Léonidas Ier, un destin héroïque

10 octobre 2016 par Brasidas | Grand Homme de l'Histoire | Grèce antique | Chronique

En ce XXIème siècle, la figure de Léonidas fut popularisée par l’excellent film  300  de Zack Snyder. Dans ce long métrage, le roi de Sparte apparaît comme un colosse qui par son sacrifice sauva la Grèce de l’invasion des Perses. Bien évidemment le film ne se veut pas être une fidèle reconstitution historique, néanmoins certains éléments concernant Léonidas sont bel et bien authentiques, d’autres sont purement fictifs.

Il est utile de rappeller que tout ce que nous savons de Léonidas et de la bataille des Thermopyles a été rapporté par des auteurs anciens tels qu’Hérodote et Plutarque. La réalité historique a sans doute pu être déformée.

C’est pourquoi le présent article s’attachera à présenter ce souverain exceptionnel qui fut en son temps divinisé après son sacrifice, tout en considérant que sa vie ait pu être travestie.

Dès cette époque jusqu’à aujourd’hui, son courage et son sacrifice force l’admiration. En revanche, plusieurs éléments de sa vie sont relativement méconnus du grand public. Nous allons donc lever le voile sur ce souverain qui a marqué de son empreinte le monde grec face à son ennemi mortel, la Perse.

300 de Zack Snyder
300 de Zack Snyder, adapté de ses propres comics, popularisa le sacrifice de Léonidas, interprété par Gerard Butler, et ses hommes par le biais d'un film qui connu un franc succès.

Léonidas, roi malgré lui

Statue moderne en bronze de Léonidas au centre de Sparte.Statue moderne en bronze de Léonidas au centre de Sparte.

Nous ne savons que peu de choses sur Léonidas avant sa campagne militaire contre les Perses. Ce que l’on peut affirmer avec certitude c’est qu’il naît vers 540 avant J.-C. de l’union du roi Anaxandridas II et de sa première épouse. Sa famille fait partie de la dynastie des Agiades, celle-ci gouverne Sparte avec une autre lignée royale, celle des Eurypontides.

Ainsi, dès son enfance, Léonidas appartient à une fratrie composée de l’aîné Dorieus, d’un cadet Cléombrote, et d’un demi-frère plus âgé, Cléomène, issue de la seconde épouse du vieux roi.

Lorsqu’Anaxandridas meurt, c’est Cléomène Ier qui monte sur le trône dans les années 520 avant notre ère.

Ce dernier possède un tempérament extrêmement fougueux, pour certains il serait même fou. Au cours de son règne, sa fille Gôrgo épouse son oncle Léonidas, celle-ci à environ trente ans de moins que son nouveau mari. De cette union naît Pleistarchos, le seul fils du couple.

La Pythie, jeune femme vierge dont la vie toute entière est dévolue au dieu Apollon. Tableau de John Collier, Prêtresse de Delphes, 1891, musée national d'Australie-Méridionale (Adélaïde)La Pythie, jeune femme vierge dont la vie toute entière est dévolue au dieu Apollon.
Tableau de John Collier, Prêtresse de Delphes, 1891, musée national d'Australie-Méridionale (Adélaïde)

Quant à Dorieus, qui est le successeur légitime du nouveau souverain, il tente de se faire un nom en organisant une expédition en Afrique du Nord puis en Sicile contre les Carthaginois afin de fonder des colonies et d’accroître l’influence spartiate.

Malheureusement, celui-ci meurt avec la totalité de ses compagnons dans une embuscade tendue par l’ennemi. Cette mort tragique a peut être inspiré son frère Léonidas lorsque celui-ci se vit encercler par les Perses et qu’il choisit de combattre jusqu’à son dernier souffle comme le voulaient les Lois de Sparte.

Du côté de Cléomène Ier, ses actions et son tempérament deviennent complètement incontrôlable. À cause de sa politique qui le porte à toujours vouloir guerroyer, Sparte s’attire des ennemis redoutables comme Athènes ainsi que l’immense Empire Perse.

De plus la situation politique est instable, car, en 490 av. J.-C., Cléomène destitue le deuxième roi de Sparte, Démarate, et le remplace par le docile Léotychidas II. Pour mener à bien sa manœuvre, le roi fou a acheté la bienveillance de l’oracle de Delphes. Les révélations de Delphes sont hautement importantes dans les affaires politiques du monde grec. En effet, c’est par la bouche de sa prêtresse, la Pythie, que les Dieux parlent. Et gare à celui qui va à l’encontre de sa parole !

Relief de Darius Ier à PersépolisRelief de Darius Ier à Persépolis

Désormais, étant un souverain déchu, Démarate se met au service du roi de perse Darius. Il devient ensuite le conseiller de son fils Xerxès lorsque ce dernier prend le pouvoir. C’est ainsi que le roi en exil fournit de nombreuses informations sur Sparte et la Grèce à l’ennemi.

L’année suivante, les manigances de Cléomène Ier sont éventées. Après quelques péripéties il est finalement mis en prison par ses demi-frères Léonidas et Cléombrote. Sa famille veut protéger Sparte de sa démence.

Cléomène meurt peu après en prison, la folie s’est totalement emparée de lui, Hérodote nous fait part de son suicide : « Dès qu'il eut ce fer en mains, Cléomène s'en laboura le corps, en commençant par les jambes: il se lacéra la chair en remontant des jambes aux cuisses, des cuisses aux hanches et aux flancs, puis il parvint au ventre et périt en se hachant littéralement les entrailles. » C’est dans cet atroce bain de sang que Léonidas devient roi de Sparte, il est alors âgé de 50 ans.

Une marche vers la guerre irrésistible

Les premières années du règne de Léonidas sont méconnues avant l’entrée en guerre de Sparte contre l’empire de Xerxès. Nous ne connaissons pas exactement la date où il devient roi, les historiens sont divisés et les estimations varient de 493 à 489 avant notre ère. En tout cas, les actions politiques et militaires des cités grecques sont tournées vers la Perse.

Carte représentant le monde grec durant son conflit avec la Perse de Darius Ier puis Xerxès.
Carte représentant le monde grec durant son conflit avec la Perse de Darius Ier puis Xerxès.

En effet, en 499 avant J.-C., Athènes et Erétrie ont soutenu les révoltes de cités grecques d’Ionie. Ces dernières sont situées sur le territoire de l’Empire Perse. Les Perses réagissent violemment en écrasant la rébellion dans le sang. Désormais le Grand Roi est furieux, il compte anéantir les Grecs en portant la guerre directement chez eux.

Avant de lancer l’attaque, les Perses envoient des émissaires aux quatre coins de la Grèce et notamment à Sparte, afin d’obtenir la soumission des différentes cités à l’empire. Les messagers demandèrent « de la terre et de l’eau », autrement dit faire acte d’allégeance au Grand Roi de Perse Darius. Devant cet affront, les farouches spartiates jetèrent les arrogants ambassadeurs dans un puits en leur disant que : « s’ils voulaient de la terre et de l’eau pour leur roi c’était l’endroit où il convenait d’aller en chercher. »


Le film « 300 » de Zack Snyder transpose à l'écran l'anecdote d'Hérodote concernant les messagers perses qui furent jetés dans un puits par les Spartiates.

Ces réponses ont permis à Darius de connaître les cités qui lui étaient le plus hostiles.

Lorsque la première guerre débuta en 490 avant J.-C., Léonidas fut vraisemblablement marquée par la victoire athénienne de Marathon contre les envahisseurs perses. Les renforts spartiates n’ont pu arriver à temps pour aider les alliés grecs du fait de la célébration d’une fête religieuse très importante en l’honneur d’Apollon, les Karneia. Cette cérémonie millénaire, venue des coutumes de l'antique Mycènes marque la célébration de la fin de l’été et le début de l’hiver. Une trêve militaire est obligatoire pour mener à bien les festivités jusqu’à la pleine lune suivante.

Nous ne savons pas si à ce moment là Léonidas était roi ou si c’était encore son frère à demi-fou qui tenait les rênes du pouvoir. Ce qui est sûr en revanche, c’est que la victoire d’Athènes et de ses alliés face aux Perses marquent profondément les Spartiates qui étaient alors les premiers à exceller dans le domaine militaire.

En 485 avant J.-C., Darius meurt et c’est son fils Xerxès qui prépare l’invasion de la Grèce. Selon Hérodote, l’armée perse ne comptait pas moins de 100 000 soldats, 20 000 cavaliers et 1 200 navires. Sparte tente cette fois-ci d’envoyer des messagers afin de trouver une solution diplomatique à cette crise.

Xerxès ne veut rien entendre, il veut se venger par le fer et par le feu. Sparte va désormais entrer pleinement dans un conflit pour sa survie en tant que cité libre.

Le sacrifice de Léonidas

Relief de Xerxès Ier sur son tombeau à Naqsh-e RustamRelief de Xerxès Ier sur son tombeau à Naqsh-e Rustam

La situation semble difficile pour les Grecs, surtout qu’une grande partie de la Grèce décide de se rallier à Xerxès. L'autre partie suit Sparte et Athènes afin de faire face aux Perses. Une alliance voit le jour en 481 avant J.-C., les cités de ce deuxième ensemble jurent de ne plus se faire la guerre et de repousser l’envahisseur.

Léonidas fut naturellement désigné comme le chef militaire de cette nouvelle coalition qui ne put rassembler que 7000 hommes, moins de 300 navires et aucun cavalier. La disproportion des forces semble sans espoir du côté grec, mais Léonidas est bien décidé à combattre, il connaît la prophétie de l’oracle qui lui avait annoncé que : soit Sparte perdrait son roi ou soit c’est la cité toute entière qui serait détruite sous les coups de l'armée de Xerxès.

L’étroit défilé des Thermopyles fut donc choisi afin de bloquer l’avancée des Perses et leur barrer l'accès à la Grèce centrale. Une poignée d’hommes pourraient ralentir l’ennemi tandis que la flotte grecque stationnée non loin attaquerait sans relâche les navires du Grand Roi.

Au printemps 480, l’armée perse avec ses innombrables soldats et cavaliers se met en route. Elle a pour objectif de dévorer la petite Grèce. Léonidas l’attend avec 300 Spartiates qui ne constituent qu’une avant-garde. En effet les renforts ne doivent arriver qu’après la célébration des fêtes de Karnéia. En cela le roi respecte parfaitement les dieux et n’interrompt pas les célébrations religieuses.

Ses 300 hoplites sont en fait sa garde personnelle. Elle est composée de pères qui ont plusieurs fils, cela afin de ne pas mettre à mal la démographie de Sparte déjà très fragile. La plupart de ces hommes sont des hippeis, l’élite des hoplites spartiates entraînée depuis leur plus jeune âge à combattre.

Représentation fantasmée d'hoplites spartiates à la bataille des Thermopyles.
Représentation fantasmée d'hoplites spartiates à la bataille des Thermopyles.

Mais Léonidas peut aussi compter avant la fin des Karnéia sur des contingents alliés (Thespiens, Thébains, Phocidiens et Locriens). Au total il dispose de 7 000 hommes face à la multitude perse. La phalange hoplitique se met en ordre de bataille et bloque le seul passage qui mène à la Grèce centrale.

Certains s’étonnent et demandent à Léonidas pourquoi celui-ci n’a que si peu d’hommes. Fidèle à la mentalité de Sparte, ce dernier réplique : « J'ai tous les hommes qu'il me faut, puisqu'ils vont tous mourir ! » (Plutarque, Apophthegmata Laconica, 225c.8-9.).

Ainsi à près de 60 ans Léonidas sait qu’il va mourir de la façon la plus belle qui soit pour un Spartiate, la mort au combat. Il montre à l’ennemi et aux autres Grecs qu’il se battra jusqu’à son dernier souffle. Les Spartiates qui l’accompagnent sont aussi prêts à se sacrifier.

Par exemple Dienekes qui accompagne son roi, est averti par un Grec que les Perses ont pour habitude de noyer leurs ennemis avec une telle quantité de flèches que celles-ci cachent le soleil. Le Spartiate répond simplement : « Tant mieux ! Nous allons nous battre à l'ombre ! » (Hérodote, Histoires, Livre VII, section 226).

Les Spartiates veulent tellement en découdre que Léonidas ne trouve pas de messagers pour porter des nouvelles du front à Sparte. Il demande d’abord à un de ses guerriers qui  refuse en disant : « Je suis ici pour me battre, pas pour servir de messager ». Le roi réitère sa demande auprès d’un autre de ses soldats. Peine perdue ! Celui-ci lui rétorque : « Je ferais mieux mon devoir en restant ici, et de cette façon, les nouvelles seront meilleures. »

Le premier jour de la bataille, les Perses sont étonnés de voir ces étranges guerriers. En effet, les Spartiates peignent tranquillement leurs longs cheveux, qui sont un symbole de leur condition d’homme libre, avant de se mettre en ordre de bataille. Xerxès, voyant un si petit nombre d’hommes pour l’affronter, propose à Léonidas de lui épargner la vie ainsi qu’à ses hommes s’il dépose les armes. Le roi de Sparte lui répond laconiquement : « Viens les prendre ! » (Plutarque, Apophthegmata Laconica, 225c.11.).

Ces anecdotes, rapportées par les auteurs anciens tels qu’Hérodote et Plutarque, nous montrent bien à quel point les Spartiates menés par leur roi sont des hommes déterminés, prêts à sacrifier leur vie même pour un combat qui semble perdu d’avance. De plus, ils font preuve d’une répartie allant même jusqu’à provoquer Xerxès alors que c’est lui qui a toutes les chances de gagner.

Malgré son armée imposante, durant deux jours les Perses n’arrivent pas à percer les murs de lances et de boucliers grecs. Le choix de ne prendre que peu d’hommes fut tout à fait judicieux. Malheureusement, un traître du nom d’Ephialtès montre à l’ennemi comment contourner les défenses grecques à travers un chemin dérobé.

Le troisième jour les Grecs sont encerclés. Léonidas se savait condamné depuis le début : il avait dit à sa reine en partant aux Thermopyles : « Épouse un homme de valeur, et donne-lui des enfants de valeur. » (Plutarque, Apophthegmata Laconica, 225a.2).

Il décide de rester avec ses 300 Spartiates ainsi que 700 hoplites de Thèbes et de Thespies. Les autres alliés sont congédiés. Le vieux roi de Sparte envoie un message à la flotte grecque pour lui ordonner de se replier car l’armée de Xerxès va passer le défilé des Thermopyles.

Léonidas conseille à ses hommes de bien manger, car : « ce soir, nous dînerons aux enfers ! ».

L’attaque est lancée à 9 heures, les Perses envoient leurs soldats d'élites, les immortels, et encerclent les Grecs, mais ces derniers se battent avec l’énergie du désespoir. Léonidas meurt sous les assauts répétés de l’ennemi. Ses hommes tentent de récupérer son corps.

La mêlée est sanglante et furieuse, les derniers hoplites qui ont vu leur lance brisée se battent à coup de couteau, de poings et même avec les dents. Après plus de deux heures de combat, tout est fini. Le corps de Léonidas est atrocement mutilé selon les ordres de Xerxès.

Bien que cette bataille fut une défaite pour les Grecs, elle permit néanmoins à la flotte de se replier et de vaincre les Perses dans le détroit de Salamine. Sans le sacrifice de Léonidas les Grecs auraient perdus la guerre.

Quelques vers du poète Simonide de Céos célébrant le sacrifice des 300 :

« ὦ ξεῖν', ἀγγέλλειν Λακεδαιμονίοις ὅτι τῇδε
κείμεθα τοῖς κείνων ῥήμασι πειθόμενοι νομίμοις
 »

« Etranger, va dire à Lacédémone
Que nous gisons ici par obéissance à ses lois. »

— (trad. Philippe-Ernest Legrand)

Ainsi, lors de la bataille des Thermopyles, le roi de Sparte et ses hommes ont fait preuve d’un courage et d’un sens de l’honneur poussé à un paroxysme qui ne fut jamais égalé dans l’Histoire. Léonidas était avant tout un guerrier prêt à sacrifier sa propre vie pour sauver sa cité.

Son courage et sa volonté inébranlable ont permis de guider ses hommes vers la plus belle des victoires : une gloire intemporelle.

Source

  • Peter Green (Auteur), Denis-Armand Canal (Traduction), Les guerres médiques, Editions Tallandier, 2008, 446 pages.
  • Georges Devereux, Cléomène le roi fou, Etude d'histoire ethnopsychanalytique, Aubier Montaigne, coll. « Psychologie », 1998, 212 pages.
  • Victor Davis Hanson, Les guerres grecques, 1400-146 av. J.-C., Editions Autrement, 2000, 223 pages.
  • Hérodote (Auteur), Andrée Barguet (Traduction), L'Enquête, Folio, 1985, 608 pages.
  • Brasidas Ancien membre d'HistoriaGames
  • "Les Spartiates ne s'inquiètent pas de savoir combien sont les ennemis, mais seulement où ils sont !" Cléomène III