Albert Séverin Roche : héros de la Grande Guerre

L'Amiral
3 mai
2019

La Grande Guerre a connu de nombreux hauts-faits individuels, mais la plupart ont été éclipsés par ceux du second conflit mondial. Durant les quatre années de guerre, les exploits sont plus collectifs qu’individuels dans la mémoire collective ; pourtant, de nombreux soldats des deux camps se sont couverts de gloire. Certains ont eu une destinée mouvementée une vingtaine d’années plus tard - comme Joseph Darnand, héros de la Grande Guerre mais collaborateur notoire avec le régime de Vichy - alors que d’autres restent dans l’ombre. Tel est le cas d’Albert Séverin Roche, pourtant surnommé par le maréchal Foch le « premier soldat de France ».

Albert Séverin Roche : Héros de la Grande GuerreRoche en grande tenue. Notez le nombre d'étoiles et de palmes à sa croix de guerre.

L’histoire de Roche est semblable à tant d’autres. Il naît le 5 mars 1895 à Réauville, dans la Drôme, dans une famille nombreuse de cultivateurs. Dans cette France encore très rurale, sa destinée est toute tracée : il travaillera en tant que cultivateur dans l’exploitation familiale. Mais lorsque le tocsin sonne à l’été 1914, Albert Séverin Roche est porté par l’optimisme ambiant et se présente comme volontaire à l’âge de 19 ans.

Cependant, ce jeune homme qui mesure 1m58 est jugé trop chétif par le conseil de révision, ce qui entraîne son renvoi dans son foyer… au grand plaisir de son père. L’homme sait que son fils peut perdre la vie à la guerre, et il préfère le voir travailler à l’abri à la ferme qu’affronter les balles allemandes.

L’idée de s’engager ne quitte pas Albert Séverin Roche, qui décide un soir de faire son sac et de fuir le foyer familial. Il se présente au 30e bataillon de chasseurs à Grenoble, où il est finalement jugé apte au service, mais les premières semaines d’entraînement se passent plutôt mal. La sévérité de la vie en caserne n’est pas pour lui, et il ne brille pas particulièrement durant les exercices… sous-noté, Roche ne trouve pas l’épanouissement qu’il cherchait alors en s’engageant.

Alors que la guerre a éclaté depuis quelques mois, Albert Séverin Roche n’est toujours pas au front. Il décide de déserter et de se laisser attraper sciemment… car selon lui, les déserteurs sont invariablement envoyés au front comme punition. Devant l’officier qui lui demande les raisons de sa désertion, il tient ce discours : « Les mauvais soldats, on les expédie là-haut (NLDR : au front), et moi je veux aller où l’on se bat. »

La montée au front

Il obtient alors gain de cause en étant muté au 27e bataillon de chasseurs alpins, combattant dans les Vosges et surnommés les « diables bleus » par les Allemands à cause de leur pugnacité au combat dans leurs uniformes bleu nuit.

Roche a maintenant l’occasion de faire ses preuves dans une unité d’élite ; un soir d’été 1915, un capitaine se présente dans sa section et demande 15 volontaires pour aller réduire un nid de mitrailleuses ennemi. Albert Séverin Roche, toujours 2e classe, se lève et se porte volontaire… en demandant d’y aller avec seulement deux camarades. Après un instant d’hésitation, le capitaine accepte, et Roche sort de la tranchée silencieusement.

Albert Séverin Roche : Héros de la Grande GuerreLa résistance des Diables Bleus dans les Vosges est une des plus impressionnantes de la Grande Guerre.

L’homme a déjà préparé mentalement son attaque… et il cherche à profiter de l’effet de surprise. La nuit est tombée depuis quelques temps quand Roche, armé d’un revolver et de quelques grenades, s’approche de la tranchée allemande. Les sentinelles ne repèrent pas le petit groupe qui se déplace sans bruit ; seul un léger conduit de petit chauffage à bois se décroche au-dessus d’un abri allemand. Roche s’en approche et aperçoit la plupart des mitrailleurs qui se reposent à côté pour profiter de la chaleur. Il dégoupille alors quelques grenades qu’il jette dans le conduit du poêle. Les détonations sont amplifiées par la nature métallique de l’objet ; les servants rassemblés devant sont tués, et les autres, totalement surpris, jettent leurs armes, croyant être attaqués par une force puissante au milieu de la nuit. Placidement, Roche descend dans la tranchée, fait aligner les huit soldats allemands et leur intime de prendre la direction de la ligne française... en récupérant les mitrailleuses au passage.

Mais ce genre d’actions n’est pas isolée pour Roche : il est coutumier du fait. Parfois, ses gradés lui laissant certaines latitudes d’action, le soldat disparaît quelques heures dans la nuit pour revenir avec des prisonniers abasourdis.

Toutes ces actions lui valent bientôt les honneurs, et il reçoit, entre autres décorations, la distinction de soldat de 1ère classe le 15 octobre 1915. À la fin de l’année 1915, alors que le front dans les Vosges est relativement stable, il échappe miraculeusement à l’artillerie allemande qui dévaste sa tranchée. Roche sait que les Allemands vont s’élancer à l’attaque, et il décide illico de placer les fusils de ses camarades tombés sur le parapet et les actionne tous, tour à tour, suffisamment rapidement pour que les assaillants se replient… pensant que les Français n’ont pas été tués par le feu roulant !

Roche se porte souvent volontaire pour les missions de reconnaissance : pour lui, c’est l’occasion de mieux connaître le terrain et donc de prendre l’avantage sur l’adversaire. Lors d’une de ces missions qu’il mène avec son lieutenant, la chance le quitte : les deux Français sont faits prisonniers et escortés jusqu’à un poste de commandement allemand.

Son lieutenant blessé, Roche décide de tenter le tout pour le tout et parvient à se saisir du pistolet de l’officier allemand qui l’interroge, l’abat à bout portant et charge son camarade sur ses épaules. Sortant de l’abri, il prend totalement à dépourvu les soldats allemands de la tranchée et les fait tous avancer. Quelle n’est pas la surprise de ses camarades de le voir revenir, portant son lieutenant… et accompagné de 42 Allemands prisonniers !

Albert Séverin Roche : Héros de la Grande GuerreEn Alsace, Roche est photographié (à gauche) alors qu'il monte en ligne.

Dans l’enfer du Chemin des Dames

En 1917, durant la bataille du Chemin des Dames, Roche a encore l’occasion de briller. Lorsque son unité s’élance à l’assaut mais qu’elle doit refluer sous les tirs, le chasseur Roche fait partie des survivants. Parmi les disparus se trouve son capitaine, qui est en fait blessé et qui se signale dans le no man’s land. Roche se débarrasse de tout ce qui peut l’alourdir puis rampe pendant six heures pour atteindre son officier : les Allemands sont vigilants et n’hésitent pas à tirer sur tout ce qui bouge. Les deux hommes mettent quatre heures pour rentrer, et lorsque l’officier est évacué sur des brancards, Roche est épuisé. Il s’effondre de sommeil dans un trou d’obus. Mais lorsqu’une patrouille le découvre, il est considéré comme déserteur : n’a-t-il pas quitté son poste sous le feu ennemi ?

Roche connaît à nouveau la prison. Il écrit une longue lettre à son père pour lui affirmer qu’il est innocent - mais Roche veut croire encore à la délivrance. Au petit matin, alors que les hommes du peloton d’exécution se préparent, une estafette arrive : le capitaine a repris ses esprits et le propose pour la médaille militaire ! Son témoignage disculpe ainsi Roche, qui est innocenté.

Le 3 septembre 1918, Albert Roche reçoit la légion d’honneur pour héroïsme. Sa citation est éloquente :

« Chasseur dont la bravoure est légendaire au bataillon. Fait preuve, dans les circonstances les plus difficiles d'un mépris absolu du danger ; conserve un calme absolu aux moments les plus critiques, donne à ses camarades l'exemple de l'entrain, exalte leur courage, est pour ses chefs un auxiliaire précieux. Pendant les opérations du 31 août 1918, a réussi comme agent de liaison à transmettre à toutes les sections de sa compagnie les ordres du commandant, n'hésitant devant aucun danger, triomphant des difficultés de toutes sortes, montrant un rare esprits de décision, une conscience au dessus de tout éloge. Médaillé militaire pour faits de guerre (sept citations). »

Albert Séverin Roche : Héros de la Grande GuerreRoche et Foch à Strasbourg en novembre 1918.

La fin de la Grande Guerre

Quelques mois plus tard, la guerre se termine, et les troupes françaises entrent en Alsace. Le 27 novembre 1918, la ville de Strasbourg fait un accueil enthousiaste au maréchal Foch, qui présente Albert Roche au balcon de l’hôtel de ville, et s’écrit : « Alsaciens, je vous présente votre libérateur Albert Roche. C'est le premier soldat de France ! » et au maréchal d’ajouter : « Il a fait tout cela, et il n’a pas le moindre galon de laine ! »

Là ne s’arrête pas la carrière de Roche. Il fait partie des huit « Braves » qui portent le cercueil du Soldat Inconnu vers l’Arc de Triomphe en 1920 puis assiste aux obsèques de French, le commandant du corps expéditionnaire britannique durant la guerre... pour finir attablé avec George V.

Il goûte à la vie civile à partir de 1925 : après s’être marié, il travaille comme pompier à la poudrière de Sorgues, près d’Avignon. Mais le 13 avril 1939, alors qu’il descend de l’autobus, il est renversé par une voiture. Son état est si grave qu’il est transporté à l’hôpital où il décède le lendemain, à l’âge de 44 ans.

Roche aura disposé d’un « placard » conséquent : officier de la Légion d’honneur, médaille militaire, croix de guerre 1914-1918 avec palme de bronze, quatre citations à l’ordre de l’armée, insigne des blessés militaires pour ses neufs blessures, médaille commémorative de la Victoire, médaille interalliée, croix du combattant et croix du combattant volontaire 1914-1918.

Aujourd’hui, seul un monument dans sa ville natale célèbre Albert Séverin Roche en tant que soldat, et sa tombe est toujours visible au cimetière Saint-Véran d’Avignon... et sa mémoire demeure, tant pour ses 1180 soldats allemands faits prisonniers que pour ses hauts faits d’armes.

Albert Séverin Roche : Héros de la Grande GuerreLe monument en l'honneur de Roche à Réauville.
  • Witz Rédacteur, Testeur, Chroniqueur, Historien
  • « L'important n'est pas ce que l'on supporte, mais la manière de le supporter » Sénèque