Les grandes épidémies (I) : La peste d'Athènes

L'Amiral
Thématique
Grèce ancienne
4 avril
2020

Une région ravagée par la guerre entre Sparte et Athènes, plusieurs dizaines de milliers de morts : voilà le bilan de la peste d'Athènes, qui a sévi entre 430 et 426 avant notre ère. Elle est la première épidémie à être consignée par écrit, et son caractère universel frappe les esprits. Qu'ils soients pauvres ou riches, les habitants de la Grèce antique sont tous touchés... notamment l'illustre Périclès, qui succombe de la maladie - et dont la mort va contribuer à ancrer cette pandémie dans les mémoires.

Qui dit épidémie... dit mode de vie

Avant tout, il s'agit de préciser qu'une épidémie est décrite comme le développement rapide d'une maladie en un lieu donné et sur un moment donné (sans nécessairement comporter une notion de contagiosité). Or, pour qu'une maladie se développe rapidement, il faut qu'elle trouve une quantité non négligeable d'hôtes ayant des interactions mutuelles.

Depuis environ le sixième millénaire avant notre ère, la révolution néolithique (développement de l'agriculture et de l'élevage) amène l'Homme à se sédentariser et donc à se regrouper - c'est à partir de cette époque qu'on note une augmentation du nombre d'individus, qui abandonnent petit-à-petit leur vie de chasseurs-cueilleurs.

Enfin, dernier point important : la sédentarisation et le développement des activités comme l'élevage bouscule l'équilibre écoépidémiologique d'alors, ce qui signifie que de nouvelles bactéries apparaissent ou parviennent à se développer plus facilement qu'auparavant.

C'est dans cette situation que se trouve la Grèce du Ve siècle avant notre ère. Les cités-États se développent, tout comme les populations... à tel point que l'urbanisation devient galopante, les individus quittant les campagnes pour rejoindre les villes. Athènes, à cette époque, compte environ 200 000 habitants en ses murs - nombre tout bonnement énorme pour l'époque - et à peu près le même nombre d'individus se trouvent dans la région, en Attique.

Le schéma urbain est considérablement brouillon : les maisons (en bois et torchis, quelques pièces, peu étanches) sont littéralement entassées et les rues, non pavées, accueillent les écoulements d'eaux usées et de pluie. Malgré les travaux de rénovation entamés par certains politiques athéniens, la plupart des quartiers de la ville conservent cette insalubrité latente.

Les grandes épidémies (I) : La peste d'AthènesPériclès, ici modélisé dans Assassin's Creed Odyssey, va succomber à la peste d'Athènes. Bien qu'atteint par cette maladie, son destin est toutefois légèrement différent dans le jeu...

En outre, la région est alors prise dans un violent conflit entre Athènes et Sparte, conflit qui amène son lot de ravages, de déplacements de populations et surtout de difficultés d'approvisionnement pour les denrées alimentaires.

Le stratège Périclès, qui défend Athènes, sait qu'il lui sera difficile de battre les Spartiates en rase campagne. Il décide donc tout simplement d'abandonner les territoires ruraux et d'utiliser les murailles d'Athènes et sa flotte à son profit... amenant des milliers de paysans à chercher refuge derrière les murs de la cité. Sparte en profite alors pour assiéger la ville, aggravant encore davantage la situation générale d'Athènes.

Des conditions propices à une épidémie

Tous les ingrédients sont alors réunis pour favoriser le déclenchement d'une épidémie d'une ampleur que l'Homme n'a encore jamais connu. Les réfugiés s'entassent dans Athènes, dont le réseau d'égouts ne couvre pas encore toute sa surface ; sans grands moyens, ces ruraux sont réunis dans les quartiers pauvres, déjà connu pour leur surpopulation avant le conflit.

La multiplication des habitants sur une même surface entraîne un manque d'hygiène flagrant, et le rationnement est très vite imposé pour économiser les vivres. Périclès décide d'utiliser à bon escient la domination athénienne des mers en envoyant ses navires chercher des denrées alimentaires dans tout le pourtour méditerranéen.

C'est donc un véritable ballet qui s'instaure très vite, avec des navires revenant de Phénicie, des cités portuaires grecques d'Asie Mineure, d'Égypte et même d'Italie... de nombreuses denrées provenant des quatre coins de la Méditerranée se retrouvent donc entreposées en l'espace de quelques jours dans les entrepôts d'Athènes.

Les grandes épidémies (I) : La peste d'Athènes  Les grandes épidémies (I) : La peste d'AthènesCarte du Pirée et des Longs murs garantissant les communications entre Athènes et son port (à gauche). La représentation du port du Pirée dans Assassin's Creed Odyssey (à droite).

Thucydide et la maladie

Cet événement a bénéficié d'une publicité relativement faible, puisque seul le « père de l'Histoire », Thucydide, l'a chroniqué. Thucydide est un contemporain de cette guerre, et présente surtout un profil intéressant : il a lui-même été infecté lors de cette épidémie. Au contraire des auteurs l'ayant précédé, Thucydide cherche à expliquer de manière rationnelle les faits et non par l'implication des dieux : c'est là que la poésie se sépare de l'Histoire.

Preuve de l'impact de cette épidémie sur la conscience des Athéniens : Thucydide interrompt son cycle sur la guerre du Péloponnèse pour consacrer un ouvrage à cet événement. Fin lettré et savant, l'auteur s'attache à décrire les symptômes de la maladie mais cherche aussi à établir son origine, tout en utilisant tout le champ lexical médical des connaissances de l'époque : le texte est aussi destiné aux générations futures pour qu'elles apprennent à reconnaître cette maladie et qu'elles ne soient pas prises au dépourvu.

Thucydide rédige son ouvrage un quart de siècle après la fin de l'épidémie, temps qu'il a mis à profit pour se renseigner sur ses causes, ses divers symptômes et pour consulter différents médecins. Pour lui, la maladie serait apparue en Éthiopie et aurait atteint les côtes grecques peu avant -430 par le biais de navires marchands égyptiens. Ce n'est qu'au début de l'été -430 (ou -429) que les premiers cas apparaissent à Athènes, notamment dans le port du Pirée... et auraient ensuite atteint le centre-ville via des marchandises ou des ouvriers. En voici la description que fait Thucydide :

« En général on était atteint sans indice précurseur, subitement en pleine santé. On éprouvait de violentes chaleurs à la tête ; les yeux étaient rouges et enflammés ; à l'intérieur, le pharynx et la langue devenaient sanguinolents, la respiration irrégulière, l'haleine fétide.

À ces symptômes succédaient l'éternuement et l'enrouement ; peu de temps après la douleur gagnait la poitrine, s'accompagnant d'une toux violente ; quand le mal s'attaquait à l'estomac, il y provoquait des troubles et y déterminait, avec des souffrances aiguës, toutes les sortes d'évacuation de bile auxquelles les médecins ont donné des noms. Presque tous les malades étaient pris de hoquets non suivis de vomissements, mais accompagnés de convulsions ; chez les uns ce hoquet cessait immédiatement, chez d'autres il durait fort longtemps.

Au toucher, la peau n'était pas très chaude ; elle n'était pas livide non plus, mais rougeâtre avec une éruption de phlyctènes et d'ulcères ; mais à l'intérieur le corps était si brûlant qu'il ne supportait pas le contact des vêtements et des tissus les plus légers ; les malades demeuraient nus et étaient tentés de se jeter dans l'eau froide ; c'est ce qui arriva à beaucoup, faute de surveillance ; en proie à une soif inextinguible, ils se précipitèrent dans des puits. On n'était pas plus soulagé, qu'on bût beaucoup ou peu.

L'on souffrait constamment du manque de repos et de sommeil. Le corps, tant que la maladie était dans toute sa force, ne se flétrissait pas et résistait contre toute attente à la souffrance. La plupart mouraient au bout de neuf ou de sept jours, consumés par le feu intérieur, sans avoir perdu toutes leurs forces. Si l'on dépassait ce stade, le mal descendait dans l'intestin ; une violente ulcération s'y déclarait, accompagnée d'une diarrhée rebelle qui faisait périr de faiblesse beaucoup de malades.

Le mal, qui commençait par la partie supérieure du corps et qui avait au début son siège dans la tête, gagnait ensuite le corps entier et ceux qui survivaient aux accidents les plus graves en gardaient aux extrémités les traces. Il attaquait les parties sexuelles, l'extrémité des mains et des pieds et l'on n'échappait souvent qu'en perdant une de ces parties ; quelques-uns même perdirent la vue. D'autres, aussitôt guéris, n'avaient plus dès lors souvenir de rien, oubliaient leur personnalité et ne reconnaissaient plus leurs proches. »

Aucun des traitements médicaux essayés sur les malades ne fonctionnent, pas plus que les prières ou autres rituels religieux. Personne n'est épargné, autant ceux en bonne santé que les faibles peuvent développer la maladie, et ceux qui tentent d'aider les souffrants tombent à leur tour.

Thucydide note cependant que ceux qui survivent à l'infection ne la développent plus ensuite - théorie de l'immunité qui ne sera développée qu'à la fin du XIXe siècle avec Pasteur et Koch - et que les plus précaires, c'est-à-dire les réfugiés et les pauvres, sont ceux chez qui la maladie est la plus virulente.

Les grandes épidémies (I) : La peste d'AthènesLa peste dans une cité antique (la peste d’Athènes) par Michiel Sweerts en 1652.

La « peste », vraiment ?

Devant l'ampleur de la contagion et l'absence de traitement valable, les Athéniens baissent très vite les bras, résignés. Les structures sociales s'effondrent alors peu à peu, Thucydide parlant même de « désordre moral croissant » : les dieux ne sont plus respectés, les défunts eux-mêmes sont ensevelis rapidement et sans rites, la criminalité explose...

Pis, c'est une catastrophe pour la cité en guerre, qui perd en 40 jours 1050 hoplites sur 4000... puis 4400 hoplites et 300 cavaliers lors de la deuxième vague d'un an. En plus des civils décédés, c'est donc toute la société athénienne qui est touchée, voire décapitée : certains auteurs vont jusqu'à estimer qu'un tiers de la société athénienne a péri, d'autres parlent de 70 000 à 80 000 cas. Périclès lui-même en décède, amenant cet événement à être considéré comme la fin de l'âge d'or athénien...

Mais si on parle aujourd'hui de la « peste » d'Athènes pour cette maladie, est-on certain que la bactérie Yersinia pestis en est à l'origine ? Plusieurs générations de scientifiques ont planché sur la question, bien qu'il est difficile de caractériser une maladie avec un diagnostic rétrospectif sans aucune preuve « matérielle ».

Ainsi, en 1860, l'universitaire écossais Munro publie un ouvrage dans lequel il rassemble les avis de plusieurs spécialistes consultés au sujet de la maladie : si tous admirent la précision de l'oeuvre de Thucydide, aucun ne donne le même diagnostic. Ainsi, certains auteurs parlent d'une maladie aujourd'hui disparue, d'autres de la peste noire ou du typhus, de la scarlatine ou de la variole... sans vraiment convaincre.

De nos jours, trois maladies probables sont les plus évoquées. En premier lieu le typhus, qui est transmis par le pou du corps et favorisé par la proximité des individus ; de plus, la majorité des symptômes correspondent à cette maladie. Vient ensuite la variole, qui est elle proposée depuis 900, mais sous une forme « bâtarde » hémorragique. Enfin, en dernière position vient la rougeole maligne, théorie défendue depuis le début des années 1950 par certains spécialistes.

Si, de nos jours, on sait qu'un individu atteint de rougeole y sera immunisé plus tard, à l'époque la population athénienne peut très bien n'avoir encore jamais développé cette maladie - et donc les anticorps adéquats. Point troublant : lors d'épidémies de rougeoles au XIXe siècle, les malades avaient tendance à vouloir se jeter dans l'eau glacée pour se soulager... comportement décrit aussi par Thucydide.

Le problème principal pour définir clairement cette maladie est celui du manque de données sur l'âge ou la condition physique des patients ; le « père de l'Histoire » n'évoque pas non plus les différents stades de développement de la maladie.

Enfin, virus et bactéries sont des êtres vivants qui évoluent donc avec le temps : une maladie développée au Ve siècle avant notre ère n'a très certainement rien à voir avec une épidémie ayant fait rage au XXe siècle sur le plan de son ADN ou de ses symptômes.

Impossible donc, de nos jours, de dire quel est véritablement le mal ayant ravagé Athènes entre à partir de -430... Mais de par son ampleur et sa retranscription par écrit, cet événement demeurera la première identification d'une épidémie ayant frappé l'Homme.

Les grandes épidémies (I) : La peste d'AthènesPour de multiples raisons, la Peste d'Athènes est un événement marquant de l'aventure d'Assassin's Creed Odyssey. Selon la légende, Hippocrate le « père de la médecine », ici modélisé dans le jeu, aurait contribué à la guérison des Athéniens.

Sources

  • Patrick (A.), Disease in Antiquity : Ancient Greece and Rome, Charles C. Thomas, 1967.
  • Grmek (M.), Les maladies à l'aube de la civilisation occidentale, Payot, 1983.
  • Thucydide, La Guerre du Péloponnèse, Folio classique, 2000.
  • McSherry (J.), « The plague of Athens », Journal of the Royal Society of Medicine, n°85, novembre 1992.
  • Witz Rédacteur, Testeur, Chroniqueur, Historien
  • « L'important n'est pas ce que l'on supporte, mais la manière de le supporter » Sénèque