc d'effectuer un tir de contre batterie efficace. En face de son échec il se suicida le 15 mars. Voilà pourquoi Béatrice en quelque heures fut réduit à néant, le Chef de bataillon Pégot, ses adjoint et les poste de radio du PC de Béatrice furent détruits par un coup au but chanceux dès les premières minutes du barrage d'artillerie. Les défenseurs ne pouvaient plus alors communiquer avec le reste du camp pour diriger les tirs d'artillerie. Alors que des milliers d'obus tombaient sur la position un nouveau coup dur frappa la 13e DBLE, le lieutenant-Colonel Gaucher mourut, un obus ayant atteint son abris.

Alors que les obus cessaient de tomber, des milliers d'assaillants se jetèrent sur Béatrice ne s'arrêtant pas malgré les énormes pertes qu'ils subissaient, rapidement les légionnaires furent débordés. Ni les barbelés ni les champs de mines n'arrêtèrent les assaillants. Vers 21h, les tirs cessèrent, les 500 légionnaires avaient-ils réussit à stopper l'attaque ? Etait-il possible de contre attaquer le lendemain pour reprendre les positions ? Ces questions trouvèrent vite leurs réponses, vers 23h, l'offensive vietminh reprit et en moins de 15 minutes les dernières positions furent prises après de sanglants combats rapprochés.

Béatrice tombée, les Français comprirent dans quelle situation ils s’étaient placés mais pour autant l'espoir de vaincre ne les abandonna pas.

Le lendemain à 17h le même scénario se répéta sur Gabrielle, le pc de la position étant lui aussi détruit par un coup chanceux rendant très difficile la communication entre le camp et la position. Mais cette fois-ci les Tirailleurs algériens de Mecquenem repoussèrent tous les assauts ennemis qui se replièrent vers 2h. Mais à 3h30 une division fraiche reprit d'assaut Gabrielle, les défenseurs ne pouvant plus tenir. Mecquenem blessé, son second une jambe arrachée et la majorité des hommes blessés ou morts ordonna à ses hommes de quitter les fortifications et à l'artillerie du camp de pilonner sa propre position. Vers 5h30, plusieurs chars, des légionnaires et des parachutistes vietnamiens tous juste parachutés sur Diên Biên Phu partirent à l'assaut de Gabrielle pour dégager les derniers tirailleurs mais ce fut un échec. Gabrielle était perdue.

Le Calme avant la tempête

Du 15 au 30 mars, Giáp arrêta les assauts. En effet, le nombre de pertes lors des deux premiers jours avait été beaucoup trop important. Il profita de ce répit pour acheminer plus de pièces d'artillerie et de troupes fraîches et ne pas laisser de répit aux Français en bombardant leurs positions jours et nuits. Certains journalistes compareront alors Diên Biên Phu à un nouveau Verdun, et pour les Français cette comparaison n'avait rien de fantaisiste.

Les Français subissaient les tirs adverses et devaient en plus assurer le ravitaillement du camp. Cela s'avéra de plus en plus dur, les blessés s'entassant dans l'antenne chirurgicale du camp qui fut obligée de les loger dans des tranchées sans protections. Il était de plus en plus dur de les évacuer, que ce soit par avion ou par hélicoptère en raison de la puissance de la DCA adverse. Plus la bataille durait, plus les pertes aériennes étaient importantes et plus il devenait difficile aux pilotes d’atterrir s'exposant alors à des tirs d'artillerie une fois posés au sol.

Le Début de l'agonie

Détachement de M24 en action à Diên Biên Phu

Le 30 mars, les attaquent recommencèrent et, de nouveau, des vagues humaines submergèrent les positions d'Eliane et Dominique. Une à une celles-ci cédèrent mais en ayant vendu chèrement leur peau. Mais les Français avec le 6e BPC de Bigeard et le 8e reprirent quelques-unes des positions lors d'une contre-attaque mais il n'y eut pas suffisamment de ressources pour maintenir des hommes sur place. Jusqu'au 4 avril les grands assauts furent repoussés et cela couta très cher à Giáp tant en hommes qu'en matériels et surtout en moral. En effet, après ces assauts très meurtriers et sans grand résultat à leurs yeux, les troupes désespéraient et de nombreux officiers furent éliminés.

Durant tout le mois d'Avril le Vietminh étouffa le camp et grignota position après position alors que les Français essayaient tout pour maintenir un semblant d'organisation en apportant autant de renforts que possible et en parachutant de plus en plus de munitions, de vivre et de produits médicaux.

Le jour les obus tombaient et la nuit des vagues humaines qui déferlaient sur les positions. A cause de ce rythme on observa un grand nombre de morts par épuisement. Les blessés furent bientôt renvoyés au front, les hommes dormaient assis au fond de leur trou, fusil à la main, prêt à se défendre. On entendait même les légionnaires se battre au corps à corps en chantant la marseillaise. Mais Diên Biên Phu tenait, dans la douleur, le sang et la boue amenée par la saison des pluies. La piste n'étant plus praticable à cause de l'artillerie adverse, le camp ne fut plus ravitaillé que par des parachutages qui finissaient souvent sur les positions adverses. Les actes héroïques furent nombreux mais n'empêchèrent pas l'avancée lente et méthodique de l’ennemi.

Le Chant du Cygne

A partir de début mai tout s'accélèra, l'offensive à outrance fut prononcée par Giáp. Il n'y avait plus aucun espoir pour les Français. Des « orgues de Staline » à peine arrivés déversaient un déluge de feu sur le camp, et pour autant les volontaires se bousculaient pour sauter sur Diên Biên Phu et aller aider leurs amis présents dans la cuvette.

Éliane 1 tomba dans la nuit du 1er mai et Dominique 3 dans celle du 2 mai ainsi qu’Huguette 5. Éliane 2 résistait toujours. Huguette 4 tomba dans la nuit du 4 mai.

Dans la nuit du 6 mai Eliane 2 fut éventrée par une charge de 2 tonnes que les Viêts avaient placé dans une sape et durant toute la nuit les survivants se battirent comme partout dans le camp. Les canons français tiraient sur leurs propres positions. Malgré que les premières vagues viets soient hachées il y avait toujours des ennemis près pour prendre place et se faire exploser, ceinture d'explosifs au ventre, dans les bunker français. Les corps à corps sanglants ne s'arrêtaient seulement que lorsque la vague viêt était totalement décimée, mais Giáp ne laissa pas de répits aux défenseurs. Le matin du 7 mai, Éliane 10, Éliane 4 et Éliane 3 étaient tombées.

En fin d'après-midi l'état-major français décida de cesser les combats et ordonna aux derniers survivants de détruire armes, chars, radios et de se laisser capturer par les Vietnamiens. Seuls quelques-uns tentèrent de s'enfuir par la jungle.

En ce soir du 7 mai 1954 Diên Biên Phu tomba !

Conséquences

Cette défaite entraîna par la suite un choc en Métropole, personne ne pensant possible la défaite, et fit de Diên Biên Phu une honte à cacher. Ce furent en tout 2293 Français qui moururent et plus de 8000 Vietnamiens tués et 15.000 blessés. De plus, les 11.000 Français, dont le général Christian de La Croix de Castries, et alliés faits prisonniers furent envoyés en camps de « réhabilitation » et seulement 3290 d'entre eux en revinrent en majorité squelettiques et atteints de toutes les maladies tropicales imaginables. Il y eut autant de pertes à cause de la politique française et du désintérêt de la métropole pour cette guerre meurtrière.

Cette défaite reste donc comme un désastre militaire, politique et humain dans l'histoire militaire française.

  • LeBrun Ancien membre d'HistoriaGames
  • « Dans une guerre, ce qui se passe, ce n'est jamais ce qu'on avait prévu. Alors ce qui compte, c'est d'avoir le moral ! » de Marcel Bigeard