Le Grand Condé : Défaite politique et trahison (2/2)

Du Plessis
Thématique
8 juin
2016

Voici la seconde partie du second volet de notre chronique consacrée au Grand Condé. Bonne lecture !

Retrouvez le premier volet de cette chronique sur le Grand Condé par ICI et la première partie du second par .

Le délitement de la Fronde

Mazarin est parti. Bien qu’établi à Brühl, loin des affaires, sa situation laissait néanmoins toute liberté d’action à la régente. Elle eut l’intelligence de demeurer à Paris. C’est là qu’il fallait mener la danse, avec ou sans le cardinal. Mais était-il vraiment absent ?

Au commencement, à défaut de disposer à sa guise des événements, Anne d’Autriche se mettait à leur disposition, prête à tirer profit de toute ouverture. La guerre contre un ennemi commun engendrait toutes les alliances, éclipsait peut-être les divisions. Mais la Fronde n’était qu’un écheveau d’intérêts particuliers. La paix revenue, ils refaisaient surface, à l’image des fauves longtemps tenus en bride, et brutalement libérés de leurs chaînes. Un pour tous et...chacun pour soi !

L’exigence des nobles avait été entendue. L’ordre et la tranquillité publique représentaient le souhait immédiat. Plus rien désormais ne justifiait que l’on garda l’épée hors du fourreau.

Mais Condé, préoccupé derechef par le besoin d’abreuver ses réseaux, mobilisa son énergie à reconstruire une armée. Une violation éhontée de la promesse solennelle envers la régente, et donc envers le roi, qui déclencha une profonde indignation, même chez des soutiens. En cette période d’anarchie organisée, l’obéissance et la loyauté se morfondaient dans une précarité existentielle. Des métiers il faut le dire bien rudes pour ceux qui faisaient du commandement une habitude. Mais le sens politique, voilà bien une chose essentielle au commun des puissants. Le comportement même le plus indigne – la reine-mère et le jeune roi restaient prisonniers en leur palais ! – exigeait un minimum de respectabilité ou de déférence feinte. Or, Condé se complaisait trop dans le spectacle de son arrogance. Et nombre de ses alliés d’hier commencèrent à le trouver encombrant, voire dangereux.

Diviser pour régner

Portrait de Gaston de France
Portrait de Gaston de France

Le duc d’Enghien est exaspéré des faveurs accordées par Anne d’Autriche à son cousin Gaston d’Orléans. La démarche délibérée de la régente ne devrait pourtant tromper personne. La menace que Condé représente pour son fils est réelle. Il faut donc le blesser dans son orgueil, le pousser à la faute, et le moment venu, elle n’hésitera pas à se débarrasser de lui. Pour cela, souffler sur les braises constitue une solution tout indiquée.

Comme nous l’avons dit, chacun veut sa part du gâteau. Mazarin, lequel demande pour l’heure de ne pas être rappelé, doit se tenir encore éloigné. Un retour prématuré ressouderait l’union chancelante de ses ennemis. Mais il n’est pas inactif. Une correspondance abondante avec Anne d’Autriche le tient informé et lui permet de distiller quelques conseils que cette dernière s’emploie à appliquer avec brio. Choyant d’un côté, suscitant l’ire de l’autre, elle veut provoquer une cassure dans la rébellion qui a obtenu le départ du ministre. Les Sceaux sont retirés à Chateauneuf pour rejoindre les mains de Molé et Savigny, anciens frondeurs ulcérés par le prince.

De fil en aiguille, les deux frondes s’émiettent, perdues dans les batailles d’égo. Le coadjuteur sent venir la poudre et choisit un retrait stratégique dans son archevêché. Condé sourit, pensant voir un renoncement de son rival. Il a tort. C’est lui la prochaine cible d’une reine qui a bien senti l’effondrement de son capital de sympathie. Elle se contente dès lors d’attendre, consciente que son meilleur atout réside dans l’impétuosité du prince.

Portrait d'Henri de La Tour d'Auvergne, dit Turenne
Portrait d'Henri de La Tour d'Auvergne, dit Turenne

Anne d’Autriche a vu juste, car ses maladresses s’enchaînent à un rythme effréné. Son carrosse rencontrant celui du roi, il le salue sans descendre du sien et d’un geste presque désinvolte. Plusieurs jours après, il ne s’acquitte pas de l’habituelle mais indispensable visite protocolaire à la reine, prétextant une tentative d’assassinat. Excuse d’autant plus absurde que cette dernière serait bien mal avisée de donner l’occasion à Condé de se faire passer (encore !) pour une victime.

En août 1651, sa réception au Palais-Royal n’est pas des plus chaudes. Une fois sorti, il prend la décision de partir en guerre. En féodal patenté, il signe en présence de ses amis un traité par lequel toutes les mesures nécessaires seraient prises pour qu’on assurât définitivement sa sécurité, au besoin par la force. On hallucine !

Anne d’Autriche, qui n’ignore rien de ce projet surréaliste, contre-attaque. Elle obtient la neutralité de Retz. Le coadjuteur apprend en effet que la reine a demandé pour lui auprès du Saint-Siège le chapeau de cardinal. Un nouveau coup dur pour Condé. Quelques temps auparavant, le prince s’était déjà brouillé avec Turenne. Anne d’Autriche en avait alors profité pour lui conférer le statut de prince étranger, qui le plaçait au-dessus des ducs et pairs de France. Elle s’assurait par-là d’un allié qui se révèlerait très précieux pour la suite.

La fuite en avant

Acculé, le duc d’Enghien privilégie la surenchère victimaire. Convoqué devant le Parlement le 17 août, il est sommé de s’expliquer. Pendant ce temps, la reine lui assène moult griefs. Elle passe en revue tous les privilèges qui lui ont été accordés et fustige son manque de reconnaissance. Des incidents éclatent entre Condé et le coadjuteur, le premier lui reprochant sa versatilité ; on doit donc suspendre la séance.

Le 4 septembre, à cause du soutien apporté à celui-ci par Gaston d’Orléans, Anne d’Autriche se voit contrainte de faire machine arrière. Mais ce n’est que partie remise. D’ici quelques jours, le jeune Louis XIV atteindra la majorité (13 ans) nécessaire pour pouvoir gouverner. C’est chose faite le 7 septembre.

Portrait de Louis XIV par Juste d'Egmont (1654)
Portrait de Louis XIV par Juste d'Egmont (1654)

Désormais, le roi aura son mot à dire, ce qui n’augure rien de bon pour la suite. Cela signifie entre autres que plus rien ne fera obstacle aux décisions de la régente. Les nominations aux postes stratégiques achèvent sur ce point d’enlever ses dernières illusions au prince. À partir de là, les évènements s’emballent.

En octobre, le roi fait rédiger une déclaration dans laquelle lui et ses alliés sont accusés de crime de lèse-majesté.

Bien évidemment, Condé ne réagit pas en politique. Plus la situation semble désespérée, plus le désir de vaincre augmente, contre toute raison. Son refus de plier devant l’adversité l’a engagé sur une pente dont il ne pourra plus s’extraire.

Dans cette fuite en avant radicale, Condé montera d’un cran dans la trahison, allant jusqu’à proposer ses services à.…l’Espagne. Une puissance contre laquelle il avait pourtant obtenu ses plus grands titres de gloire.

(Dernière partie : Défaite militaire et retour en grâce)

  • Du Plessis Ancien membre d'HistoriaGames
  • "La politique consiste à rendre possible ce qui est nécessaire." (Richelieu)