Info sur le film
Titre originalThe Breadwinner
Durée94 min
GenreAnimation
RéalisatriceNora Twomey
Scénariste
  • Anita Doron
  • Deborah Ellis
Avec
  • Golshifteh Farahani
  • Saara Chaudry
  • Soma Bhatia
  • Ali Rizvi Badshah
  • Laara Sadiq
SortieJuin 2018

Analyse du film Parvana, une enfance en Afghanistan

Mère des phoques
Thématique
Guerre en Afghanistan
12 octobre
2018

En Afghanistan, sous le régime taliban, Parvana, onze ans, grandit à Kaboul ravagée par la guerre. Elle aime écouter les histoires que lui raconte son père, lecteur et écrivain public. Mais un jour, il est arrêté et la vie de Parvana bascule à jamais. Car sans être accompagnée d'un homme, on ne peut plus travailler, ramener de l'argent ni même acheter de la nourriture.

Parvana décide alors de se couper les cheveux et de se travestir en garçon afin de venir en aide à sa famille. Risquant à tout moment d'être démasquée, elle reste déterminée à trouver un moyen de sauver son père. Parvana est un conte merveilleux sur l'émancipation des femmes et l'imagination face à l'oppression.

Avis personnel

Lorsque j'ai vu pour la première fois l'affiche de Parvana je ne savais pas à quoi m'attendre : est-ce un film qui veut démontrer que l'on peut vivre une enfance épanouie en Afghanistan ou bien, à l'inverse, un film qui veut interpeller sur le sort des enfants de ce pays ?

Ni l'un ni l'autre : Parvana ne tombe ni dans la victimisation ni dans l'euphémisme ; il y a des moments de joie, de légèreté, de rire et d'amitié tout comme il y a des moments de terreur, de peine, de souffrance et de haine. C'est une des raisons pour lesquelles j'ai apprécié ce film.

Découvrir Parvana a été aussi une belle occasion de m'intéresser à l'Afghanistan, d'en apprendre plus sur son Histoire, sa culture, de lire autre chose que les actualités mortifères, d'avoir une meilleure idée de la situation actuelle du pays. Si les filles à Kaboul n'ont aujourd'hui plus besoin de se travestir en garçon (« bacha posh » : « habillée comme un garçon ») pour sortir de l'isolement, celles vivant dans les régions toujours sous le joug des talibans n'ont pas les mêmes libertés. Parvana est aussi un hommage à toutes ces filles qui font preuve de détermination et de courage.

La place accordée à la tradition orale est également un des points positifs à mes yeux. Comment la tradition orale se transmet et s'enrichit de conteur en conteur, comment elle perpétue l'Histoire et des histoires ainsi que les leçons à en tirer sont autant de points abordés dans le film, à travers le conte de Soliman raconté en parallèle par Parvana, qui a elle-même choisi le nom du héros, celui de son défunt frère aîné.

Soliman vit dans un Afghanistan sans talibans, aux couleurs vives et chaudes qui prennent vie dans les paysages et les costumes féminins. Raconter son histoire est une échappatoire pour Parvana qui, grâce à son imagination, oublie un instant le Kaboul morne et hostile dans lequel elle vit.

Parvana, une enfance en Afghanistan

Le Kaboul de Parvana

Étouffant, oppressant même, c'est ainsi qu'apparaît l'espace public à Parvana où, en tant que fille sous le régime taliban, elle n'a pas sa place. Elle doit rester confinée à la maison avec sa sœur aînée Soraya et sa mère Fatima (écrivaine avant le régime taliban) au lieu d'aider son père Nurullah au marché, ou plutôt s'y « exhiber » comme le lui reprochent les talibans : pour eux, son hijab d'où dépassent des mèches de cheveux est indécent, impudique, provocant. Si Parvana se présente ainsi en public, lorsqu'elle prie chez elle pas un cheveu n'est visible. Sa tenue et sa pratique religieuse prouvent qu'elle n'est pas une « ennemie de l'islam » comme l'accusent les talibans qui voient aussi en elle une potentielle épouse.

C'est en effet le destin que lui réserve sa condition de fille sous le régime taliban : le mariage arrangé, voire forcé. Parvana croisera un jour une de ces filles-épouses qu'elle est destinée à devenir : alors qu'elle vend son unique robe à un vieillard très courbé, canne en main, barbe grise, elle lui déclare : « Regardez comme elle brille, votre fille sera ravie de porter cette robe ! » en désignant la silhouette immobile et silencieuse dissimulée sous une burqa. « C'est ma femme » répond sèchement le vieux client, vexé.

Parvana verra aussi sa sœur prostrée à l'approche de son mariage arrangé avec un cousin germain qu'elle n'a jamais rencontré, mariage qui doit permettre à sa famille d'avoir « une chance de survivre » en ayant un homme pour subvenir aux besoins familiaux, un homme dont elles dépendront entièrement. Il s'agit là d'un sort que ni sa famille qui n'envisage pas de marier « une enfant », ni son amie Shazia -elle-même se travestit en garçon- ne lui souhaitent. Pour Shazia, le mariage d'enfant est synonyme d'une vie malheureuse.

Idée partagée par la rappeuse afghane Sonita Alizadeh qui, à travers sa chanson « Bride for sale » (1997), dénonce ce qu’elle considère comme une « tradition cruelle » et qui la pousse à apparaître dans son clip le visage tuméfié et en sang, un code barre sur le front, portant une robe de mariée.

Sonita milite activement contre le mariage d'enfants à travers l'association « Girls, not bride ». Le site explique pourquoi et où les mariages d'enfants sont organisés : les époux ou l'épouse seule peuvent être des enfants. Ce fut le cas pour les parents de Sonita : sa mère, beaucoup plus jeune que son père, appelle son mari « mon oncle » tandis que les parents de Parvana n'ont pas une grande différence d'âge.

À l'âge de 10 ans, Sonita a été fiancée. L'annonce la rendait « heureuse » car elle n'avait pas conscience de ce qui l'attendait : un accès très difficile ou impossible à la santé et à l'éducation, des violences, une grossesse précoce... Finalement, le mariage n'aura pas lieu car sa famille fuit sa ville natale, Hérat, pour l'Iran où elle enregistrera « Bride for sale », bravant l'interdit du pays qui exige qu'une femme ne doit pas chanter en présence d'hommes si sa voix n'est pas couverte par une ou des voix masculines. Entendre les chants du chœur féminin national de l'Afghanistan tout au long du film n'est donc pas un détail anodin.

Se travestir en garçon permet à Parvana et Shazia de ne plus être perçues comme des épouses potentielles et des êtres inférieurs à l'instar de ce bébé fille pour qui le père refuse d'aller chercher des médicaments, forçant ainsi la mère, à qui il a confisqué sa burqa, de l'enfant à sortir seule en public où elle sera poursuivie et fouettée par des talibans. Cependant, le port de la burqa ne l'aurait pas épargnée : la mère de Parvana sera battue pour être sortie sans un parent masculin et parce qu'elle avait une photo en sa possession, les photos étant interdites.

D'ailleurs, sitôt recouverte de sa burqa, Fatima trébuchera dans les marches, preuve, d'une part qu'elle n'a pas l'habitude de la porter, d’autre part que la marche est difficile en burqa. Une peine que ne connaissent pas les hommes et les « bacha posh » comme Parvana, ou plutôt Aatish. il n'en demeure pas moins impuissant face aux violences des talibans.

Parvana, une enfance en Afghanistan

La Kaboul d'Aatish

Aatish (« feu ») n'a nullement à se soucier d'un mariage arrangé et/ou forcé et des représailles des talibans pour son apparition dans l'espace public où presque aucune femme n'est visible. Aatish peut en toute quiétude faire des achats ; de même, les commerçants peuvent travailler en paix car, dans le cas où l'un d'eux est surpris à servir une femme, il est certain d'avoir affaire à la colère des talibans.

Du haut de ses onze ans, Aatish est devenu le soutien de sa famille, sa seule chance de survie bien qu’il n'ait pas vraiment conscience du poids qui pèse sur ses épaules.

Profitant de sa liberté pour se faire passer pour l'employé d'une confiserie, il se régale avec Shazia de sucreries comme tout enfant de son âge.

Contrairement à Parvana, Aatish n'est pas accusé de « s'exhiber » au marché où il peut reprendre le commerce de son père, la lecture et l'écriture de lettres.

Nurullah est aux yeux des talibans un ennemi de l'islam parce qu'il possède « des livres interdits » et qu'il enseigne aux femmes, c’est pourquoi ils l'emprisonnent.

Parmi ses bourreaux, se trouve un homme analphabète qui demande un jour à Aatish de lui lire sa lettre. Il revient alors au garçon d'apprendre au taliban Razaq que le bus de sa femme a roulé sur une mine. Les dernières paroles de son épouse concernaient la bonté dont son mari a toujours fait preuve envers elle. À la lecture de ces mots, le taliban, désormais veuf, ne peut contenir ses larmes.

La peur lisible dans le visage d'Idriss, le jeune taliban qui a dénoncé Nurullah au moment de devoir prendre les armes, ainsi que les larmes de Razaq rappellent que les talibans sont avant tout des êtres humains. Aatish et même Parvana pourront constater les qualités humaines de Razaq, telle comme sa compassion, qui jouera contre toute-attente un rôle salvateur. La mort de sa femme à l'instar de celle de Soliman, le grand frère de Parvana, qui a ramassé un ''jouet-bombe'', évoque les propos de l'ex-députée (la plus jeune du pays) Malalai Joya (née en 1978) : les afghans ne sont pas des terroristes mais des victimes du terrorisme.

La réalisatrice Nora Twomey n'a pas oublié que le film s'adresse à un jeune public, c'est pourquoi les scènes de violence se déroulent toujours hors-champ. Des scènes qui contrastent avec la « paix » que Nurullah a connue enfant : « les femmes allaient à l'université » précise-t-il et se profile alors quatre joyeux enfants, deux filles et deux garçons, jouant ensemble au ballon, les fillettes ne portent pas de voile. Une scène similaire se déroule plus tard : Aatish puise tranquillement de l'eau au puits ; à l’inverse, Parvana doit s’enfuir tandis que seuls des garçons jouent au ballon, démontrant ainsi les changements apportés par les talibans.

La liberté dont Parvana et Shazia jouissent en tant que « bacha posh » leur permet de travailler et d’économiser, elles prévoient de soudoyer le gardien de la prison (dénonciation de la corruption) et se prennent parfois à rêver d'un avenir à Goa au bord de la mer où affluent les touristes, assises sur des tanks abandonnés dans le désert !

Ce n'est pas le cas des Parvana et Shazia des romans, le film étant la libre adaptation du premier roman The Breadwinner de Deborah Ellis, convaincues que si toutes les personnes éduquées quittent le pays, il ne pourra pas se reconstruire. Elles décident, malgré la guerre, de rester.

Le rôle joué par l'éducation est souligné par Malalai Joya : « L’éducation est un élément clé pour combattre l’extrémisme car, à travers elle, les personnes peuvent comprendre leur identité et leurs capacités économiques et éducatives. [...] C’est pour cette raison que les extrémistes se dirigent souvent vers les écoles et les étudiants, ils se voient menacés par une population éduquée, puisque les personnes sans éducation sont plus faciles à contrôler. »

Parvana, une enfance en Afghanistan

Un espoir de paix

Le film s’ouvre sur l'éducation via une leçon d'histoire prodiguée par Nurullah à sa fille Parvana. Lui était professeur avant la montée au pouvoir des talibans, elle était scolarisée. L'obscurantisme ne sévissait pas en des temps plus anciens : « Nous avons étudié les étoiles et commencé à voir l’ordre au milieu du chaos. Nous étions des scientifiques, des philosophes et des conteurs. Les questions ont cherché des réponses, et ensuite plus de questions. »

Nurullah présente aussi le contexte géographique de l'Afghanistan : pays semi-désertique composé de la chaîne de montagnes de l'Hindou Kouch, traversé par la route de la soie et entouré « d'empires toujours en guerre ». « Il y eut des massacres et chaque fois il y eut des survivants » déclare Nurullah, l'Afghanistan ayant été un pays fort convoité donc envahi : Cyrus le Grand (VIème siècle avant notre ère), Darius Ier (VI-Vème siècle avant notre ère), Alexandre le Grand (IIème siècle avant notre ère), Gengis Khan (XVIIIème siècle), Nader Shah (XVIIIème siècle), l'URSS (1979-1988), les Moudjahidin (1992-1996), les talibans (1996-2001).

Actuellement, le pays est loin d’être havre de paix : talibans, présence de troupes américaines, Daech... De janvier à juin 2018, l'UN - Assistance Mission in Afghanistan - a compté 5.122 victimes civiles : 1.692 morts et 3.430 blessés. L'Histoire se répète.

Or la véritable scène finale est le sourire de Parvana. Travestie en Aatish, elle apprend à écrire au taliban Razaq qui, devenu veuf, désire savoir lire et écrire le nom de sa femme « hala » (« halo lunaire »). Même s’il a découvert la véritable identité de Aatish, Razaq compatit et sauve Nurullah des exécutions sommaires perpétrées par les talibans. Blessé par balle, le taliban contemple le halo lunaire qui éclaire cette première nuit de bombardement américain, sa femme l'approuve et veille sur lui. Grâce à Razaq, Parvana et son père se retrouvent. L'enfant répète alors la leçon que son père lui donnait au début du film, preuve que la tradition orale est transmise à travers elle.

L'acte salvateur de Razaq rappelle à nouveau que les talibans sont avant tout des êtres humains et que, de ce fait, (il s'agit d'un tableau naïf mais puisant ses racines dans la réalité), la paix peut être ramenée par l'éducation (présentée par l'alphabétisation de Razaq), le dialogue car Parvana est aussi un film qui souligne « le pouvoir de la parole » Nora Twomey - « élever la parole et non la voix, c'est la pluie qui fait pousser les fleurs et non le tonnerre » peut-on lire avant les crédits - et l'Amour.

  • Gallinulus Pinguis Sainte-Mère des bébés phoques, Rédactrice, Testeuse, Chroniqueuse
  • "Personne ne peut longtemps présenter un visage à la foule et un autre à lui-même sans finir par se demander lequel est le vrai" Nathaniel Hawthorne