Confrontation épique N°2 - Napoléon contre Souvorov : le choc des générations

13 mars 2015 par Da Veenci | Confrontation épique | Époque moderne | Chronique

Confrontation épique N°2 - Napoléon contre Souvorov : le choc des générations

La troupe s'avance à petits pas dans la forêt. Les brumes de la guerre se dissipent peu à peu. Soudain, les soldats se baissent : un homme vient de s'écrouler, mortellement touché. Après quelques secondes de répit, le régiment reprend sa marche. Son commandant, placé en tête, ne porte plus de chapeau, il est tombé quelques mètres plus haut. L'officier donne ordre aux tambours de sonner la charge, il s'empare du drapeau et une immense clameur s'échappe de la troupe. La charge a débuté.

De l'autre côté de la rivière qui borde le bois, des grenadiers autrichiens campent, accompagnés des canonniers. Ils pensent la victoire acquise. Mais leur lieutenant est aux aguets et quand il entend le bruit sourd accompagné de cris qui se dirigent droit vers sa position, il comprend tout de suite que ces maudits révolutionnaires n'ont pas abandonné. Il ordonne à ses troupes de se positionner pour les recevoir.

Soudain, les Français déboulent de la forêt. Les grenadiers autrichiens se positionnent sur leur berge pour les accueillir à coup de mousquet et, s'il le faut, à coup de baïonnette. Ils attendent l'ordre de tirer. Mais alors que les premiers coups de canon tonnent et que des grappes de soldats ennemis s'effondrent en montant sur le pont, l'officier autrichien croit reconnaître son homologue français, qui charge avec vigueur sa troupe : c'est le Bonaparte !

Eh oui, chers lecteurs, vous êtes à Arcole en 1797 et cette charge restera dans l'Histoire...

Biographie du petit caporal

Napoléon au pont d'Arcole, par Antoine-Jean Gros, (ca. 1801), Louvre, Paris.Napoléon Bonaparte est né le 15 août 1769 à Ajaccio en Corse. Issu d'une famille de la petite aristocratie, il obtient une bourse pour aller étudier dans la métropole, au collège militaire de Brienne. Il montera ensuite à la capitale, étudiant à l'École Militaire de Paris, où il étudiera l'art savant qu'était l'Artillerie. Il rejoindra la cause révolutionnaire en 1789 et remportera sa première victoire au siège de Toulon en 1793.

Sous le Directoire, il se verra confier le commandement de l'Armée d'Italie, qu'il mènera de victoire en victoire, boutant les Autrichiens de la Botte. Il part ensuite en Égypte, où après une campagne partiellement réussie, mais où la flotte française fut détruite à Aboukir, il repartit pour la France. Il y trouve un peuple lassé de la corruption et des excès du Directoire qui désire un changement de pouvoir. Il prend le pouvoir par un coup d'État le 9 octobre 1799 (18 brumaire) et instaure un régime consulaire dont il est le premier consul, assisté des consuls Cambacérès et Lebrun.

Il devient empereur avec un sénatus-consulte (plébiscite) en 1804. La guerre reprendra alors avec le reste de l'Europe, de brefs intermèdes pacifiques interrompront cette période de guerre quasi constante de 1805 à 1815. Malgré ses nombreuses victoires militaires sur le continent, ses ennemis n'abandonneront pas le combat et lors de la Retraite de Russie (1813-1814), son Empire s'écroulera sous les coups des Coalisés et de certains alliés qui se sont retournés contre lui.

Il partira en exil à l'île d'Elbe et après un retour dit des Cent-Jours, pendant lesquels il reprendra le pouvoir et mènera une nouvelle campagne militaire contre ses ennemis, il sera cette fois-ci envoyé en exil à Sainte-Hélène, ile anglaise, où il mourra, sous la surveillance de plusieurs milliers de soldats britanniques, le 18 juin 1821. Il laissera derrière lui un héritage militaire unique et des lois qui impactent encore aujourd'hui le pays que nous connaissons. Mais son règne aura aussi été accompagné de plusieurs centaines de milliers de morts et de quelques excès autoritaires.

Voyons maintenant son adversaire du jour, le généralissime russe Souvorov…

Biographie d'Alexandre Souvorov

Portrait de Souvorov peint par Xavier de Maistre.Le mythique général russe Alexandre Souvorov est né en 1730, le 13 novembre. Il est issu d'une famille noble d'origine finlandaise. Il s'engage dans l'armée à l'âge de 13 ans et gravit tous les échelons avant d'atteindre le grade de colonel en 1762.

Souvorov se distingue pour la première fois lors de la guerre de Sept Ans (bataille de Kunersdorf). Il est général en 1772. Commence alors pour lui une période de presque 30 ans de commandement victorieux à la tête des troupes russes et austro-russes : il soumet diverses révoltes tatares et caucasiennes, il devient rapidement la « star » de l'armée. En effet, il ne perd aucun combat et est fortement apprécié par la Tsarine Catherine II ainsi que par ses hommes, dont il est très proche. Par ailleurs, contrairement à Frédéric II par exemple, il promeut une discipline basée sur la compréhension des tactiques mises en place par le commandement et par la prise de responsabilités individuelles.

La Crimée étant annexée à la Russie en 1787, la guerre commence avec la Turquie. Il écrase les armées de la Sublime Porte à Kinburn, Rymnik et Izmail entre autres. La guerre se termine en 1792. Il est ensuite envoyé en Pologne pour soumettre une révolte. Il prend Varsovie en 1794 et est fait feld-maréchal par l'impératrice.

Comblé d'honneurs, il tombe cependant en disgrâce en 1796 quand Paul 1er succède à sa mère. Le vieux général profite de sa semi-retraite dans ses terres pour, entre deux récoltes, écrire un traité de stratégie militaire digne de Clausewitz : L'art de la Victoire. Il est rappelé aux affaires en 1798 pour mener les armées austro-russes à la victoire en Italie. Il remporte tous ses combats, mais hélas, suite à la défaite de Zurich, l'armée russe doit se replier. De plus, les Autrichiens éprouvent une jalousie certaine à son égard et il est congédié par le Tsar qui a peur que le brillant général ne l'éclipse dans sa gloire militaire. Bien que visité par deux fils de l'empereur avant sa mort, il finira sa vie pauvre…

Désormais, comparons son talent avec celui du grand N…

La bataille d'Arcole ou Bonaparte à la manoeuvre

La Bataille du Pont d'Arcole, par Horace Vernet, 1826.Découvrons tout d'abord la tactique de Napoleon à Arcole, bataille qui est d'abord mal engagée avant de devenir une victoire probante.

Le contexte

La campagne d'Italie bat son plein, le général Bonaparte qui a déjà défait les Piémontais et les Autrichiens assiège la ville de Mantoue depuis le 27 août 1796. La ville étant un arsenal et un point stratégique très important pour les Autrichiens, ceux-ci sont bien décidés à tenir la ville.

Deux nouvelles armées partent donc, sous les ordres des généraux Davidovitch et Alvinczy. Bonaparte laisse 9000 hommes devant Mantoue et envoie le général Vaubois contenir Davidovitch. Il décide de couper les arrières d'Alvinczy et lance son attaque le 15 novembre, jour où ses troupes sortent de Vérone pour traverser l'Adige sous l'ordre d'Augereau et de Masséna.

Mais la résistance autrichienne est tenace et Augereau est arrêté à Arcole, où la berge opposée est fermement tenue par les troupes du tyran germanique. C'était sans compter sur Bonaparte...

Les 3 moments déterminants de la bataille

1. Le blocage initial ou comment s'enliser dans des marais : Masséna est enlisé dans les marais et la manœuvre de tenaille qu'il devait réaliser avec Augereau tombe complètement à l'eau (c'est le cas de le dire) quand ce dernier est arrêté par un barrage de feu devant Arcole , la rive est de l'Alpone étant tenue par les rugueux soldats ennemis.

2. Le coup d'éclat et la solution inattendue : Bonaparte, ayant eu vent du blocage sur le pont, arrive en personne pour débloquer la situation. Il prend un drapeau et mène la charge, à la tête de ses hommes, sous les yeux ébahis de ses généraux. Les tirs reprennent et la colonne française est arrêtée. Bonaparte se retrouve enfoncé à mi-corps dans les marais, où sous une pluie de balles, le colonel Belliard et les grenadiers le sauvent d'une noyade certaine. Lannes, qui est arrivé en trombe de Milan, fait rempart de son corps avec le colonel Muiron, mais ce dernier est tué. L'assaut est un échec, mais les troupes ont repris du moral. Finalement, Bonaparte fait envoyer des tambours sur les arrières autrichiens avec pour mission de faire le plus de bruit possible. Alvinczy, croyant avoir été tourné, fait dégarnir la garde du pont pour envoyer des troupes dans le secteur d'où proviennent les roulements de tambour. Ce stratagème permet à Masséna de traverser, enfin ! Le général Guieu prend Arcole dans le même temps. Mais le général en chef préfère retenter l'affaire le lendemain et les Français se replient sur Ronco.

3. Terminator : Le 16, l'attaque reprend et les Français échouent à nouveau devant le pont, mais Masséna parvient à repousser l'aile droite coalisée. Dans la nuit du 16 au 17, des chevalets sont lancés au-dessus de la rivière pour permettre à Augereau d'attaquer le village sur le flanc dans une manœuvre de diversion, tandis que Masséna s'occupera de l'assaut frontal. Le front sud d'Alvinczy est mal protégé et Napoléon en profite pour le détruire. La défaite est totale et Alvinczy a perdu 6000 hommes en quelques jours. Les Autrichiens battent en retraite…

Une autre bataille arrivera quelques jours plus tard, Rivoli...

Bilan

  • 4800 hommes prisonniers, morts et blessés sur 19 000 soldats français engagés.
  • 6000 morts sur 24 000 Autrichiens engagés.

Suites

Napoléon prendra Mantoue et gagnera à nouveau à Rivoli. Les Français s'assurent une solide empreinte sur l'Italie du Nord. Bien que la bataille fut difficile, les nombreuses ruses mises en place finissent par déstabiliser la défense autrichienne et la jeunesse française aura raison du vieil esprit cartésien d'Alvinczy.

La bataille de Rymnik, les Austro-Russes sur l'autoroute de la gloire

Plan de la bataille de Rymnik.Le contexte

La guerre Russo-Ottomane de 1787-1792 fait maintenant rage depuis 2 ans. Le vizir ottoman Hassa Pacha décide de repasser à l'offensive, poussé par sa volonté de se venger de la terrible défaite de Focsani, d'autant qu'il est certain que les Autrichiens ne font plus le poids. En effet, durant la bataille de Karansebes, les Autrichiens mal renseignés sur les mouvements de leurs troupes ont fait malencontreusement bombarder un de leurs camps, provoquant plusieurs centaines de morts. Les Ottomans sont désormais sûrs de leur incompétence...

Le vizir ne craint donc pas grand-chose pour ses 30 000 hommes installés non loin des troupes autrichiennes sous le commandement du prince de Saxe-Cobourg. Mais Souvourov ayant eu vent de la manœuvre fait marcher ses 7000 hommes en direction des Autrichiens pour les assister. Il prend le commandement de la force austro-russe avec l'accord de l'état-major allié…

Les 3 moments déterminants de la bataille

1. Promenons-nous dans les bois : il est 23 heures en ce 22 septembre 1789, quand Souvourov décide de lancer ses deux colonnes en direction des Ottomans. Après avoir traversé la Rymna, les troupes coalisées prennent de surprise l'artillerie ennemie qu'ils détruisent. Les Ottomans lancent de violentes contre-attaques de cavalerie, mais celles-ci sont facilement mises en déroute par les Austro-Russes qui se placent en carrés…

2. Attaque combinée sur Bogsa : vers 15 h, les troupes combinées prennent le camp établi par les Ottomans à Bogsa. La panique est totale dans les troupes du vizir. Souvorov décide ensuite d'attaquer le camp principal ottoman, situé dans la forêt voisine.

3. Prise du camp principal : les Autrichiens commencent le harcèlement des dernières troupes ottomanes. Les Russes chargent de front et enfoncent les restes de l'armée ennemie. La cavalerie russe fait un carnage et les dernières troupes turques présentes partent en déroute. Les Ottomans, n'ayant nulle part où fuir, passent par la rivière où des centaines d'entre eux se noieront. La défaite est totale…

Bilan

  • Entre 700 et 1700 morts, blessés, disparus chez les Austro-Russes sur environ 10 000 hommes
  • Environ 20 500 morts, blessés, disparus chez les Ottomans

Suites

Souvorov sera fait Comte de Rymnik par les Russes et les Ottomans sont une nouvelle fois en déroute. Néanmoins, la guerre n'est pas finie et avec le retrait des Autrichiens de la coalition en 1790, les Russes se chargeront seuls des Ottomans. Avec le soutien des Anglais, la guerre se terminera en 1792.

Verdict final

Bonaparte et Souvorov sont très proches au niveau de leur talent, ils n'hésitèrent pas à innover beaucoup, qualité rare chez les généraux de l'époque.

Néanmoins, on peut reprocher à Souvorov de n'avoir mené que des guerres de « seconde zone », dans le sens où à part dans sa jeunesse, il n'affronta pas de grands généraux et ses résultats probants obtenus en Italie en 1800 n'ont pas été suffisants pour gagner la guerre, ses collègues russes n'ayant pas son degré de compétence. Mais il est à mettre à son crédit qu'il n'avait pas la dimension politique que prendra Napoléon et qu'il était en quelque sorte à la merci du bon vouloir de ses dirigeants, il enchaînera disgrâces et hauts commandements après le règne de Catherine II.

S'il est impossible de savoir ce qu'il aurait valu avec certitude face à Napoléon, on peut estimer que Bonaparte aurait trouvé la ficelle pour le déloger, comme ce fut le cas à Arcole, ou tout du moins, le combat se serait terminé sur un match nul. La roublardise du jeune général aurait sans doute eu, avec le temps, raison du génie russe. Un petit avantage à Napoléon donc.

Bibliographie

  • Yves Amiot , La Fureur de Vaincre : Campagne d'Italie, 1796-1797, Flammarion, 1998, 234 pages.
  • Napoléon Bonaparte (Auteur), Thierry Lentz (Préface), Mémoires de Napoléon : tome 1, la campagne d'Italie, 1796-1797, Editions Tallandier, 2010, 338 pages.
  • Livres Groupe (Sous la direction de), General de L'Empire Russe: Mikhail Koutouzov, Alexandre Souvorov, Nicolas Nikolaievitch de Russie, Ivan Paskevitch, Piotr Ivanovitch Bagration, Books LLC, 2010, 130 pages

À voir

Napoléon, la mini-série de France 2, par Rappeneau

  • Da Veenci Prospect, Chroniqueur, Historien

  • « Vivant, il a manqué le monde. Mort, il le possède » écrit Chateaubriand à propos de Napoléon.