L'agogé spartiate : Formation et éducation guerrière

Poca
Thématique
Grèce antique
3 juin
2015

L'agogé spartiate : Formation et éducation guerrière

La grande originalité du monde Grec est l'intégration de la citoyenneté à l’État militaire. On ne peut envisager d'être citoyen sans être soldat. À Sparte, cette originalité est encore plus poussée.

Le statut de Spartiate implique trois conditions : avoir reçu l'éducation collective, participer aux syssities (repas commun entre les spartiates) et posséder un domaine. C'est la formation de la jeunesse qui a fait la force de Sparte. Elle est originale parce qu'elle est obligatoire, organisé par la cité et collective. Obligatoire, car, selon Xénophon, les jeunes ne suivant pas cette éducation, n'ont pas part aux honneurs, c'est à dire qu'ils ne peuvent ni intégrer les corps d'élites, ni accéder aux magistratures, ils ne sont alors que des citoyens diminués. Réciproquement, les inférieurs, par la participation à cette éducation peuvent accéder à la liberté, voire à la citoyenneté. Afin que les jeunes deviennent d'excellents soldats, la priorité est à l'éducation physique et au conditionnement du corps mais la lecture, l'écriture et la musique sont aussi enseignées. Le terme couramment employé pour désigner cette éducation est l'agogé (prononcé agogué). Elle repose sur des principes éducatifs comme la discipline et l’obéissance. Cette formation collective est obligatoire pour être reconnu comme citoyen, faute de quoi, le jeune spartiate se trouverait privé de l'accès aux fonctions honorables de la cité.

À Sparte, l'échec n'est pas admis, quel qu'il soit, car il jette, sur le perdant, une humiliation totale aux yeux des autres. Dans l'idéologie spartiate, un soldat préfère mourir plutôt que de se rendre. C'est pourquoi, tout le système de Sparte repose sur la sélection des meilleurs.

Lycurgue le législateur

Lycurgue le législateurPour les auteurs anciens, c'est à Lycurgue, que l'on doit la mise en place des structures spartiates. Législateur légendaire de Sparte, on ne sait rien de certain à son propos, pas même quand il a vécu. On dit qu'il fonda la constitution de Sparte, son système social et militaire.

Selon la légende, après avoir été exilé de la cité, ses concitoyens le rappellent à Sparte où il décide alors d'y composer une constitution. Il se rend donc à Delphes afin d'y interroger Apollon. La pythie l’accueille comme l'aimé du dieu. De retour à Sparte, il compose la Grande Rhêtra, texte fondateur des institutions spartiates. Il met en place plusieurs mesures dont les syssities et l'agogé. Ayant établi ces lois, Lycurgue souhaite l'avis d'Apollon et retourne à Delphes en défendant les spartiates de modifier ces règles avant son retour. Une fois arrivé à la ville sacrée, il demande à Apollon si les lois mises en place à Sparte sont bonnes. Le dieu lui répond favorablement. Considérant son œuvre accompli et ne voulant pas délier ses concitoyens de leur serment, il se suicide en se laissant mourir de faim.

Une politique eugéniste

Cette politique, menée par Sparte, a pour but de ne choisir que les meilleurs enfants. Dès la naissance, le nouveau né est attentivement examiné par les anciens. Si la plus petite déformation est constatée, le droit de vivre ne lui est pas accordé.

Une fois autorisé à vivre, il grandit jusqu’à l'âge de sept ans au sein de sa famille. Passé cet âge, il entre dans le premier cycle de sa formation. Contrairement à Athènes, où l'enfant est confié à un pédagogue esclave, à Sparte, il est confié à un paidonome. Celui-ci, accompagné de deux adjoints, les porteurs de fouets (mastigophores), a tous pouvoir sur les enfants et veille à ce qu'ils soient sévèrement punis lorsqu'ils se laissent aller. Ces jeunes, constamment surveillés, sont pris en charge par des citoyens. Ce système donne l'impression que l'enfant est enlevé à sa famille.

Les différentes classes d'âge

Pour Xénophon, l'éducation spartiate se divise en trois âge : l'enfance (pais) de 7 à 15 ans, l’adolescence (paidiskos) de 15 à 20 ans, et la jeunesse (hèbôn) de 20 à 30 ans. Plutarque marque une coupure vers l'âge de 12 ans qui voit la formation se durcir. Coupé du foyer paternel, les enfants marchent constamment pieds nus, ne portent qu'un seul manteau en toute saison et n'ont qu'une maigre ration de nourriture. Cependant, ils sont autorisés à voler pour compléter leurs repas au risque de recevoir des coups s'ils sont pris.

La période la plus importante de l'éducation spartiate est l'adolescence qui, pour eux, va de 15 ans à 20 ans. Leur corps et leur esprit ayant été formé à la robustesse et à l’obéissance, ils apprennent à se contrôler, à exiger le maximum de leur corps, leur esprit, et à se responsabiliser. Ils se livrent à de nombreuses activités exigeant beaucoup d'efforts comme des combats ou des exercices (seul ou en groupe) dans la campagne et la montagne, afin qu'ils ne dérivent pas vers les tentations de l'adolescence. Ils n'ont donc aucun loisirs et sont constamment sous tension. Les anciens exigent d'eux un comportement exemplaire. Par exemple, lors des repas en commun, ces adolescent n'ont le droit de parler que pour répondre aux questions qu'on leur posent. Dans la rue, ils doivent garder leurs mains sous leur manteau et marcher en silence tout en ne regardant que le sol devant eux. Ce genre de comportement permet à ces jeunes spartiates d'apprendre la discrétion et la retenue. Ce sont des qualités requises au même titre que la discipline et l'autonomie.

À 20 ans, ils ne sont toujours pas libres de mener leur vie. Par l'entrainement et des concours de toutes sortes, leur formation continue durant toute leur vie.

La pédérastie comme outil d'éducation

En premier lieu, la pédérastie spartiate correspond à des relations fraternelles ou paternelles mais jamais sexuelles. Selon Plutarque, les relations sexuelles avec les jeunes garçons sont honteuses et apportent le déshonneur. Elien, lui, assure que ce genre de relations sexuelles mènent vers l’exil ou la mort. Xénophon présente la pédérastie spartiate comme chaste, banale et nécessaire.

Cette pratique est avant tout considérée comme un outil d'éducation laissé à la libre volonté d'un adulte sensible à « la qualité de l'âme d'un enfant ». Il fait de cet enfant un ami avec lequel, il peut éventuellement vivre sous le même toit. Selon la coutume, un bon spartiate ne saurait se dispenser de prendre à sa charge un jeune garçon. Cette pratique est importante à tel point que si un jeune ne trouvait pas « preneur », ce serait vécu comme une honte.

Les Lacédémoniens apparaissent comme des spécialistes de la pédérastie éducative. Les explications de cette pratique sont multiples. Cela peut être le résultat de la nudité athlétique dans les gymnases, du culte du corps, de l'importance du temps passé en groupe exclusivement masculin. Mais les raisons les plus concrètes restent la volonté de transmission du savoir d'une génération à une autre et l'esprit de sélection. L’ethnologie analyse cela comme un rite de passage, une préparation par inversion aux relations hétérosexuelles dans le mariage ainsi qu'un procédé de passation de l'excellence de l'adulte.

La société spartiate met l'accent sur la double émulation (la compétition entre les jeunes sous le regard des adultes et les adultes entre eux pour susciter l'admiration des jeunes). Il est donc très probable que surgissent des sentiments amoureux, renforcés par les épreuves qui mettent en évidence les qualités physiques et psychologiques.

La kryptie

Jeune homme avec une lance, un pétase et une peau de léopard sur un bras. Coupe d'Onésimos, Staatliche Antikensammlungen de Munich.La kryptie ne fait pas partie intégrante de l'agogé, car elle ne concerne pas tous les jeunes spartiates, seulement un nombre restreint de spartiate passe par ce rituel de formation. Pour les participants, la kryptie peut cependant apparaître comme le couronnement de leur éducation.

Cette épreuve consiste à une retraite du jeune pendant une année, durant laquelle il erre dans les montagnes ou les campagnes, il se retire de la vie publique et reste caché. Il ne doit pas être vu tout le long de cette période sous peine d'être châtié. Souvent, il n’apparaît que la nuit pour voler de la nourriture et tuer des hilotes (paysans esclaves de Sparte, il vivent dans les campagnes et montagnes du Péloponnèse).

Le meurtre est une partie essentielle de la kryptie car il prouve le courage et la détermination du futur guerrier. Cela marque le point d'aboutissement de la formation militaire qui caractérise cette éducation.

Une rivalité permanente

La constante compétition est une des principales caractéristiques de la société spartiate. En effet, les occasions de mettre en concurrence les jeunes et les adultes ne manquent pas. Xénophon nous rapporte que toute activité sportive est l'occasion d'un agôn, d'une compétition. L'exemple le plus concret des rivalités entre jeunes et de la tension permanente nous est fourni par les textes traitant des hippeis.

Les hippeis, au nombre de trois cents, forment la garde royale au combat et une troupe de choc particulièrement efficace. Chaque année, trois cents soldats d'élites étaient sélectionnés parmi les hommes en pleine vigueur. Cette sélection apparaît comme un des plus grand honneur qu'un jeune spartiate peut recevoir. La perpétuelle compétition permet de dégager les meilleurs. C'est l'idéal de la méritocratie, base de la véritable aristocratie.

Cette éducation, aussi originale soit-elle, a toujours intrigué par sa dureté. Malgré les nombreuses critiques des autres grecs (généralement athéniens), Sparte, par son éducation a formé les meilleurs guerriers de Grèce durant les périodes archaïque et classique. La prédominance de son armée pose, d'une part, sa réputation dans toute la Grèce antique, et d'autre part, son pouvoir sur le Péloponnèse pendant plusieurs siècles. Ceci a aussi largement contribuer à nourrir la légende spartiate.

Pour en savoir plus

  • E. Levy, Sparte Histoire politique et sociale jusqu'à la conquête romaine, Éditions Du Seuil, 2003
  • J. Christien, F. Ruzé, Sparte Géographie, mythes et histoire, Armand Colin, 2007
  • Poca Contributeur
  • "Les guerres ont toutes sortes de prétextes, mais n'ont jamais qu'une cause : l'armée. Ôtez l'armée, vous ôtez la guerre." Victor Hugo