La politique allemande de mémoire vis-à-vis du nazisme : le cas Attentat 1942

Roi de Dreamland
Thématique
Nazisme, Censure
4 mai
2018

Sorti depuis maintenant un an et nous présentant la vie de civils en Tchécoslovaquie durant l’occupation allemande brutale orchestrée par le Reichsprotektor Heydrich, Attentat 1942 a su trouver son public et jouir d’un succès mérité en remportant de nombreux prix à l’international.

Dernier en date, celui du « jeu le plus incroyable » qui lui a été décerné lors du festival MAZE 2018 de Berlin. Un prix mérité, mais qui suscite de nombreuses interrogations, ainsi qu’une terrible ironie.

Une politique surprotectrice aux effets néfastes

Ironie, en effet, lorsque l’on sait que le jeu est toujours interdit à la diffusion en Allemagne, pays où il vient pourtant d’être primé. Ceci s’explique en raison des lois gouvernementales très strictes interdisant tout symbolisme faisant explicitement référence au nazisme dans une œuvre vidéoludique.

Refusant de s’autocensurer de façon absurde au risque de perdre toute la substance de leur œuvre, comme l’a par exemple fait Wolfenstein afin d’obtenir l’autorisation d’être publié, les développeurs ont donc dû renoncer à sortir leur petite perle chez nos voisins d’outre-Rhin. Ceux-ci peuvent quand même y jouer et en profiter, mais à condition d’avoir un VPN étranger… Il y a cependant fort à parier que très peu de joueurs se donnent cette peine pour jouer à un simple jeu vidéo.

Nombreux sont donc les Allemands qui passent à côté d’un vrai bon jeu au fort potentiel pédagogique et aux nombreuses vertus, présentant les faits de façon détaillée et objective. En résumé : il s’agit là d’un vrai gâchis.

La politique allemande de mémoire vis-à-vis du nazisme : le cas Attentat 1942

Car oui, en Allemagne, plus de 70 ans après la chute du régime nazi, on a toujours du mal à plaisanter avec la chose. La RFA, traumatisée et, dans une certaine mesure, encore rongée par le poids de la culpabilité, préfère faire l’autruche en s’enfermant dans un carcan législatif et administratif étouffant la moindre allusion explicite au nazisme.

Encore de nos jours, ce n’est pas forcément simple d’évoquer la chose et elle reste tabou chez de nombreuses catégories de personnes, même si les nouvelles générations arrivent en force, avec moins de complexes, et qu’elles ont su prendre de la distance avec une histoire qu’elles n’ont pas vécue de façon aussi intime que leurs parents ou leurs grands-parents.

Les « memes » et autres « YouTube Poop » parodiant diverses scènes du film « La Chute » et tournant Hitler, joué par Bruno Ganz, en dérision illustrent cette distanciation faite par les jeunes qui n’ont pas peur de rire ou de se moquer du Führer.

La politique allemande de mémoire vis-à-vis du nazisme : le cas Attentat 1942

De timides progrès, mais beaucoup reste encore à faire...

Les langues se délient donc quelque peu depuis quelques années, comme l’illustrent des productions telles que « Er ist wieder da » ou encore « Der Hauptmann ». Progressivement, les Allemands apprennent à parler de cette partie sombre de leur Histoire et se l’approprient, sortant lentement du déni, même s’il reste encore beaucoup de chemin à faire.

La politique allemande de mémoire vis-à-vis du nazisme : le cas Attentat 1942  La politique allemande de mémoire vis-à-vis du nazisme : le cas Attentat 1942

Un jeu comme Attentat 1942 souffre aujourd’hui de cette politique surprotectrice dont les effets vont à l’encontre de l’objectif qu’elle poursuit. Non seulement, elle ne protège en rien la jeune démocratie des risques de dérives totalitaires, mais en plus, elle a des conséquences néfastes.

En effet, refuser d’admettre l’évidence ne la fait pas disparaître pour autant, et ces lois qui interdisent l’apparition d’une croix gammée dans un jeu vidéo au nom du politiquement correct n’ont en rien empêché le retour en force de députés d’extrême droite au Bundestag lors des dernières élections législatives allemandes.

Moralité : il n’y a rien d’intéressant à nier l’existence d’une évidence, ou à chercher à étouffer la mémoire de l’Histoire, aussi honteuse et embarrassante puisse-t-elle parfois être. Pas plus que le fait de cacher la poussière sous son lit n’a jamais constitué une façon efficace et réelle de faire vraiment le ménage, bande de petits flémards.

Dans une moindre mesure, nous autres, Français, en savons quelque chose. Il suffit de regarder le déni et la mise entre parenthèses d’épisodes tels ceux de la Commune ou encore de la France de Vichy, déconnectée et repoussée loin de la « vraie France », celle de Charles de Gaulle qui a soi-disant résisté de façon unanime à l’occupant nazi… Il est en 2018 encore relativement mal perçu et tabou d’y faire référence dans l’espace public.

Mais alors... quelles solutions ?

Le fait est qu’il est souvent plus facile de se contenter d’adopter une posture répressive et d’interdire les références explicites à ces parenthèses peu glorieuses de nos Histoires nationales, bottant en touche et espérant que le temps fera son œuvre et qu’à la longue, les gens finiront par oublier.

Mais cela va à l’encontre même de la notion de « devoir de mémoire », pourtant essentielle. Winston Churchill a dit que « celui qui ignore le passé se condamne à le revivre à l’avenir ». Cette citation résume à la perfection l’inefficacité de la position prônée par le gouvernement allemand. Succombant à la facilité et refusant de faire les vrais efforts nécessaires, l’Allemagne risque de voir rapidement venir les effets négatifs d’un méchant retour de bâton si elle n’adopte pas rapidement une nouvelle stratégie.

Son raisonnement, et les lois lui étant liées, sont empreints de tendances paranoïaques selon lesquelles le fait de librement autoriser la diffusion d’œuvres vidéoludiques présentant le régime nazi de façon fidèle, avec entre autres l’apparition de la croix gammée, constituerait un risque anti-démocratique. Or, le fait de faire apparaitre une croix gammée dans un jeu ne va pas nécessairement entrainer l’apparition d’une nouvelle génération de nazis… Les craintes semblent ici être quelque peu disproportionnées.

De plus, comme nous l’avons déjà dit, le fait de cacher ces symboles n’a en rien empêchée le retour en puissance d’un mouvement nationaliste allemand intolérant et xénophobe dont certains membres siègent désormais au parlement.

Il semblerait donc qu’il faille faire des efforts, mais sur d’autres plans et en suivant une logique inversée. Dans certains jeux plus anciens, la censure n’existait pas et les croix gammées étaient représentées librement sans que cela ne pose de problème. Mais jamais le pas n’a été franchi en Allemagne. Pourtant, entre représenter une « simple » croix gammée et vouloir sortir un jeu comme KZ Manager (qui a finalement été mondialement censuré pour des raisons plutôt évidentes), une simulation de camp de concentration, il y a tout un monde.

Dès lors, un « extrémisme du politiquement correct » refait surface de nos jours. Là où c’est clairement gênant, c’est qu’en cherchant à tout prix à arrondir les angles, il fait perdre à l’Histoire de sa substance.

La politique allemande de mémoire vis-à-vis du nazisme : le cas Attentat 1942

Et si cette nouvelle stratégie commençait avec un focus mis sur l’éducation, et sur le fait de libérer la parole et la mémoire en faisant le pari que cette approche sera gagnante ? Afin de combattre une idéologie néfaste telle le nazisme ou le fascisme, le mieux est encore de commencer par accepter de la représenter de façon cohérente et de la définir précisément pour ce qu’elle est, sans en avoir peur, ou sans chercher à en occulter certains pans entiers par honte ou par embarras. Et ceci peut se faire sans basculer dans l’autoflagellation et dans le pardon constant, autre dérive qu’il convient à tout prix d’éviter.

Or, les lois allemandes, tantôt dans le déni, tantôt à faire l’autruche, passent à côté de cette première étape essentielle. La force principale d’une démocratie se situe dans ce qui peut également et paradoxalement constituer l’une de ses « faiblesses », à savoir le débat et la discussion, l’échange d’idées et la tolérance des opinions plurielles. Or, en pratiquant l’autocensure, une démocratie ne fait rien d’autre que de se tirer une balle dans le pied.

Pour combattre efficacement une idée, il faut commencer par la définir et par la présenter, et pour cela, des jeux vidéo n’ayant pas peur de rentrer concrètement dans le vif du sujet comme Attentat 1942 sont idéaux.

Oui, Attentat 1942 montre la politique raciale du troisième Reich de façon crue et dans ce qu’elle avait de pire et d’abject. Oui, il montre des croix gammées... Mais ce faisant, il permet d’éduquer, de transmettre un message, de délivrer de façon pédagogique un enseignement. Il suscite et provoque un débat qui permet d’éduquer la population et de la mettre en garde de la plus efficace des façons, en lui faisant comprendre ce qu’était réellement le nazisme. Autant de choses qu’une simple interdiction, qui sera de toute façon bravée ou contournée, ne peut faire.

Les œuvres les plus puissantes et saisissantes décriant le nazisme en Allemagne, comme le célèbre « Maus » de Art Spiegelman, prix Pulitzer 1992, sont celles qui n’ont pas peur de s’attaquer au nazisme et à sa symbolique et l’exposant de façon claire aux yeux du public.

Et afin de conserver de la pertinence tout en se voulant plus accessible, Maus prend le parti de présenter l’Histoire vécue par des souris en lieu et place des êtres humains. Par contre, hors de question de renoncer à la représentation de la croix gammée, directement visible sur la couverture de l’ouvrage. Car après tout, c’est en adoptant une approche pédagogique que l’on pourra délivrer un message clair à son public. Chose qu’une censure ou un déni n’ont jamais parvenu à atteindre.

La politique allemande de mémoire vis-à-vis du nazisme : le cas Attentat 1942  La politique allemande de mémoire vis-à-vis du nazisme : le cas Attentat 1942

Dès lors, on ne peut que trouver cela regrettable qu’un jeu comme Attentat 1942 soit toujours interdit à la diffusion en Allemagne. Outre une répression inutile et inefficace, cette posture prive les jeunes, et moins jeunes, Allemands d’un formidable jeu vidéo et d’un bel outil qui pourrait leur apprendre énormément de choses sur le nazisme.

Contre l’ignorance, l’éducation est le meilleur des remèdes, et entre s’informer sur une idéologie et y adhérer, il y a tout un monde, mais il semblerait que le gouvernement allemand ne soit pas encore prêt à prendre le risque… ce qui est bien dommage.

Avec la sortie prochaine de jeux ambitieux comme « Through the Darkest of Times », qui nous mettra dans la peau d’un groupe de résistants allemands au nazisme, on ne peut qu’espérer que le gouvernement fédéral va réviser sa copie et changer son fusil d’épaule… Mais face à l’arsenal législatif actuellement place, rien n’est moins sûr...

Pour le mot de la fin, je laisserais la parole à ce grand sage qu'est Huber Bonisseur de la Bathe.

  • Zog Chroniqueur, Historien, Testeur, Youtubeur
  • « Une Europe fédérée est indispensable à la sécurité et à la paix du monde libre. » par Jean Monnet en 1952