Info sur le film
Titre originalDetroit
Durée143 min
Genre Drame historique
RéalisateurKathryn Bigelow
ScénaristeMark Boal
SortieOctobre 2017

Detroit, la claque de l'année ?

Roi de Dreamland
Thématique
Émeutes de 1967 à Détroit
17 octobre
2017

Signé par la réalisatrice Kathryn Bigelow, notamment connue pour les oscarisés « Démineurs » et « Zero Dark Thirty », Detroit était largement attendu au tournant par les cinéphiles.

Sorti sur nos écrans depuis le 11 octobre 2017, le film avait été accueilli de façon positive outre Atlantique. Avis partagé par HistoriaGames ? Éléments de réponses.

Un film très attendu

S’affichant avec un casting porté par John Boyega, le film ne présente aucun acteur ultra connu ou médiatisé, hormis le brave Stormtrooper Finn des nouveaux Star Wars de Disney. Pari gagnant, puisque la distribution de Detroit n’a pas à rougir de sa prestation. Chacun dans son rôle parvient à rendre une copie plus que correcte, qui accouche d’un ensemble réussi, juste, et particulièrement harmonieux.

Le résultat est cohérent, et le spectateur croit et adhère sans problème à l’action qui lui est présentée à l’écran, chose importante dans un film qui relate des faits réels. Detroit parvient donc à répondre aux lourdes attentes qui pesaient sur ses épaules. Une première réussite, qui en amène logiquement d’autres.

Un contexte socio-historique soigné et fidèlement retranscrit

Le film relate les émeutes raciales de 1967 qui ont eu lieu dans la ville de Détroit. Jusqu’alors plutôt calme, la cité de l’automobile américaine finit par se laisser gagner par la contagion et bascule à son tour dans la violence.

Le contexte social et historique de l’Amérique de cette époque est alors magistralement exposé par le long métrage de Bigelow, avec une scène d’introduction qui nous résume l’histoire de l’immigration et de la ségrégation au pays de l’Oncle Sam.

Alors que les bassins d’activités de la ceinture industrielle du nord des États-Unis subissent une grave crise de plein fouet, les populations blanches et aisées émigrent vers des banlieues pavillonnaires, laissant aux populations afro-américaines les centres-villes où règnent la misère, la pauvreté et le chômage.

Parqués dans de véritables ghettos surpeuplés, et faisant face à une répression policière brutale s’associant à des lois prohibitives, les afro-américains finissent par se révolter, las de la ségrégation et des conditions de vie particulièrement difficiles avec lesquelles ils doivent composer.

Detroit parvient à saisir avec justesse la complexité de ce contexte d’une Amérique tiraillée. Les personnages à l’écran représentent chacun, à leur niveau, un petit morceau des États-Unis de l’époque.

Autre point fort du film, celui de ne pas basculer dans une œuvre qui serait purement manichéenne et moralisatrice. Detroit ne raconte pas l’histoire des gentils opprimés contre les méchants oppresseurs. Il se place au-dessus, en juge objectif, et réussit avec brio à relater les évènements survenus, ainsi que leurs nombreuses subtilités, sans tomber dans une quelconque subjectivité.

Par exemple, une scène du film montre un représentant du Congrès américain qui tente d’appeler la population à se calmer et à jouer la carte des négociations pacifiques. Cet homme n’est pas entendu et la foule en colère agresse même les pompiers venus pour éteindre le feu dans le quartier en proie aux émeutes. À l’inverse, le film n’hésite pas à montrer également la violence et la brutalité de la répression policière, où certains agents racistes ont profité de l’occasion pour déverser leur haine et tirer à vue sur des habitants, innocents ou non.

Detroit, bien qu’étant une œuvre fondamentalement politique, ne fait pourtant pas le choix de prendre la défense d’un quelconque parti. Il montre, de façon brute et sans détour la situation conflictuelle et complexe de l’époque pour ce qu’elle fut, avec des hommes bons et des salops chez les révoltés comme chez les forces de l’ordre.

Detroit

Survivre à la nuit : une atmosphère étouffante

Outre un grand soin apporté au contexte social et historique qui est représenté avec pertinence, Detroit nous offre également une atmosphère soignée, mêlant le bouillonnement culturel de l’Amérique des années 1960 à un semi huis-clos oppressant qui se joue dans le cadre des émeutes.

Si le film commence dans sa première partie avec une lente montée en puissance crescendo vers l’explosion de la violence, rythmée aux airs de chansons phares comme « Nowhere to Run » de Martha Reeves, notamment présente dans Battlefield Vietnam ou Good Morning Vietnam, il bascule très rapidement dans une atmosphère plus pesante.

En effet, l’essentiel de l’action du film prend part dans la nuit la plus agitée des émeutes de 1967, au motel Algiers. Débordé par la puissance de la contestation, la police de Détroit appelle de l’aide et le gouverneur du Michigan décrète l’état d’urgence, déployant en renforts sur le terrain la police d’État et la garde nationale.

Plusieurs des personnages principaux faisant la fête s’amusent à tirer pour plaisanter avec un pistolet de course dans la direction des forces de l’ordre en patrouille, plus loin dans une rue. Le défi semi-sérieux n’est toutefois pas du goût de la garde nationale qui, à cran, croit à l’attaque d’un tireur embusqué.

Dès lors, le film devient un huis-clos dans lequel un groupe de jeunes afro-américains, accompagnés par deux jeunes filles blanches, se retrouve piégé dans le motel et fait face à un interrogatoire brutal mené par la police de la ville, en collaboration avec la police d’État et la garde nationale. Les plans rapprochés, couplés à la violence représentée à l’écran, tant symbolique que verbale ou physique, offrent un rendu très intime qui pousse au malaise.

L’objectif des policiers est de retrouver l’arme, puisqu’ils sont persuadés qu’un sniper se trouve dans le bâtiment et qu’il a pris pour cible des hommes en uniforme. Mais très rapidement, la brutalité fait place aux bavures et les hommes en uniforme perdent le contrôle de la situation. Ce huis-clos se résume parfaitement par une ligne de dialogue du personnage joué par John Boyega, alors agent de sécurité venu prêter main forte à la garde nationale : « J’ai besoin que vous surviviez à cette nuit ».

Le personnage de Boyega témoigne d’ailleurs à lui seul tout le tiraillement et le déchirement de l’Amérique, coincé à mi-chemin entre son statut d’agent de sécurité et sa couleur de peau qui en fait également un suspect pour les forces de police.

La scène de la fouille du motel constitue alors le centre du film et elle démontre toute la haine et la violence raciale en place à l’époque, mais également l’hésitation des différentes forces en présence à pousser toujours plus loin la violence. Ainsi, le film met en lumière de façon sobre et efficace un point de non-retour que la police d’État et la garde nationale n’ont pas été prêtes à franchir, là où la police de la ville, elle, a complètement perdu les pédales. Mais au lieu de purement et simplement s’opposer aux agissements totalement fous et inconsidérés des policiers de Détroit, policiers du Michigan et gardes nationaux préfèrent se désolidariser et quitter le motel, afin de ne pas tremper dans une affaire de sang. Semi courage, ou semi lâcheté ? Chacun se fera juge, mais le film ne cherche en aucun cas à prendre la décision pour vous.

La dernière partie du film retombe alors quelque peu en intensité, nous présentant le procès des policiers ayant perdu leur sang froid dans le motel.

Detroit

Conclusion : un film qui vous laissera juge

Detroit fut largement critiqué par une partie des médias qui lui reprochent de réduire à peau de chagrin la cause de l’activisme noir aux États-Unis, ou encore de délégitimer les combats et la lutte pour les droits sociaux en limitant la contextualisation. Je ne suis personnellement pas d’accord avec ces critiques.

Detroit est un film qui vous présente une photo de la ville en 1967, au moment des émeutes. Il place et campe le décor avec des éléments de contextes réalistes et minimalistes, mais très soignés. Oui, Detroit ne revient pas sur l’histoire de la lutte pour les droits sociaux menés par les mouvements afro-américains depuis ses origines. Et c’est tant mieux, car ce n’est pas ce qu’on demande ou attend d’un film pareil. Detroit vous présente des faits, et vous laisse vous, en tant que spectateur, juge. N’épargnant aucun des « camps » en présence et tachant de présenter les faits de façon aussi véridique et objective que possible, le film ne se mue pas en une énième œuvre moralisatrice et culpabilisatrice…et c’est TANT MIEUX.

Un petit bémol peut toutefois être lié au fait que la véracité des évènements ayant survenus au motel Algiers n’a jamais été totalement établie. Dès lors, et de son propre aveu, la réalisatrice confesse avoir basé une partie de son intrigue sur des hypothèses et sur des témoignages incomplets. Qu’à cela ne tienne, Detroit reste une œuvre réussie et très soignée, avec un contexte social et une atmosphère qui passent tous les deux très bien à l’écran. Et si le film se prive d’un trop plein de contextualisation, cela ne l’empêche pas de rester très juste dans ce qu’il nous montre.

  • Zog Chroniqueur, Historien, Testeur, Youtubeur
  • « Une Europe fédérée est indispensable à la sécurité et à la paix du monde libre. » par Jean Monnet en 1952