La Donation de Constantin : une falsification qui a légitimé la puissance temporelle du pape ?

Sydfire
Sydfire
Contributeur
Thématique
15 janvier
2018

L’histoire est remplie de légendes, de faits historiques et de mensonges. Si l’épisode du cheval de Troie, le plan Tanaka, les carnets d’Adolf Hitler et les armes de destruction massive en Irak abordent le mythe, le fantasme et l’hypocrisie ; la Donation de Constantin (Constitutum Constantini) demeure la falsification la plus connue et la plus importante du Moyen Âge.

Le contenu de la Donation de Constantin

Le document est basé sur la légende de Saint Sylvestre qui traite de la relation entre l’empereur Constantin Ier (272 – 337) et le pape Sylvestre Ier (270 – 335).

Fresque anonyme du XIIe siècle, représentant la donation de Constantin (Rome, basilique des Quatre-Saints-Couronnées)Fresque anonyme du XIIe siècle, représentant la donation de Constantin (Rome, basilique des Quatre-Saints-Couronnées)

Le texte aborde, dans un premier temps, la conversion au christianisme de l’empereur après avoir été miraculeusement guéri de la lèpre par Sylvestre Ier. Puis dans un second temps, Constantin cède les églises du Latran, de Saint-Pierre et de Saint-Paul à l’Église chrétienne. Il lègue des biens dans plusieurs provinces de l’Empire et le palais du Latran. Il reconnaît la primauté du pape sur les Églises d’Orient. Enfin il remet les insignes impériaux et sénatoriaux à l’entourage du pape et délaisse ses territoires acquis en Occident à Sylvestre Ier. Bref, il transfère au pape l'autorité sur Rome et la partie occidentale de l'Empire romain.

Bien que la donation n’eût qu'un impact limité au moment de sa compilation, elle eut une grande influence sur les affaires politiques et religieuses de l'Europe médiévale jusqu’au moment de sa révélation fatidique en 1440 par un humaniste italien. Depuis sa première apparition officielle à la fin du VIIIe siècle, le document est finalement contesté au XVe siècle par Lorenzo Valla.

Des prétentions politiques et territoriales

En 754, Pépin le Bref, Maire du Palais, obtient du pape d’être reconnu roi à la place des Mérovingiens. Cette gratitude est notamment due par l’intervention du roi contre les Lombards (possédant l’exarchat de Ravenne) afin de supprimer l’autorité locale et menaçante vis-à-vis d’Étienne II.

L’empereur Constantin guidant le pape Sylvestre IerL’empereur Constantin guidant le pape Sylvestre Ier

Souhaitant garantir une union à long terme (la Donation de Pépin), le roi cède en partie Rome et l’Italie centrale (anciennement le territoire que les Lombards avaient pris aux Byzantins). Il s’agit du début des états pontificaux qui ne cesseront d’exister qu’en 1870. Cependant les territoires distribués appartiennent de manière légitime à l’empereur de Constantinople.

Malgré la valeur évidente de la Donation de Constantin pour la papauté, aucune mention n'en est faite au IXe ou au Xe siècle. Ce faux document a été inséré dans la collection connue sous le nom de Décret de Gratien. Le recueil de 3800 textes aborde les domaines de la discipline et de la réglementation ecclésiastiques, complété par le moine bénédictin vers 1140. Il est rapidement devenu le texte de base sur lequel les maîtres en droit canonique enseignent dans les universités.

Léon IX (1049-1054) est le premier pape à citer la Donation de Constantin comme autorité dans un acte officiel, et les papes suivants l’utilisent dans leurs luttes avec les empereurs romains et d'autres autorités séculières qui engendrent la Querelle des Investitures.

Critique de la papauté ou de la Donation de Constantin ?

Si le document n’est tout d’abord pas remis en doute, certaines critiques sont dirigées contre le pape. Les orthodoxes (provenant de l’empire d’Orient) s’opposent au pouvoir temporel du pape qui a cédé la souveraineté à Charlemagne dès son sacre en 800.

Constantin, victime de la lèpre ?Constantin, victime de la lèpre ?

En Occident, le document est aussi contesté dans son contenu. En effet, la donation est scandaleuse parce que le pape s'attribue le pouvoir temporel. Ceux qui contestent trop ardemment les puissances temporelles ou spirituelles de l’époque sont arrêtés.

Marsile de Padoue (1275 – 1342) affirme que le Pape n’a pas le droit à un état pontifical et que c’est bien l’empereur qui doit régner sur les territoires en Occident.

Dans la Divine Comédie, publiée au début du XIVe siècle, le poète Dante Alighieri écrit :

« Ah, Constantin, combien de mal est né
non pas de ta conversion, mais de ce don
que le premier pape riche a reçu de toi
 »

C’est à partir du XVe siècle, par une meilleure bureaucratie papale, que le cardinal Nicolas de Cusa le déclare falsifié et apocryphe (dans De concordantia catholica).

L’empereur est guéri par Sylvestre IerL’empereur est guéri par Sylvestre Ier

Puis en 1440, le don est révélé comme une contrefaçon. Lorenzo Valla publie son Discours sur la falsification de la prétendue Donation de Constantin, dans lequel il énumère les nombreux anachronismes historiques qui ont imprégné l'œuvre.

Valla a soutenu dans son étude philologique que la langue employée ne pouvait dater du IVe siècle. En réalité, c’est un récit produit par un clerc au VIIIe siècle (voulant remettre à l’honneur la basilique du Latran).

L’humaniste italien a pensé que la falsification était si évidente que l'Église savait que le document n'était pas authentique. Il soutient en outre que l'usurpation papale du pouvoir temporel avait corrompu l'église, provoqué les guerres d'Italie et renforcé la domination barbare et tyrannique des autorités religieuses.

Voici le début de la Donation de Constantin traduit en français :

« Au nom de la Sainte, et indivisible Trinité, c'est-à-dire du Père, du Fils et du Saint-Esprit, en Jésus-Christ, l'un de cette même Sainte Trinité, notre Dieu et notre Sauveur, l'Empereur César Flavius Constantin, fidèle, clément, bienfaisant, Alémanique, Gothique, Sarmatique, Germanique, Britannique, Hunnique, pieux, heureux, vainqueur et triomphateur, toujours Auguste, au très saint et très bienheureux père des pères Sylvestre, Évêque et Pape de la ville de Rome. »

Elle comprend de nombreux qualitatifs et d’emphases mélangeant le discours héroïque et théologique, un peu exagéré pour les rapporter à Constantin Ier.

Ce que Lorenzo Valla commente par la suite :

« Et voilà qui est bien plus absurde,
peut-on envisager de quelle manière
on puisse parler de Constantinople
en tant que siège patriarcal,
alors qu’il n’existait ni patriarche
ni siège, ni ville chrétienne
qu’elle ne soit ni nommée, ni fondée
ni même destinée à être fondée ?
En effet, le privilège a été accordé
le troisième jour après que Constantin eut été fait chrétien
quand Byzance existait, mais pas Constantinople
 »

En résumé :

  • Les villes sont nommées comme des patriarcats. Nous sommes au temps de Constantin, il n’y avait pas encore de pouvoir chrétien établi sur le territoire en Occident.
  • Il se fond sur la science politique. Il n’a jamais vu un empereur gagner tant de territoires pour ensuite les rendre à autrui.
  • Lorenzo Valla fait au travers de son travail une attaque implicite au pouvoir temporel illégitime qu’exerce le pape.

À savoir que la date du document est incompatible avec le contenu du document lui-même, puisqu'elle renvoie à la fois au quatrième consulat de Constantin (315) et au consulat de Gallicanus (317).

Une critique dure, mais plaisante de Valla à lire contre l’auteur du document :

« Scélérat, malfaiteur !
(…)
Quoi ? Que viennent faire ici des satrapes ?
Espèce de caillou ! Espèce de souche ! Est-ce ainsi que parlent les Césars ?
Est-ce ainsi que sont d’ordinaire conçus les décrets de Rome ?
Qui n’a jamais entendu parler de satrapes dans les assemblées des Romains ?
Je ne me souviens pas d’avoir lu nulle part
non seulement chez les Romains,
mais non plus dans une quelconque province romaine
un satrape signalé
 »

L’humaniste italien, Lorenzo VallaL’humaniste italien, Lorenzo Valla

En somme, Valla procède à une critique intéressante du document. Il analyse des faits historiques tout en les contextualisant à leur époque. Puis, par une analyse comparative de l’état de langue en latin, il parvient aux conclusions citées au-dessus. Par conséquent, il arrive à distinguer ce qui est authentique ou chimérique.

La Donation de Constantin a été utilisée afin de légitimer les prétentions politiques et de conserver les territoires attribués au pape au cours des siècles. Soucieuse de son pouvoir temporel, l’Eglise s’est vu critiquer par les fidèles par son manque de rigueur dans sa pratique religieuse ce qui a causé de profondes crises spirituelles durant le Moyen Âge tardif. La production d’un faux document puis l’usage de cette falsification par l’Église à travers les âges nous révèlent sans doute une part de naïveté de la part des puissances médiévales.

S’il y a bien une morale pour tout historien qui se respecte, il faut investiguer soi-même et prendre du recul face aux sources historiques.

Sources

  • Lorenzo Valla, La donation de Constantin, préface de Carlo Ginzburg, Les Belles Lettres, 1993.
  • Dante Alighieri. Inferno. Canto 19, lines 115–117
  • The latin librairy: CONSTITUTUM CONSTANTINI : www.thelatinlibrary.com/donation.html
  • N. Huyghebaert, « Une légende de fondation : le Constitutum Constantini », Le Moyen Âge, 85 (1979).
  • Lorenzo Valla, Discourse on the Forgery of the Alleged Donation of Constantine In Latin and English, English translation by Christopher B. Coleman, (New Haven: Yale University Press, 1922).
  • sydfireSydfire Contributeur
  • "En politique le choix est rarement entre le bien et le mal, mais entre le pire et le moindre mal." Machiavel